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Vidéoprotection ou vidéosurveillance : Une simple question de vocabulaire ?

surveillancetwo surveillance cameras on the wall of a public building

 

Une contribution de Caroline Diard 

Alors que les caméras sont omniprésentes dans l’espace public comme dans les entreprises, les employeurs les utilisent au sein des entreprises, parfois à des fins déviantes.Tel a été le cas de la société Amazon France Logistique qui a été condamnée lourdement pour avoir exercé une surveillance excessive. La MAIF quant à elle, fin 2023 a été condamnée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse par le conseil des prud’hommes de Compiègne pour avoir mis en place un système de surveillance dont la salariée n’avait pas été préalablement informée.Ces affaires très médiatisées questionnent sur l’usage réel et perçu des outils de surveillance au travail.

Une affaire exemplaire

Ainsi le 27 décembre 2023, la CNIL a sanctionné AMAZON FRANCE LOGISTIQUE d’une amende de 32 millions d’euros[1] pour avoir mis en place un système de surveillance de l’activité et des performances des salariés excessivement intrusif. https://www.cnil.fr/fr/surveillance-des-salaries-la-cnil-sanctionne-amazon-france-logistique-dune-amende-de-32-millions

Cette sanction récente questionne sur le contrôle de l’activité des salariés. En vertu de son pouvoir de direction, l’employeur dispose d’un pouvoir de contrôle et de surveillance.

Deux types de contrôle co-existent : le contrôle de la performance dans un souci d’amélioration des résultats et le contrôle des comportements. Le monitoring des outils de travail vise à contrôler la performance ou les actes déviants.

Dans le cas de l’entreprise Amazon, chaque salarié utilisait un scanner afin de documenter en temps réel l’exécution de certaines tâches (ex. : prélèvement d’un article dans les rayonnages, emballage). Chaque scan conduisait à l’enregistrement de données permettant de calculer des indicateurs sur la qualité, la productivité et les périodes d’inactivité de chaque salarié.

Bien que l’employeur ait tenté de justifier cet usage pour faciliter le bon fonctionnement des entrepôts et la satisfaction de ses clients,  la remontée par les scanners de plusieurs indicateurs conduisaient à une surveillance informatique excessive des salariés. La performance était évaluée sur les scans d’articles. Les collaborateurs étaient contraints de justifier de toute interruption. La surveillance des missions a été considérée comme excessive et intrusive par la CNIL. La société a été également sanctionnée pour l’existence de vidéosurveillance sans information et insuffisamment sécurisée. Plusieurs Manquements liés aux traitements de vidéosurveillance ont en effet été constatés notamment un manquement à l’obligation d’information et de transparence (articles 12 et 13 du RGPD) et un manquement à l’obligation de sécurité (article 32 du RGPD).

 

Un bilan inquiétant

Le bilan 2023 de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) révèle des sanctions prises dans le cadre de sa nouvelle procédure de sanction simplifiée[2] mise en place en 2022. Parmi ces sanctions deux sujets sont saillants : la géolocalisation et la vidéosurveillance des salariés. Cela correspond à un usage accru des technologies pouvant être utilisées à des fins de contrôle et de monitoring. Plus de 1 000 plaintes concernant la mise en œuvre de dispositifs de vidéoprotection sans une information suffisante des personnes ou ne respectant pas leur vie privée (dont 60% dans le cadre professionnel). A cette occasion, la CNIL confirme la doctrine en ce qui concerne les conditions de mises en œuvre de la vidéoprotection.

Déjà en 2021, dans son rapport annuel, la CNIL indiquait que 83% des plaintes relatives à la surveillance des salariés concernaient des dispositifs de vidéo-surveillance au travail Cette tendance interroge et inquiète.

Ces chiffres provoquent une inquiétude légitime concernant les libertés individuelles et la collecte des données personnelles des salariés.

 

Protéger ou surveiller ?

Dans l’espace public et au sein d’établissements (privés et publics), les caméras se sont fortement développées ces dix derniers années notamment à l’initiative des pouvoirs publics. Les citoyens et les salariés sont sous l’œil des caméras. Ces caméras sont mises en œuvre pour protéger les personnes et les biens. La mise en place de caméras sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public est encadrée par le code de la sécurité intérieure aux articles L251-1 et suivants[3].

Dans les entreprises, il s’agit de se prémunir contre le vol, la fraude (Diard, Dufour 2023) et également d’éviter des accidents du travail dans le cadre de l’obligation générale de sécurité.[4]

L’usage invariablement des termes de vidéosurveillance et vidéoprotection en fonction du contexte, questionne car l’approche n’est pas la même !

