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Thibaud Elzière, cofondateur de Hexa et d’eFounders : « Il vaut mieux soutenir nos licornes européennes que françaises pour espérer s’imposer à l’international. »

Thibaud Elziere, cofondateur de Hexa et eFounders.
Thibaud Elziere, cofondateur de Hexa et eFounders.

Thibaud Elzière est un multi-entrepreneur français qui a créé le start-up studio eFounders en 2011 avec Quentin Nickmans. En 12 ans d’existence, cette entité a soutenu plus d’une trentaine d’entreprises dans leur développement et 3 d’entre elles ont atteint le rang légendaire des licornes (Front, Aircall et Spendesk). Pour Forbes France, il nous explique son nouveau projet baptisé Hexa qui est destiné à répliquer ce modèle de soutien aux start-up à d’autres secteurs stratégiques comme le climat, l’éducation et la santé.

En quoi consistait Fotolia et pourquoi avoir voulu créer un start-up studio ?

J’avais 25 ans quand j’ai créé Fotolia en 2004 en parallèle de mes études. Par ailleurs, le SaaS n’existait pas encore à ce moment-là et nous avons passé la moitié de notre temps à coder les applications. Il s’agissait d’une banque d’images crowdsourcée qui a explosé en seulement deux ans. Nous voulions devenir la plus grosse banque d’images sur le marché, devant Getty Images, et notre ambition a été remarquée car en 2014 Adobe nous a racheté pour près de 800 millions de dollars.

Le fait d’avoir déjà créé une première société m’a donné envie de me lancer dans autre chose. J’ai donc cofondé le start-up studio eFounders et les 5 premières pépites que nous avons lancées ont été Textmaster, Mailjet, Mention, Front et Aircall.

Qu’est-ce qui change dans votre fonctionnement comparé aux incubateurs classiques ?

On ne conseille pas, on fait. C’est la grande différence car nous n’accompagnons pas une startup en cours de route, nous créons nos propres projets en partenariat avec les entrepreneurs. Par exemple, dans le cadre du projet Front, j’ai désigné moi-même le logiciel et me suis intéressé à comment l’amener sur le marché. J’ai ensuite pitché l’idée à des entrepreneurs qui ont aimé l’idée et qui ont eu ensuite 6 mois pour créer un MVP (Minimal Viable Product).

Une fois le produit bien abouti, nous avons laissé les clés à l’entrepreneur qui a dû à son tour recruter une équipe pour rendre la startup indépendante du studio. À savoir toutefois que la start-up ne gagne pas son indépendance tant qu’elle n’a pas bouclé sa première levée de fonds.

Initialement, nous nous sommes intéressés au secteur du SaaS puis nous avons progressivement élargi notre scope au futur du travail, notamment en lançant Spendesk sur le marché – devenue une licorne depuis. Nous avons ainsi facilité la création de plus de 30 entreprises dans ce secteur stratégique.

Dernièrement, nous avons lancé Hexa, destiné à standardiser notre modèle de start-up studio à d’autres verticales. Nous avons par exemple rencontré Camille Tyan (Marble) pour commencer par le secteur des fintech (Logic Founders), puis Florent Quinti (Salesmachine) en début d’année sur le Web3 (3founders). L’objectif étant de créer de nouveaux studios en Europe sur des verticales d’avenir comme la santé, l’éducation ou encore le climat. À terme, nous aimerions créer deux nouveaux studios par an et nous ne sommes pas exclus à nous exporter dans d’autres villes européennes.

Quelles sont selon vous les grandes tendances à suivre en matière d’investissement ?

Tout d’abord, le SaaS s’impose toujours, même si personne n’y croyait au début des années 2010. Les grands fonds ne juraient à l’époque que par l’e-commerce. Mais le software est aujourd’hui en train de révolutionner tous les secteurs : il y a tellement d’argent en jeu que ce ne sont pas seulement les outils de productivité qui captent l’attention mais aussi les logiciels au service du climat ou encore de la santé.

Traditionnellement, si un entrepreneur se lance dans une aventure entrepreneuriale, c’est avant tout parce qu’il y croit et pense que son idée peut révolutionner un secteur. Et les sujets d’actualité trustent l’intérêt. On va ainsi voir de plus en plus d’idées pour résoudre des problèmes liés à l’impact environnemental de l’Homme. 

En parallèle, les fonds d’investissement sont souvent tributaires des tendances du moment et il est vrai qu’une grande majorité a démontré un fort enthousiasme autour du Web3. Je n’ai pour ma part jamais vraiment cru à la mouvance Web3 relatée par les médias NFT ou crypto mais une chose est sûre : la blockchain peut résoudre des problèmes de confiance majeurs et ainsi révolutionner des usages.

