La transition numérique de notre société appelle une révolution culturelle profonde concernant notre connaissance, notre compréhension et notre formation aux enjeux technologiques. Alors que les experts de tous bords esquissent les premières conséquences de la transformation digitale de notre économie et de notre société, les récentes réformes de la formation professionnelle et des lycées relancent la question de l’enseignement du numérique pour chacun, tout au long de la vie. Par Jean-François Castelluccia.
La question de la cohabitation entre l’Homme et la technologie constitue le fil rouge des débats sur notre rapport au digital, et ce depuis la genèse du numérique. Tantôt encensée pour sa capacité à faire progresser notre société, tantôt décriée pour ses effets directs ou collatéraux, la technologie est par nature clivante car elle porte en elle les germes du changement. Partant de ce constat, il est nécessaire d’en comprendre les tenants et les aboutissants afin de mieux anticiper et maîtriser les conséquences de ces changements.
Non, le numérique n’est pas une fatalité !
Plusieurs experts ont récemment attiré notre attention sur les implications sociales de la transformation numérique de notre économie. Fin juin, le cabinet d’études Oxford Economics révélait ainsi que 20 millions d’emplois, principalement dans l’industrie mais également dans les services, seraient automatisés à horizon 2020. L’intelligence artificielle va également modifier en profondeur notre rapport au travail. Si les experts divergent sur la nature de ces évolutions, ils s’accordent pour dire que près de 50% des métiers seront concernés, à plus ou moins long terme.
Dès lors, la question est moins de savoir si nous devons accepter ces changements – ils sont déjà à l’œuvre – que de savoir comment les aborder. Systémique par nature, le numérique a des implications multiples et évolutives qui nécessitent un apprentissage pluridisciplinaire – scientifique, économique, philosophique, sociologique, écologique, etc. – et continu pour en comprendre toutes les subtilités et s’assurer d’être constamment à jour. Aujourd’hui l’apanage d’une poignée d’experts, la connaissance et la maîtrise du digital doivent devenir une véritable cause nationale au service de la transformation culturelle de notre société.
Être en capacité d’apprendre le numérique tout au long de sa vie
Si les discours semblent converger vers ce nécessaire apprentissage du digital par toutes et tous, tout au long de la vie ; dans les faits, beaucoup – pour ne pas dire tout – reste à faire.
Quasi absent des programmes pédagogiques, l’enseignement du numérique pointera le bout de son nez à la rentrée prochaine. Si des cours de code sont dispensés depuis 2017 en primaire et au collège, la connaissance technologique n’infiltre réellement les programmes du secondaire qu’en septembre 2019. La réforme du lycée prévoit ainsi un enseignement obligatoire commun de « Sciences numériques et technologie » de 1h30 par semaine en Seconde, et un enseignement de spécialité « Numérique et sciences informatiques » à raison de 4 h (Première) puis de 6 h (Terminale) par semaine. Une nouvelle encourageante, même si de tels cours sont dispensés depuis plusieurs années aux Etats-Unis et en Chine.
Investir dans l’enseignement primaire et secondaire est nécessaire pour garantir l’égalité des chances de chacun à comprendre les fondements numériques. Cela ne conditionne pas pour autant notre capacité à appréhender les immanquables évolutions du digital, ni même à nous ré-orienter professionnellement dans le numérique. Notre intégration de plus en plus profonde avec la technologie, que ce soit dans la sphère privée ou professionnelle, implique que nous puissions nous former tout au long de notre vie. Cet enjeu en d’autant plus important à l’heure où près d’un actif sur trois déclare s’être reconverti ou vouloir se reconvertir professionnellement dans le numérique, selon un sondage OpinionWay publié en début juillet.
Ainsi, 38% des sondés estiment que la formation au digital n’est pas à la portée de tout le monde. En cause : la nécessité d’avoir des compétences techniques (60%) et le coût trop élevé de la formation (42%). La récente réforme de la formation professionnelle apporte une première réponse à ces inquiétudes en rendant plus transparent les crédits disponibles sur son compte formation, en étendant le périmètre d’application de la formation professionnelle et en renforçant l’accompagnement professionnel. Si le savoir et la pédagogie restent nos meilleurs atouts pour accueillir positivement ces évolutions et en faire des vecteurs de progrès pour nous-mêmes et pour la société, il convient néanmoins d’en accélérer les conditions d’accès.
Par Jean-François Castelluccia, directeur du SQLI Institute
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