L’idée d’un passeport numérique universel, utilisable par tous les citoyens du monde, revient régulièrement dans les discussions sur la mobilité internationale et les innovations technologiques. Dans un monde où les frontières sont à la fois plus connectées et plus surveillées, un tel passeport pourrait transformer notre façon de voyager, de travailler, et même de concevoir la citoyenneté. Mais face aux défis techniques, juridiques et culturels, cette idée est-elle vraiment réalisable ?
Une contribution de Gregory Magnasco, Marketing Director chez Linxens Government
Des défis technologiques majeurs
Pour qu’un passeport numérique mondial devienne une réalité, des avancées significatives sont nécessaires, notamment en matière de sécurité des données. Stocker et protéger des informations biométriques et personnelles à l’échelle mondiale est un défi de taille, car les risques de cyberattaques et de fuite de données sont omniprésents. Selon un rapport de l’entreprise spécialisée Cybersecurity Ventures, les coûts mondiaux des cyberattaques devraient atteindre 10 500 milliards de dollars par an d’ici 2025, un chiffre qui souligne l’ampleur des risques auxquels un tel système serait exposé.
Le système d’identification numérique de l’Inde, Aadhaar, qui contient les données biométriques de plus d’un milliard de citoyens, a connu des failles de sécurité importantes, exposant les données personnelles de millions de personnes. Ce cas illustre les risques d’un système de passeport numérique mondial impliquant une base de données biométriques mondiale. De son côté, l’OACI veut standardiser les documents de voyage, preuve que l’idée d’un passeport numérique mondial dépasse la théorie.
Quelques initiatives, même si elles sont encore limitées, commencent à être envisagées pour permettre un passage aux frontières en utilisant l’identité digitale. C’est le cas à l’aéroport de Changi à Singapour, qui tente d’utiliser la blockchain pour renforcer la sécurité des identités.
Enjeux juridiques et souveraineté des États
Le passeport n’est pas seulement un document de voyage ; il incarne l’autorité d’un pays sur ses citoyens et son droit de contrôler l’accès à son territoire. Imaginer un passeport numérique mondial, uniforme pour tous, touche donc au cœur même de la souveraineté des États. À noter, la Chine recourt à un système de surveillance centralisée montrant la complexité de la souveraineté. De leur côté, les États-Unis se sentent menacés avec des bases de données centralisées. En Europe, l’Union européenne travaille sur un “e-ID” permettant aux citoyens d’accéder à divers services dans plusieurs pays. Cependant, plusieurs États membres craignent que ce système compromette leur autorité nationale, illustrant les réticences face à un document partagé au niveau mondial.
Les législations sur la protection des données personnelles diffèrent considérablement selon les régions. En Europe, le RGPD impose des règles strictes pour garantir la vie privée, alors que d’autres pays adoptent des normes différentes. À l’échelle mondiale, on estime que plus de 120 pays ont adopté des lois sur la protection des données, avec des exigences variées, ce qui complique encore la perspective d’un passeport numérique mondial harmonisé. Pour qu’un tel passeport fonctionne, il faudrait harmoniser ces normes et établir des règles communes, un travail titanesque qui suscite des résistances dans de nombreux pays où la souveraineté des données et la sécurité nationale priment sur les gains d’efficacité. Sans oublier les inégalités existantes dans les pays en voie de développement, où la population n’a pas accès à un internet stable ni à des infrastructures digitales correctes.
Le passeport physique : un symbole au-delà de l’identité numérique
Mais, au-delà des questions techniques et politiques, le passeport physique a une dimension culturelle et émotionnelle forte. Cet objet symbolise l’appartenance, l’identité et la sécurité. Pour beaucoup, posséder un passeport papier, avec ses visas et cachets, fait partie de l’expérience du voyage et représente un lien tangible avec son pays d’origine.
En période d’instabilité, cette sécurité physique prend encore plus de valeur. Contrairement aux données biométriques qui seraient stockées dans le cloud pour un passeport numérique, les informations – y compris les éventuelles données biométriques – du passeport physique sont intégrées directement dans le document lui-même. Elles ne sont donc pas vulnérables aux cyberattaques et ne sont pas accessibles à distance. Le passeport papier offre un niveau de protection de la vie privée que ne peut garantir un passeport numérique universel.
Au final, l’idée d’un passeport numérique mondial semble davantage répondre à une vision technologique de l’avenir qu’aux besoins réels des citoyens et des États. Le passeport papier, avec toute sa symbolique, son histoire et sa solidité, reste un choix rassurant et pragmatique dans un monde où la stabilité n’est pas – du moins encore – acquise.
Toutefois, un modèle hybride, dans lequel un passeport digital viendrait compléter les passeports physiques sans les remplacer, est envisageable. Cette approche conserverait les garanties de sécurité et de souveraineté du passeport traditionnel tout en tirant partie des avancées technologiques existantes.
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