Le paradoxe d’Anderson (1961) établit que l’acquisition d’un diplôme supérieur à celui qu’a obtenu l’un de ses parents n’assure pas nécessairement une position sociale plus élevée. Ce constat souligne la perte de valeur du diplôme, qui semble n’avoir jamais aussi vrai qu’aujourd’hui, puisqu’il est légitime de se demander si le diplôme est toujours pertinent pour les recruteurs comme pour les chercheurs d’emploi.
Une contribution d’Alexandre Judes, économiste au sein de l’institut de recherche économique d’Indeed : le Hiring Lab
En France, les exigences de diplômes diminuent depuis 2017
Contraints par une pénurie de main-d’œuvre chronique dans certains secteurs, certains employeurs doivent faire preuve d’ouverture d’esprit et assouplir leurs exigences de diplôme pour attirer des candidatures. Ils sont en réalité en pointe d’une évolution profonde des pratiques de recrutement, qui touche tout le marché du travail. Dans les offres d’emploi sur Indeed France, la mention des diplômes recule en effet progressivement dans presque toutes les catégories de métiers. Le volume d’annonces n’exigeant aucun diplôme ne cesse de progresser : sa part dans le total des offres est passée de 53 % en 2017 à 62 % en 2024. Cette évolution marque le désengagement progressif des employeurs vis-à-vis des critères strictement académiques.
Historiquement, les entreprises ont utilisé le diplôme comme un outil de filtrage préliminaire, destiné à sélectionner les candidats les plus productifs, le diplôme agissant comme un « signal » de productivité (Spence, 1973). Pourtant, ce postulat a ses limites, tant le monde professionnel est différent du monde académique, et les compétences requises dans l’entreprise souvent éloignées du savoir sanctionné par le diplôme. D’où l’émergence du recrutement basé sur les compétences (« skills-first hiring » en anglais), qui permet de supprimer le filtre initial du diplôme en évaluant d’abord les aptitudes des candidats à accomplir les tâches attendues sur le poste à pourvoir. Le diplôme, bien qu’encore utile pour attester certaines connaissances fondamentales dans une économie tournée vers le savoir, se retrouve désormais relégué au second plan.
Le diplôme est mort… vive les compétences ?
La productivité en entreprise ne se résumant pas à un savoir académique, il faut évaluer les savoir-faire, l’efficacité relationnelle, la capacité à travailler en équipe. Des critères de compatibilité interpersonnelle sous le critère vague d’« adaptabilité », de « flexibilité » ou de « savoir-être » sont habituellement ajoutés aux offres d’emploi, sans réelle garantie de correspondance avec les besoins réels des équipes en place. Depuis plusieurs décennies, les recruteurs s’appuient sur une large gamme d’outils de sélection au-delà du diplôme : tests psychométriques, évaluations de personnalité ou encore mises en situation, souvent destinés à confirmer ou à compléter l’information fournie par le CV. Ces outils ont une efficacité relative, notamment lorsqu’ils interviennent après une présélection fondée sur le diplôme : des candidats issus des meilleures formations peuvent s’y préparer efficacement, renforçant ainsi les biais initiaux liés à la qualification académique.
Dans ce contexte, le développement du recrutement fondé sur les compétences est une opportunité majeure d’améliorer l’efficacité des embauches. La méthode facilite un échange plus authentique avec des candidats dont la productivité a déjà pu être éprouvée sur des critères opérationnels précis, au-delà du diplôme ou des simples savoir-faire techniques. Un candidat identifié puis recruté sur la base de ces tests et de sa compatibilité à la culture d’entreprise a probablement plus de chances de rester au sein de l’organisation à long terme.
La technologie au service de l’efficacité du recrutement
Le recrutement par les compétences permet aux entreprises d’éviter de nombreux biais d’évaluation. Il constitue à ce titre une étape cruciale dans l’intégration des technologies de l’intelligence artificielle dans le processus de recrutement, à la suite des outils de présélection et des logiciels SaaS. Il permettra de repenser les méthodes traditionnelles, en les rendant moins corsetées, moins soumises aux stéréotypes et davantage centrées sur l’évaluation réelle des capacités et des potentiels individuels. Une révolution nécessaire à un moment où les entreprises doivent faire face à une équation de plus en plus complexe, qui tient compte non seulement des compétences et du potentiel productif des candidats, mais aussi de leurs aspirations personnelles profondes.
Au-delà des enjeux de productivité, le recrutement fondé sur les compétences permettra d’améliorer significativement le bien-être au travail, contribuant à la fidélisation des talents et à la performance des organisations. Il permettra aussi d’ouvrir de nouvelles perspectives à des actifs victimes de biais de recrutement, voire de discrimination, et d’améliorer la mobilité entre les différents métiers ou secteurs, ouvrant la voie à un marché du travail plus inclusif et mieux adapté aux réalités économiques et technologiques.
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