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Un ancien dirigeant de Palantir crée un outil de surveillance pour la police, inspiré de Google

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Un ancien dirigeant de Palantir crée un outil de surveillance pour la police, inspiré de Google. Getty Images

Fondée et soutenue par d’anciens dirigeants de Palantir, la société Peregrine Technologies espère accélérer l’accès des services de police locaux aux données de surveillance tout en limitant les abus liés à l’utilisation de ces technologies par les forces de l’ordre.

Un article de Thomas Brewster pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

À la mi-2021, Nick Noone a témoigné en tant qu’expert lors d’un procès pour meurtre dans une salle d’audience de la région de la Baie, aux États-Unis. Le logiciel de son entreprise, Peregrine, avait permis aux enquêteurs du département de police de San Pablo de relier des données de localisation mobile, des informations sur les plaques d’immatriculation, des archives policières historiques et des enregistrements de caméras de surveillance, ce qui a aidé à placer plusieurs suspects sur le lieu du crime. Il présentait alors les preuves au tribunal.

Le jury a été convaincu. Peu après, les accusés ont été condamnés à de longues peines de prison. « Peregrine a vraiment été un outil puissant pour la poursuite de cette affaire en particulier », se souvient Brian Bubar, chef de la police de San Pablo.

Ce succès a marqué une victoire pour le logiciel, que Noone et son cofondateur Ben Rudolph avaient conçu après avoir passé 18 mois au sein du département de police de San Pablo. Durant cette période, ils ont travaillé sur des affaires majeures aux côtés de détectives chevronnés, afin de comprendre comment les services de police locaux pouvaient mieux exploiter les données disponibles pour résoudre des crimes. Forts de cette expérience, ils ont développé un outil qui fonctionne comme un Google ultra-performant pour les données policières. En entrant un nom ou une adresse dans l’application web de Peregrine, le logiciel analyse rapidement les archives judiciaires, les rapports d’arrestation, les entretiens policiers, les transcriptions de caméras corporelles, et tout autre ensemble de données policières disponibles, pour trouver des correspondances. Ce logiciel permet désormais de rendre accessibles, via une application simple et rapide utilisable depuis un navigateur web, des données autrefois dispersées dans une multitude de systèmes plus anciens et plus lents.

Avec peu de marketing, Peregrine et ses cofondateurs ont rapidement fait parler d’eux au sein des forces de l’ordre grâce au bouche-à-oreille. Un an avant le procès, Noone avait quitté un poste de cadre chez Palantir, une entreprise gouvernementale valorisée à 20 milliards de dollars, où il avait passé des années au Moyen-Orient à collaborer avec l’armée américaine. Là-bas, il exploitait des ensembles de données de renseignement disparates pour aider à identifier les membres de l’État islamique en Syrie. Peu de temps après, il a fait équipe avec Rudolph, un ancien technologue de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, pour fonder Peregrine. Leur objectif était d’adapter la technologie utilisée par Palantir pour traquer les membres de l’État islamique aux besoins des services de police locaux, en intégrant leurs divers flux de surveillance et bases de données pour une police plus rapide et plus efficace. Ce type de transfert de technologie militaire vers les forces de l’ordre locales suscite toutefois souvent des préoccupations chez les défenseurs des droits civiques.

 

Peregrine : quand l’immersion sur le terrain gagne la confiance des forces de l’ordre

Les chefs de police ont été immédiatement séduits par l’approche des cofondateurs de Peregrine, qui ont choisi de s’immerger pleinement au sein des départements de police pour mieux comprendre leurs besoins spécifiques. « L’une des raisons pour lesquelles cette communauté nous a accordé sa confiance, c’est que, bien que nous soyons des outsiders, nous ne restons pas confinés dans nos tours d’ivoire de la Silicon Valley », a expliqué Nick Noone, 35 ans, lors d’une interview de deux heures à Londres en mai dernier. Cette approche lui vient de son expérience au Moyen-Orient, où il a compris qu’au lieu de « théoriser sur ce dont le monde a besoin », les technologues doivent collaborer directement avec ceux qu’ils servent.

« Nick met véritablement ses principes en pratique », a affirmé Morgan Hitzig, qui a rejoint Peregrine peu après son retour d’Afghanistan, où elle avait aidé la Marine à organiser le retrait des forces américaines en 2021. « Il tient à comprendre en profondeur les défis auxquels chaque agence de maintien de l’ordre est confrontée. » (Hitzig a quitté l’entreprise plus tôt cette année pour devenir investisseuse chez Venrock.)

À ce jour, Peregrine a conclu 57 contrats avec diverses agences de police et de sécurité publique à travers les États-Unis, d’Atlanta à Los Angeles. En 2023, le chiffre d’affaires de l’entreprise a triplé, passant de 3 millions à 10 millions de dollars. Noone prévoit qu’il triplera à nouveau cette année pour atteindre 30 millions de dollars, soutenu par un financement de 60 millions de dollars provenant de fonds tels que Friends & Family Capital et Founders Fund. Deux de ses anciens collègues de Palantir, aujourd’hui investisseurs en capital-risque — l’ancien directeur financier Colin Anderson et l’ex-ingénieur Trae Stephens — ont mené des tours de financement distincts. Après sa dernière levée de fonds de 30 millions de dollars, Peregrine est évaluée à 360 millions de dollars et a été sélectionnée dans la liste des Next BillionDollar Startups de Forbes pour 2024, qui met en avant 25 entreprises susceptibles de devenir des licornes.

