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Future of World | Le travail sera-t-il balayé par l’Intelligence artificielle ?

Woman using artificial intelligence technology on laptop with glasses reflection. ©Maria Korneeva, via Getty

Le marché du travail serait-il devenu un « grand cadavre à la renverse » avec l’avènement de l’Intelligence Artificielle (IA) ? La question est légitimement sur toutes les lèvres tant le champ d’application de l’IA semble large et ses implications pour l’emploi encore méconnues. Partout, stratèges et institutions rivalisent de perspectives catastrophistes, condamnant des secteurs entiers de l’économie et des métiers que l’on pensait jusque-là protégés pour longtemps. Qu’en est-il réellement ? Quelles seront les premières victimes de cette révolution à venir ? Quelques éléments de réponse. 

 

L’intelligence artificielle, particulièrement sous sa forme générative, redessine le paysage du travail à un rythme sans précédent. Gage de cette montée en puissance irrésistible, le visage des premières capitalisations boursières mondiales est en train d’évoluer de manière drastique. Nvidia, le fabricant de processeurs indispensables pour le développement des centres de données et l’IA générative, est ainsi devenu la troisième plus grande capitalisation boursière au monde au premier trimestre 2024 en dépassant les 2000 milliards de dollars grâce à une croissance de son cours de 265% en une année. A lui seul, le géant des processeurs graphiques pèse désormais plus que l’ensemble du CAC 40.

Dans ce contexte, de l’automatisation des tâches routinières à la révolution des processus créatifs, l’IA peut être considérée à la fois comme une bénédiction et une malédiction. En effet, la promesse d’une productivité accrue est assombrie par la crainte d’un déplacement massif des emplois car historiquement, les avancées technologiques ont créé de nouvelles opportunités tout en rendant certains rôles obsolètes. De fait, l’échelle et la rapidité à laquelle l’IA progresse posent des défis uniques.

A travers une analyse saisissante publiée début avril dans le très prestigieux Project Syndicate, le professeur Eric Posner de l’université de Chicago aborde ces défis en présentant une vision nuancée de l’avenir. Il soutient que les gains de productivité permis par l’IA pourraient contracter significativement le marché du travail. Il décrit deux issues potentielles : une concentration oligarchique de la richesse ou une distribution plus égalitaire via un revenu universel de base (RUB). Cette dichotomie, qui pourrait générer une grave fracture sociale, souligne ainsi la nécessité d’innovations politiques pour gérer l’impact de l’IA sur l’emploi.

Deux visions contradictoires sur l’avenir du travail

En effet, deux approches se confrontent parmi les acteurs publics nationaux et multilatéraux au sujet des conséquences du déploiement de l’IA sur le marché du travail. Dans son dernier rapport relatif aux perspectives de l’emploi publié en 2023, l’OCDE estime que 20% des travailleurs dans les secteurs manufacturier et financier se déclarent exposés au déploiement de l’IA. Sa fonction générative, capable de reproduire des tâches non-répétitives, bouleverse notamment la donne en automatisant des métiers hautement qualifiés : fonctions administratives, juridiques, commerciales, scientifiques, ingénierie, et même les secteurs sociaux et culturels. Pourtant, tout n’est pas sombre dans ce tableau. La commission française de l’intelligence artificielle, mandatée par le Premier ministre pour l’élaboration d’une stratégie nationale pour l’IA, a rendu en mars 2024 un rapport plus optimiste. Seuls 5% des emplois seraient susceptibles d’une automatisation totale. Pourquoi ce contraste ?

La réponse réside dans deux effets opposés : un effet d’éviction, responsable du remplacement des emplois, et un effet de productivité, augmentant le rapport qualité/prix pour les consommateurs, ce qui entraîne une hausse de la consommation, un accroissement du PIB et de l’emploi par la création de nouvelles tâches non-automatisables.

Ainsi, selon cette commission nationale, le déploiement de l’IA pourrait paradoxalement élargir le marché du travail. 

Nouvelles formes de compétences et qualité de vie 

À l’heure actuelle, seules 10 % des entreprises dans les pays de l’OCDE ont pleinement déployé l’IA générative au service de leur productivité. Cependant, cette technologie est destinée à s’imposer dans quasiment tous les secteurs économiques et devra coexister avec la main-d’œuvre humaine. Face à ce constat, les pratiques de recrutement évoluent. Selon une étude conjointe de France Travail et LinkedIn, les employeurs misent désormais davantage sur des compétences transférables, notamment les « soft skills », qui s’adaptent plus facilement à l’évolution des tâches. Comme le souligne Fabienne Arata, directrice France de LinkedIn : « Il n’y aura pas d’IA sans renforcement des compétences comportementales et ce côté humain qui fait le monde du travail et l’essence même de nos métiers ». En bref, la main-d’œuvre demeure irremplaçable pour de nombreuses activités, mais les qualifications recherchées évoluent, se fondant moins sur les diplômes et l’expérience.

Une deuxième évolution majeure concerne la qualité de vie au travail pour les employés dont les tâches ont été modifiées par l’IA. Trois effets combinés peuvent détériorer cette qualité de vie. D’abord, la croissance des cadences de travail et de production, entraînant une surcharge mentale due à l’alignement nécessaire de la productivité humaine à celle de l’IA. Ensuite, des modes de supervision du travail plus intrusifs, réduisant l’autonomie et la liberté des travailleurs dans l’organisation de leurs tâches. Enfin, une utilisation accrue de l’IA par les ressources humaines, augmentant les risques de biais et de discrimination dans l’évaluation des employés. Ces phénomènes combinés soulèvent des inquiétudes quant aux abus possibles liés à l’IA, appelant donc à une réglementation renforcée de son utilisation.

Quels sont les secteurs les plus menacés par l’IA ? 

Selon le rapport de l’OCDE, contrairement à la troisième révolution industrielle, le déploiement de l’IA affecterait particulièrement les secteurs hautement qualifiés. Une étude de Goldman Sachs de 2023 prévoit que plus de 300 millions d’emplois équivalents temps plein pourraient être menacés par l’automatisation. Aux États-Unis, les deux tiers des emplois seraient susceptibles d’une automatisation partielle…

En France, les secteurs les plus touchés sont les transports, avec l’arrivée des véhicules autonomes, la banque, grâce à l’automatisation des services clients, et la santé, avec l’aide au diagnostic et la robotisation des actes médicaux. La commission nationale de l’intelligence artificielle classe les secteurs d’activité par degré d’exposition à l’IA et par tâches automatisables, démontrant que des métiers variés, de l’artisanat aux professions qualifiées, peuvent être affectés.

En conséquent, la voie que nous choisirons définira l’avenir du travail. Les décideurs politiques, les chefs d’entreprise et la société dans son ensemble doivent s’engager dans un dialogue réfléchi et une planification proactive. En embrassant le potentiel de l’IA tout en atténuant ses risques, il serait possible de gérer cette transformation pour créer un avenir plus inclusif et prospère, à condition de prendre la mesure du défi…

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