Dès les années 60 le terme de télésurveillance est convoqué. Lui succède le concept de vidéosurveillance en 1981. Il s’agit d’un « Système de surveillance utilisé dans certains lieux publics et constitué par une ou plusieurs caméras vidéo reliées à un ou plusieurs écrans de visualisation, auxquels peuvent s’adjoindre un ou plusieurs magnétoscopes et un système de télécommande[5] ». Sa définition est officialisée par la loi n°95-73[6] et de son décret d’application[7] (Diard, 2014). Le néologisme de vidéo-protection est introduit plus récemment par la loi LOPPSI 2[8]. Son article 17 précise alors que dans tous les textes législatifs et réglementaires, le mot : «vidéo-protection» doit remplacer le mot : «vidéosurveillance». Il est entré dans le dictionnaire avec la définition suivante Système d’enregistrement d’images prises sur la voie publique (ou dans des lieux ouverts au public), dans le but de prévenir les atteintes à la sécurité des personnes et des biens publics. Ceci n’est pas neutre et concourt à éviter la confusion entre système de protection et système de surveillance potentiellement liberticide.

Bien que le RGPD (Règlement Général pour la Protection des données[9]) ait supprimé l’obligation de déclaration, la CNIL reste le garant du respect de la conformité des systèmes de surveillance mis en place. Ces systèmes doivent garantir les libertés individuelles et le respect des données personnelles et respecter les principes de finalité, pertinence, durée de conservation, droits des personnes, sécurité, documentation. 

 

Un encadrement strict

Dans les entreprises, les caméras sont introduites pour protéger les clients et les salariés (obligation générale de sécurité, article L4121-1 du code du travail).

Le droit encadre ces dispositifs de contrôle (code du travail, code civil, RGPD). Tout dispositif de contrôle doit ainsi être justifié par la nature de la tâche à accomplir, et proportionné au but recherché (Code du travail, art. L. 1121-1, « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

L’utilisation de ces dispositifs de contrôle doit faire également faire l’objet d’une consultation des représentants du personnel, et d’une information individuelle des salariés (l’article L1222-4 du code du travail,« Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance. »)

La surveillance au travail nécessite de traiter des données personnelles à des fins diverses dont certaines peuvent présenter des risques pour les droits et libertés. Les dispositifs, qui collectent des données permettant l’identification des salariés, sont soumis à loi n°2018-493 du 20 juin 2018 qui a modifié la loi fondatrice dite « Informatique et Libertés » de 1978 afin de mettre en conformité le droit national avec le cadre juridique européen. et la mise en œuvre à travers le Règlement général sur la protection des données (RGPD

Un dispositif de surveillance ne doit ainsi en aucun cas conduire à une mise sous surveillance généralisée et permanente du personnel (délibération n°2014-307 du 17 juillet 2014 de la CNIL, décision du Conseil d’État du 18 novembre 2015).

Le développement de l’hybridation du travail soulève également la question de la surveillance potentielle au domicile du salarié avec l’usage de nombreux nouveaux outils (webcams, plateformes collaboratives, outils de visio-conférences). Une étude menée en 2023 par l’observatoire du télétravail de la CGT a montré des résultats surprenants. 5732 personnes ont répondu à cette étude. Les personnes interrogées, en situation de télétravail ont été questionnées sur leur perception de la surveillance organisationnelle et sur le contrôle managérial.

https://obstt.fr/actualites/

Seulement 8% des répondants déclarent ressentir l’un ou l’autre de ces deux types de surveillance.https://theconversation.com/8-des-teletravailleurs-seulement-se-sentent-surveilles-220717

Il s’agit d’une simple perception du contrôle qui peut être liée à une dynamique managériale impliquant l’autonomie et la confiance.

Alors que le but affiché est de protéger les collaborateurs et de se prémunir des risques, un contrôle déviant pourrait s’engager à l’insu des salariés.

Là où le terme de vidéo-protection est censé prendre tout son sens, l’employeur pourrait en réalité déployer une nouvelle forme de surveillance. Plusieurs entreprises ont d’ailleurs été épinglées, à l’instar de l’école 42[10] qui soumettait élèves et salariés à une surveillance permanente et excessive.

Souvent utiles à des fins de sécurité, les caméras en entreprise doivent être mises en place avec précaution et leur usage doit être strictement encadré au risque de réduire les libertés individuelle des salariés.


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[1] Délibération de la formation restreinte n°SAN-2023-021 du 27 décembre 2023 concernant la société AMAZON FRANCE LOGISTIQUE – Légifrance

 

[2] Pour rappel, cette procédure simplifiée concerne les affaires qui ne présentent pas une difficulté particulière et pour lesquelles une amende, pouvant aller jusqu’à 20 000 euros, peut être prononcée

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000025503132/LEGISCTA000025505402/2020-10-16

[4] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000035640828

[5] Panasonic, le spécialiste de la vidéosurveillance, présente une gamme complète de caméras, écrans moniteur, magnétoscopes longue durée et accessoires qui répondent à votre problème particulier (L’Express, 5 juin 19

81, p. 52)

[6] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000369046/

[7] JO du 21/01/95

[8] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000023707312

[9] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) JOUE L127 2 du 23/05/2018

[10] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/10/30/la-cnil-met-en-demeure-l-ecole-42-pour-de-nombreux-manquements-a-la-confidentialite-des-donnees-de-ses-etudiants_5376601_4408996.html

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