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Future of World | Le journalisme face aux médias, chronique d’une mort annoncée ?

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L’information n’a jamais été aussi présente dans nos vies, ni aussi débattue. Des débats télévisés aux réseaux sociaux, des discussions autour de la table familiale aux salles de classe, l’actualité, sa qualité et sa véracité sont au cœur de nos préoccupations. Au-delà de son importance intellectuelle, l’information est aujourd’hui un enjeu majeur de politiques publiques et économiques. La question de son contrôle, de sa production, mais aussi de son avenir, interpelle. En témoigne la publication récente de Nexus, le dernier ouvrage de l’historien à succès Yuval Noah Harari, qui explore l’évolution de l’information et s’interroge sur son futur dans un monde où l’incertitude et la manipulation sont omniprésentes et où l’Intelligence artificielle menace à nouveau de tout bouleverser.

Dans Nexus, Harari trace un parallèle fascinant entre l’ère où les médias traditionnels étaient dominants et l’époque actuelle, marquée par un pluralisme exacerbé des voix, des plateformes et des agendas. Ce livre retrace ces mutations profondes et offre une analyse fine sur la place qu’occupera l’information dans nos sociétés futures. Car, comme le souligne l’auteur, l’information est bien plus qu’un simple produit : elle est devenue une ressource essentielle, disputée et souvent déformée.

La lente descente aux enfers des médias traditionnels

Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il est essentiel de revenir sur ce qu’était le journalisme dans l’ancien monde, celui où les médias traditionnels régnaient en maîtres. À cette époque, les journaux, les émissions de télévision, ou encore les radios disposaient d’un espace limité, soigneusement calibré et distribué à une audience spécifique. Le modèle économique de ces médias reposait sur un équilibre simple : le contenu éditorial était financé par la vente d’espaces publicitaires. C’est dans ce contexte que l’ancien directeur des rédactions du groupe TF1, Étienne Mougeotte, a pu affirmer avec cynisme : « Nous vendons du temps de cerveau disponible. »

Dans cette configuration, les journalistes professionnels étaient, en principe, soumis à des standards éditoriaux stricts, garantissant une certaine éthique de l’information. Les faits étaient vérifiés, analysés, et le public savait qui était l’émetteur de l’information. Ce modèle, basé sur une hiérarchisation et une rareté de l’information, a fonctionné pendant des décennies. Cependant, il a aussi progressivement construit une relation quasi-monopolistique entre les médias et leurs annonceurs, réduisant peu à peu la diversité des points de vue et la profondeur des analyses.

Ce modèle, centré autour des médias traditionnels, était profondément marqué par un espace limité, une audience restreinte et une dépendance à la publicité. Mais tout cela allait radicalement changer avec l’avènement du numérique.

L’avènement des nouveaux acteurs : réseaux sociaux et journalisme citoyen

L’émergence d’Internet et des réseaux sociaux a littéralement bouleversé cet équilibre. Désormais, chacun est devenu un potentiel émetteur d’information. Les frontières entre producteur et consommateur se sont floutées. Avec des plateformes comme Twitter (aujourd’hui X), Facebook ou encore Instagram, toute personne peut diffuser des informations, toucher une audience potentiellement infinie et créer des tendances. Ce bouleversement a donné naissance à ce qu’on appelle le journalisme citoyen, où les informations sont partagées par des individus ordinaires, souvent sans filtre ni vérification.

L’un des grands enjeux de cette révolution est la désintermédiation de l’information. Là où autrefois les journalistes et les rédactions avaient un rôle central dans la sélection et la vérification des faits, cette responsabilité a été, dans une large mesure, balayée. Aujourd’hui, la viralité de l’information l’emporte souvent sur sa véracité. Des contenus sensationnalistes ou polémiques circulent à une vitesse exponentielle, éclipsant parfois les analyses fouillées des médias traditionnels.

Cette situation a plongé les médias traditionnels dans une crise existentielle. Face à des plateformes gratuites et accessibles à tous, les journaux ont vu leurs ventes et leurs audiences s’effondrer. Seules quelques grandes structures, souvent financées par des milliardaires ou des conglomérats, parviennent encore à tenir tête à cette vague. Mais même ces grands acteurs ont dû passer par des phases difficiles de restructuration, de réduction de personnel et de transformation numérique pour survivre.

L’équilibre ancien a donc été pulvérisé par l’irruption de nouveaux acteurs dans le paysage médiatique. Les journalistes, autrefois garants de la qualité et de l’éthique de l’information, se retrouvent dans une position de plus en plus fragile, face à un public qui préfère souvent la rapidité et la gratuité à la rigueur et à la vérification.

Les gouvernements face au contrôle de l’information

Face à cette mutation, les gouvernements cherchent désormais à reprendre la main sur la régulation de l’information. Ce n’est pas seulement une question d’ordre public ou de sécurité nationale ; il s’agit également de réguler un marché de l’information devenu totalement hors de contrôle. Plusieurs pays ont déjà commencé à légiférer pour limiter l’influence des plateformes numériques sur la diffusion de l’information.

Au Brésil, par exemple, le gouvernement a récemment interdit X (ex-Twitter), accusé de propager de fausses informations. En Colombie, le président Gustavo Petro a proposé de réallouer les budgets de publicité d’État aux médias alternatifs afin de renforcer la pluralité des points de vue dans le paysage médiatique. L’Australie, quant à elle, envisage d’interdire l’accès aux réseaux sociaux aux adolescents afin de réduire leur exposition aux fake news et au contenu inapproprié.

Ces initiatives montrent une volonté des États de protéger l’information en tant que bien public. Cependant, elles posent également la question de la liberté d’expression et du contrôle excessif des gouvernements sur les canaux d’information. Trouver le juste équilibre entre régulation et liberté d’expression s’annonce comme l’un des défis majeurs de l’avenir du journalisme.

Le journalisme, un bien commun à protéger

Alors, quelle place pour les médias traditionnels dans cet univers en pleine mutation ? La réponse se trouve probablement dans un retour aux fondamentaux. L’information de qualité, produite par des journalistes professionnels, reste essentielle pour garantir la santé démocratique des sociétés. Toutefois, les médias traditionnels ne peuvent plus survivre avec leur modèle économique d’antan. Ils devront désormais compter sur un soutien public pour se financer.

Une des solutions envisageables serait la création d’une commission indépendante, financée par une taxe spéciale sur les GAFAM et les réseaux sociaux, qui redistribuerait ces fonds aux médias. Ce mécanisme permettrait d’assurer un financement stable, tout en évitant l’ingérence politique directe dans la gestion des rédactions. Les médias, en tant que « bien commun », se doivent d’être protégés des extrémismes, des fausses informations, et des manipulations.

Comme le rappelle l’essayiste Rachid Benzine : « Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. Et il y a des certitudes qui tuent. » Le journalisme, en tant que vecteur de la connaissance, doit rester ce rempart contre les certitudes dangereuses. C’est une mission trop importante pour être laissée à la merci des seules lois du marché.


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