Le milliardaire Peter Thiel, un des investisseurs de Facebook, a secrètement financé la start-up Bolden à l’origine d’un piratage de WhatsApp.
Alors que la société israélienne de logiciels d’espionnage NSP Group fait l’objet d’une nouvelle enquête pour l’utilisation abusive de ses outils de piratage de WhatsApp, une start-up américaine aurait également pu contourner la sécurité de l’application de messagerie. Cette start-up a été secrètement financée par l’investisseur milliardaire de la Silicon Valley, Peter Thiel.
Depuis sa création en 2017 à San Diego, la start-up Boldend a fait profil bas, car sa mission est de créer des outils d’aide aux cyberguerres en mettant l’accent sur l’automatisation. Actuellement, la start-up n’a qu’un seul client pour qui confidentialité et secret sont les mots d’ordre : le gouvernement américain.
Bien que la start-up Boldend n’ait pas fait la une de la presse, elle a été citée dans un article du New York Times sur NSO Group. En outre, selon une présentation réalisée par le géant de la défense Raytheon, Boldend aurait développé les moyens de pirater WhatsApp. L’application de messagerie a tout de même réussi à bloquer ces potentiels piratages grâce à une mise à jour de sécurité en janvier 2021. Pour la première fois, le logiciel de cyberguerre développé par Boldend a été exposé publiquement, après l’annonce de partenariat entre la start-up et Raytheon en 2020.
Les deux entreprises avaient alors déclaré vouloir construire des « produits automatisés qui accélèrent le développement et le déploiement de cyberoutils pour les opérations et les systèmes essentiels à la sécurité nationale. » Les deux entreprises ont également annoncé leur intention d’intégrer la technologie Origen, développée par Boldend, dans la filière de développement technologique de Raytheon. La technologie Origen est un logiciel à la demande (ou SaaS) axé sur la sécurité et la création rapide de produits cybernétiques.
Un autre détail a attiré l’attention du public. Une diapositive de la présentation réalisée par Raytheon affirmait que la société Boldend était soutenue par Founders Fund, l’outil d’investissement de Peter Thiel. Ce fait n’avait jusqu’alors jamais été divulgué. Deux sources proches de Boldend ont confirmé à Forbes que la start-upde cyberguerre était effectivement financée par la société Founders Fund. En outre, une de ces sources a affirmé que la société avait injecté plus de dix millions de dollars durant les premières années d’existence de la start-up. Ni Founders Fund ni Boldend n’ont répondu aux sollicitations de Forbes pour commenter cette information.
Tout cela peut sembler ironique : Peter Thiel, l’un des investisseurs les plus connus de Facebook, a également investi dans une entreprise qui a essayé de pirater la technologie d’une société appartenant à Facebook. Ce n’est pas la première fois que Peter Thiel investit dans une entreprise qui risque d’enfreindre les règles de Facebook pour aider les forces de l’ordre. En effet, la société Founders Fund a soutenu ClearView AI, une entreprise de reconnaissance faciale qui a exploité Facebook pour remplir une énorme base de données de visages que la police a pu utiliser par la suite dans le cadre d’enquêtes.
Au croisement de la cybernétique offensive et défensive
Par extension, Peter Thiel investit également dans une société de rançongiciel, Halcyon, entièrement détenue par Boldend. En effet, le site internet d’Halcyon mentionne la société Founders Fund en tant qu’investisseur.
En se positionnant à la croisée de la cybernétique offensive et défensive, Boldend est devenue l’une des rares entreprises de cyberguerre « à spectre entier » axées sur la protection et l’attaque de clients gouvernementaux et d’entreprises. Une poignée de start-up dans cette niche de marché ont vu le jour ces dernières années, à la recherche d’un soutien financier de la part de spécialistes du capital-risque. Parmi ces start-up, l’on peut citer QOMPLX, une société de cybersécurité évaluée à 1,4 milliard de dollars avec 96 millions de dollars de revenus, ou encore la société BlackHorse Solutions, qui avait levé neuf millions de dollars de fonds avant d’être rachetée par Parsons Corp, pour 200 millions de dollars à l’été 2021.
La société BlackHorse, qui possède davantage de contrats publics que Boldend ou QOMPLX, promet de réunir les « opérations de cyberguerre, de guerre électromagnétique et d’information pour les clients du département de la défense et de la communauté du renseignement. » Forbes a réussi à se procurer quelques-uns de ces contrats. La société BlackHorse était notamment chargée de réaliser des recherches sur le dark web pour l’armée américaine et de former le United States Marine Corps Forces Cyberspace Command (le Commandement du cyberespace du corps des Marines des États-Unis, NDLR.) sur la manière d’exploiter les renseignements de source ouverte sur internet. Au cours des cinq dernières années, l’entreprise a décroché de nombreux contrats de plusieurs millions de dollars avec le Pentagone, dont un contrat de 90 millions de dollars pour fournir des « solutions d’automatisation à l’appui de l’U.S. Cyber Command. »
Bien que deux sources connaissant la société aient déclaré qu’il était inhabituel pour Boldend de développer des outils comme ceux imaginés pour WhatsApp (d’ailleurs, l’outil décrit par le New York Times n’a peut-être jamais été utilisé), si la start-up est à nouveau chargée de développer de tels outils, elle pourrait alors entrer en concurrence avec d’autres entreprises pour tenter de percer la sécurité des applications cryptées comme WhatsApp. Boldend peut désormais être considérée comme une société rivale de NSO Group, ainsi que d’autres start-up soutenues par les États-Unis, comme Paragon. Cette dernière, comme Forbes l’a rapporté l’année dernière, s’est spécialisée dans l’infiltration d’applications de messagerie, comme Signal, WhatsApp et Telegram. Elle a reçu le soutien financier de Battery Ventures, une société basée à Boston, pour mener à bien cette mission.
Boldent reste une petite entreprise, avec seulement 13 millions de dollars de fonds levés à ce jour pour une valeur totale de l’entreprise de 31 millions de dollars. Cependant, comme l’a déclaré à Forbes l’un des investisseurs de la société (qui a demandé à rester anonyme, car il n’était pas autorisé à s’exprimer), Halcyon est potentiellement plus rentable, étant donné que cette société pourrait vendre un produit commercial à des milliers d’entreprises et pas seulement à une poignée d’agences de renseignement occidentales.
Comme beaucoup de nouveaux employés d’Halcyon, de nombreux employés de Boldend viennent de Cylance, une société de sécurité défensive qui déclare utiliser l’intelligence artificielle pour sécuriser les réseaux. La société Cylance a été rachetée par BlackBerry en 2019.
Boldend ne court pas après la publicité et son site internet de deux pages ne révèle guère davantage d’informations : « Nos solutions associent des composants de guerre électronique de pointe à des opérations cybernétiques de nouvelle génération ». En outre, la page « Produits » exige que le visiteur possède un mot de passe.
Article traduit de Forbes US – Auteur : Thomas Brewster
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