 

La montée en puissance de la surveillance en temps réel

Les services de police locaux, souvent sous-financés, ont rarement les moyens d’acquérir la technologie disponible pour les grandes agences. Les centres de surveillance high-tech, appelés en anglais Real-Time Crime Centers (RTCC), nécessitent des équipements et des logiciels coûteux, ce qui les rend généralement accessibles uniquement aux grands départements. Cependant, la technologie développée par Peregrine permet de rendre les RTCC beaucoup plus abordables et accessibles pour les agences plus modestes.

Pour Noone, l’objectif est de maintenir les coûts aussi bas que possible. « Quand je vois un contrat d’un million de dollars, je trouve ça un peu trop élevé », a-t-il expliqué. « La valeur moyenne de nos contrats est de 280 000 dollars par an. Si c’était encore moins, je serais d’autant plus satisfait. Nous avons même un client qui ne paie que 32 000 dollars par an, et cela a été une grande réussite. »

Cela ne signifie pas que les départements bien financés ignorent l’offre plus abordable de Peregrine. Au cours des deux derniers mois, le bureau du shérif du comté d’Orange a établi son RTCC grâce à un contrat de 900 000 dollars avec Peregrine. « Grâce aux applications natives dans le cloud, les agences, qu’elles soient grandes ou petites, peuvent déployer ces technologies modernes très rapidement, avec des coûts et une infrastructure bien moindres », a expliqué Dave Fontneau, directeur informatique du bureau du shérif du comté d’Orange, dans un entretien avec Forbes. De plus, à la fin du mois de juillet, le département de police de Los Angeles, l’un des plus grands du pays, a signé un contrat de 2,8 millions de dollars avec Peregrine pour soutenir le « Project Blue Light », une initiative visant à lutter contre la criminalité organisée dans le commerce de détail.

Cependant, le coût réduit des RTCC suscite des préoccupations chez les défenseurs de la vie privée, en raison du risque accru de surveillance indiscriminée. « Nous constatons que de nombreux services de police, quelle que soit leur taille, ont désormais accès aux centres de criminalité en temps réel, ce qui élargit considérablement l’accès aux flux de surveillance, même pour les plus petites agences qui trouvaient auparavant ces technologies hors de portée financière », a déclaré Beryl Lipton, chercheuse principale à l’Electronic Frontier Foundation (EFF). « Ces types d’entreprises rencontreront toujours des difficultés à protéger la vie privée, car leur fonctionnement repose essentiellement sur des technologies qui portent atteinte à celle-ci. »

Lipton suit de près l’évolution des RTCC via l’Atlas of Surveillance de l’EFF, qui recense aujourd’hui au moins 150 centres en activité. Elle estime toutefois que ce chiffre est probablement sous-évalué, le nombre de centres ayant augmenté si rapidement qu’il est difficile d’en tenir un compte exact. Elle ajoute que les RTCC, tout comme la technologie de Peregrine, peuvent également favoriser la « police prédictive », souvent critiquée pour cibler de manière injuste les quartiers les plus pauvres et les communautés non blanches.

Pour répondre à ces préoccupations, Peregrine a fait appel à Adam Klein, ancien président du Conseil de supervision sur la vie privée et les libertés civiles des États-Unis, une agence chargée de s’assurer que les programmes de lutte contre le terrorisme de la NSA, du FBI, de la CIA et du DHS respectaient la Constitution. En tant que conseiller de l’entreprise, Klein a formé le personnel de Peregrine sur les moyens d’éviter les erreurs commises par ces agences de renseignement et sur la manière de concevoir une « architecture » qui protège la vie privée et les libertés civiles dans le cadre de la collecte de données. « Si vous ne mettez pas ces mesures en place dès le début, il sera très difficile de les intégrer par la suite, lorsqu’un problème surviendra », a-t-il expliqué à Forbes.

Chez Peregrine, cela se concrétise par un journal d’audit régulièrement mis à jour et par des contrôles d’accès rigoureux pour les données les plus sensibles. Par exemple, pour rechercher des emplacements de véhicules à partir de lecteurs de plaques d’immatriculation, les utilisateurs doivent saisir un numéro de dossier ou fournir une justification précise. La reconnaissance faciale est strictement interdite, en raison des arrestations injustifiées causées par une utilisation excessive de cette technologie. Pour détecter d’éventuels abus, Peregrine est également capable de créer des graphiques sur le comportement des policiers et de surveiller l’usage de la force par les agents. Dans ses contrats, Peregrine inclut une clause intitulée « Protection de la vie privée et des libertés civiles », rappelant aux forces de l’ordre qu’elles sont les dépositaires des « données sensibles au nom du public ».

Mais Noone ne se satisfait pas de voir sa technologie utilisée uniquement pour renforcer les capacités de surveillance de la police. Après que Peregrine a contribué à la condamnation des deux suspects de meurtre, il se souvient avoir pensé : « Ce n’est pas vraiment une victoire. On les regarde et on se demande : qui sont ces individus ? Qu’est-ce qui les a amenés ici ? Comment en sont-ils arrivés là ? Et surtout, comment peut-on rompre les cycles de criminalité ? »

Noone espère que Peregrine pourra, à terme, aider les services de police et autres agences gouvernementales à s’attaquer aux problèmes sociétaux qui incitent les gens à enfreindre la loi. Il envisage d’étendre l’utilisation de cet outil à d’autres agences locales, pour leur permettre d’explorer les données urbaines et de mieux comprendre les causes de la criminalité à un moment et en un lieu précis. « À quelle heure les jeunes sortent-ils de l’école ? Les bibliothèques sont-elles ouvertes ? Quelles activités sont proposées dans les programmes parascolaires ? Ce sont des questions cruciales qu’une ville devrait se poser », a-t-il expliqué.


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