Mais de très bons fonds d’envergure sont aussi au-dessus de ça et choisissent de soutenir des entrepreneurs audacieux ne suivant pas les tendances.

Il y a trois mois, dans le cadre d’un article pour le magazine de Forbes France sur les alternatives de la Tech face à la contraction des investissements, l’avocat spécialisé en fusion acquisition et private equity Wyssam Mansour m’expliquait que chez les investisseurs « la réflexion est aujourd’hui bien plus focalisée sur l’utilité du business model en début de course ». C’est un critère qui contribuera sans doute à faire le tri dans un marché de la tech aux limites de la saturation, vous ne croyez pas ?

Il n’a pas tort dans un sens car une partie des entrepreneurs ces dernières années n’avait pas forcément l’objectif de créer un projet pertinent : pour certains d’entre eux, ils désiraient surtout lever des fonds à tout prix. La deuxième chose à savoir c’est que les VC sont là pour financer un certain type de boîtes innovantes avec un fort potentiel de croissance. Ainsi, cela va être très compliqué par exemple pour un restaurant de lever des fonds, même si son pitch reste très innovant.

En revanche, et le marché nous l’a démontré, quand le business model a un fort potentiel de scalabilité, les entreprises atteignent aujourd’hui des valorisations très proches de celles du software. Le problème est le fait de financer en venture capital des modèles qui ne sont pas adaptés à la scalabilité. Alors que plein d’alternatives existent comme les financements bancaires, la dette, les aides publiques, le non dilutif, les obligations convertibles…

Est-ce que la recherche de rentabilité fait aussi partie des objectifs aujourd’hui ?

Il y a des secteurs qui sont structurellement rentables comme le software par exemple. La différence aujourd’hui c’est que les investisseurs vont essayer de s’assurer que cette phase de rentabilité arrive le plus vite possible. Ils vont aussi veiller à ce que la frugalité soit de mise : un investisseur te donne de l’argent pour que tu le brûles mieux que les autres.

Depuis la création du label French Tech en 2014, la course aux start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars attire les entrepreneurs. Alors qu’il n’existait que 2 licornes en 2015, elles sont aujourd’hui au nombre de 26 et l’exécutif vise maintenant un nouveau cap : 100 licornes d’ici 2030. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas vraiment un fan de ce terme “French Tech” car cela laisse entendre que c’est uniquement grâce au label initié par le gouvernement que l’écosystème a vu le jour. Mais c’est bien grâce aux entrepreneurs, aux employés, aux investisseurs ou encore aux chercheurs que la French Tech doit son succès.

L’objectif de la France est d’atteindre 100 licornes d’ici 2030 et non rachetées par des sociétés américaines. La réalité c’est que nous avons déjà plus de 250 licornes, mais au niveau européen. De mon point de vue, il vaut mieux avoir un objectif de soutien des licornes européennes pour espérer s’imposer à l’international.

Il vaut mieux donc défendre la souveraineté européenne que française selon vous ?

Sur la question de la souveraineté, on peut se demander : à quoi bon la chercher à tout prix, finalement ? Il ne faudrait pas qu’elle soit confondue avec du patriotisme mal placé. Évidemment, la souveraineté européenne va dans le bon sens car nous partageons tous une vision du monde commune vis-à-vis du numérique : notamment en matière de protection de la vie privée ou encore de gestion et d’hébergement des données.

Le cadre législatif est en ce sens indispensable mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi, pour être souverain, renforcer notre écosystème en faisant émerger des acteurs économiques à même de s’imposer sur la scène internationale.

Lorsque nous avons lancé Aircall en 2014, nous étions contraints de le faire à New York pour nous développer aussi rapidement. Et encore aujourd’hui, nous avons chez Hexa une part trop importante de nos startups qui sont basées aux États-Unis. Mais si demain, cette même perspective est possible au niveau européen, nous serions plus que ravis.

Quelques solutions sont possibles ?

Plusieurs solutions pour y parvenir sont possibles. Nous pourrions déjà créer un statut de société européenne pour augmenter la probabilité que nos entreprises restent en Europe. Il faut également soutenir massivement le financement européen pour limiter nos dépendances et mieux fédérer nos écosystèmes. C’est d’ailleurs ce que nous essayons de faire avec Roundtable, un logiciel qui s’emploie à faciliter la création de communautés d’investisseurs pour lever les freins à l’investissement en Europe.

Enfin, une bourse d’échange européenne pourrait être mise en place pour prévoir de la liquidité auprès des actionnaires historiques et ainsi espérer créer de gros acteurs de la tech européenne. Les pouvoirs publics peuvent nous aider mais il ne faut pas négliger le grand potentiel des actions individuelles.

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