Alors que les résultats de Meta sont exceptionnels, l’annonce d’un allongement des délais de retour sur ses investissements de R&D a été sévèrement sanctionnée par les marchés financiers. Au contraire, Google ampute sa capacité d’innovation et voit son cours bondir.
Une contribution d’Eric Braune Professeur Associé – Omnes Education Research Center
L’IA générative possède un énorme potentiel économique. Suivant les économistes de Goldman Sachs, celle-ci pourrait générer une croissance de 7% du PIB mondial et augmenter de 1,5% la productivité sur une période de 10 ans[1]. Les investissements des entreprises en capital physique, numérique et humain conditionnent l’atteinte de tels objectifs. Ces investissements pourraient représenter 200 milliards de dollars au niveau mondial d’ici 2025[2]. Portées par le potentiel du marché, les entreprises cotées liées à l’IA voient leur capitalisation boursière s’envoler. Ces entreprises viennent de publier leurs résultats pour le premier trimestre 2024. L’occasion de distinguer les stratégies valorisées par les marchés financiers de celles qui sont sanctionnées.
Mark Zuckerberg au pilori
Les résultats de Meta au premier trimestre 2024 sont exceptionnels. Le chiffre d’affaires du groupe est en hausse de 27%. Le résultat net a doublé et atteint 12,4 milliards de dollars sur un an. S’appuyant sur ces résultats, Mark Zuckerberg annonçait réviser à la hausse ses ambitions pour l’IA. Il soulignait sa volonté d’accroitre le montant de ses investissements en R&D et en infrastructure IA. Toutefois, le montant revu de ces investissements reste comparable à ceux de Microsoft ou Alphabet, entre 30 et 40 milliards de dollars par an.
Comment expliquer dès lors la chute de 16% du titre Meta coté au Nasdaq ?
Mark Zuckerberg a réclamé aux investisseurs du temps pour construire des modèles d’IA susceptibles de dépasser les limites actuelles de l’IA générative. Les retours sur de tels investissements ne peuvent s’envisager sur un horizon inférieur à 3 ans. L’inscription dans le moyen terme de la R&D menée par Meta a été sévèrement sanctionnée par le marché.
Alphabet chérit ses investisseurs.
Les résultats financiers de la maison mère de Google sont presque aussi bons que ceux de Meta. Comparé au premier trimestre 2023, le chiffre d’affaires d’Alphabet progresse de 16% et son résultat net de 56%. Toutefois la stratégie d’Alphabet diffère grandement de celle de Meta. Loin d’annoncer une hausse de ses investissements en R&D, les dirigeants d’Alphabet indiquaient le versement prochain d’un dividende, une première dans l’histoire du groupe. Également, un programme de rachat d’actions, à hauteur de 70 milliards de dollars, était dévoilé. Ces annonces ont entrainé une hausse de 12% du titre Alphabet coté au Nasdaq.
La morale de l’histoire
Mark Zuckerberg entend utiliser le cash-flow de Meta pour augmenter les budgets de R&D et fournir à moyen terme l’IA qui portera la hausse du PIB et de la productivité mondiale. L’annonce de son ambition est violemment sanctionnée par les marchés financiers. Dans le même temps, Alphabet ampute sa capacité d’innovation de 70 milliards de dollars pour satisfaire l’intérêt de court terme de ses investisseurs. La décision de la maison mère de Google est chaudement saluée par la bourse.
Ces constats nous rappellent que l’objectif des marchés financiers n’a jamais été de financer l’innovation mais d’apporter de la liquidité aux apporteurs de capitaux[3]. Les marchés financiers récompensent la liquidité des titres et ceci conduit les dirigeants à privilégier les investissements dont les délais de retour sont courts.
Depuis longtemps cette appétence des marchés financiers pour le court terme a favorisé l’arrivée de nouveaux entrants dans les secteurs les plus innovants. Généralement implantées dans des pays qui pratiquent le financement relationnel bancaire, comme le Japon ou la Corée du Sud, ces entreprises ont des stratégies d’innovation qui ne sont pas contraintes par des objectifs actionnariaux.
En Chine comme à Taiwan, l’Etat soutient financièrement l’établissement d’entreprises innovantes et accompagnent leur croissance sur le temps long. A titre d’exemple, le gouvernement taiwanais reste le premier actionnaire de TSMC, l’entreprise la plus technologiquement avancée de son secteur et qui détient plus de 50% du marché des puces électroniques.
En Europe, comme aux Etats-Unis, les investissements étatiques doivent-ils pallier l’absence d’appétence des marchés financiers pour la R&D et le temps long ? Comment des Etats surendettés pourraient-ils suppléer les insuffisances de marchés où s’échangent quotidiennement des centaines de milliards de dollars[4]. Les discours sur l’émergence d’IA souveraines ne peuvent faire l’économie qu’un questionnement approfondi sur les rôles qu’il convient d’assigner aux marchés financiers. A défaut, les Etats pourraient trouver dans la taxation des transactions financières les moyens de financer les projets innovants dont les délais de retour sont les plus longs.
À lire également : Upskilling et IA : l’employé idéal travaille déjà pour vous
[1] https://www.goldmansachs.com/intelligence/pages/generative-ai-could-raise-global-gdp-by-7-percent.html
[2] https://www.goldmansachs.com/intelligence/pages/ai-investment-forecast-to-approach-200-billion-globally-by-2025.html
[3] Lazonick, W., & O’sullivan, M. (2000). Maximizing shareholder value: a new ideology for corporate governance. Economy and society, 29(1), 13-35.
[4] Le 26 avril 2024 le montant des transactions du Nasdaq s’élevait à $282,152,831,506.
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits