Le tennis est devenu un sport numérique en 2014 quand la marque française Babolat a lancé la première raquette connectée. Elle reste seule sur le marché pour l’instant. Ni le grand public, si les professionnels ne l’ont pour l’instant massivement adoptée.
Si Rafael Nadal remporte Roland-Garros dimanche, sa dixième victoire dans le tournoi parisien sera saluée pour ce qu’elle est : un accomplissement sportif sans précédent. Nadal marquerait l’histoire d’une autre façon. Il serait le premier joueur à remporter un grand titre de tennis avec une raquette connectée. Ne pas confondre la raquette connectée avec une baguette magique : elle n’a aucun super pouvoir dans le déroulé du jeu. L’outil de Nadal est simplement équipé de capteurs capables de lui délivrer, après son match, une série de données sur ses coups. Nadal joue avec la Babolat Play Aero Pro Drive, disponible sur le marché pour les joueurs amateurs au prix de 300 euros environ. N’importe quel joueur du dimanche peut accéder au même privilège.
La marque française Babolat est la seule à avoir développé ce type de raquette. Elle a lancé son premier modèle en 2014. En dehors de Nadal, seuls deux autres joueurs de tout premier plan utilisent son matériel connecté, et il s’agit de joueuses : la Porto-Ricaine Monica Puig, championne olympique à Rio, et la Danoise Caroline Wozniacki, ex-numéro un mondiale. Toutes les autres stars sous contrat avec la marque Babolat conservent des modèles traditionnels. Babolat équipe huit joueurs ou joueuses parmi les trente meilleurs mondiaux. Parmi eux, le numéro un français Jo-Wilfried Tsonga, le numéro un américain Jack Sock, l’Espagnol Albert Ramos-Viñolas, la Française Alizé Cornet ou la Suissesse Timea Bacsinszky. Tous jouent avec du matériel démuni de tout dispositif digital.
» Un vrai virage, qui nécessite du temps «
Babolat » ne diffuse pas » le nombre de raquettes vendues à ce jour. Une porte-parole de la marque lyonnaise précise qu’il est » conforme à (ses) objectifs « . Mais David Gire, directeur commercial de la marque en France, décrit un décollage timide. » C’est vraiment nouveau, estime-t-il. On a aussi mis la raquette sur le marché pour voir comment celui-ci répondait. Il a fallu former les équipes de vente, former notre distribution. C’est un vrai virage, qui nécessite du temps. La démarche est très longue. En attendant, elle nourrit l’image d’une marque innovante. «
Cette incertitude sur l’impact du tennis connecté s’inscrit dans celle qui entoure la place de l’IoT ( » Internet of things « , l’internet des objets) à l’échelle mondiale. Quand Babolat était sur le point de placer sa première raquette connectée, certaines prospectives tablaient sur la présence de 80 milliards d’objets connectés dans le monde en 2020. Gartner, cabinet américain de conseil et de recherche situé à Stamford, vient de faire paraitre une étude tablant sur 20,4 milliards d’objets à la même date, contre 6,4 milliards en 2016 et une projection de 8,4 en 2017. » La vision d’Eric Babolat (PDG de l’entreprise), c’est que l’ensemble de nos gammes seront connectées à l’horizon 2020 » certifie David Gire. Il y a deux ans, l’héritier du fondateur Pierre Babolat (1875) misait sur un » tennis entièrement connecté en 2020 « , un scénario qui semble aujourd’hui peu réaliste.
Les concurrents jouent clairement la carte de l’attentisme. » Le tennis n’est pas un sport d’innovation radicale, c’est un marché très difficile à faire évoluer, confie Antoine Oui, directeur de produit chez la marque américaine Wilson, équipementier de Roger Federer et Serena Williams. Les étapes fondamentales ont été le passage du bois au métal, du métal au carbone. L’innovation apportée par Babolat est très intéressante mais le marché reste très classique. Quand les gens ont trouvé une raquette, ils ne la changent pas. Il faut beaucoup d’efforts pour modifier l’attitude du consommateur. » Wilson a déjà dans sa gamme des ballons de basket et de football américain connectés. » Nous avons développé un usage ludique de ces ballons qui n’apparaît pas clairement pour le tennis, poursuit Antoine Oui. Or, le consommateur lambda a ce besoin. «
» Difficile d’exister sur un marché quand on est seuls «
Babolat a encouragé un dispositif de gamification avec sa propre appli, en incitant les joueurs à passer des » niveaux « , comme dans un jeu vidéo, pour récompenser la régularité de leur pratique. Mais la raquette connectée produit surtout des données sur le comportement de la balle dans la raquette du joueur. Or le milieu du tennis fait un apprentissage compliqué des bases de données prodigieuses qui sont désormais à sa portée, entre autres car l’offre manque de cohérence. Le joueur Babolat peut aujourd’hui avoir accès à son nombre de coups frappés, quels types de coups, quels effets et quelle précision de centrage, mais il ne le renseigne ni sur l’efficacité dans l’échange (une balle bien centrée peut-être » out « ), ni sur la qualité de son jeu (que dit son activité sur ses résultats). Aucune offre ne permet à ce jour de croiser les informations de la raquette et celles de la balle sur le terrain.
Les concurrents de Babolat n’ont pour l’instant pas donné signe de vie sur ce marché. Ni Head (équipementier du n°1 mondial Andy Murray et son prédécesseur Novak Djokovic), ni Yonex (sous contrat avec le numéro 3 mondial Stanislas Wawrinka), ni Prince (qui équipe le grand espoir français Lucas Pouille). » Il est plus difficile d’exister sur un marché quand on est seul, constate David Gire. Si d’autres marques développaient des produits connectés, nous en serions très heureux. Cela permettrait de nous challenger et pourrait nous permettre de réfléchir autrement. Ça alimenterait aussi notre démarche et crédibiliserait les services et produits qu’on a développés. » » La face cachée de l’iceberg, c’est que toutes les marques travaillent avec de la connectivité pour développer leurs produits, témoigne Antoine Oui. Toutes ont désormais de la connectique embarquée dans les labos : on ne teste plus les raquettes de façon empirique. Mais le vrai bénéfice de la connectivité n’est pas encore tangible pour l’usage du joueur. «
Une concurrence sur les bracelets
Babolat a enrichi son offre connectée en proposant cette année le bracelet Pop (environ 70 euros), capable d’interpréter les gestes, quelle que soit la raquette utilisée. Avec ce produit tout juste lancé, l’équipementier répond à la concurrence de Wilson, qui avait le monopole de la distribution du Sony Smart Tennis Sensor (environ 200 euros), une capsule à placer au bas de son manche, qui rend potentiellement connectées des raquettes de toutes marques. » C’est un succès très relatif, un peu compliqué à l’usage, reconnaît Antoine Oui. Le coach en a plus l’utilité que le joueur. «
Babolat, spécialisé dans l’équipement des sports de raquette, entend cependant maintenir son leadership, quel que soit le comportement de la concurrence. » On fait aussi de la chaussure, du textile, d’autres sports, comme le badminton par exemple, développe David Gire. On peut imaginer que le bracelet Pop serve aussi pour ce sport, ou d’autres. On peut imaginer une chaussure connectée, ou un lien entre chaussure et raquette. Nous sommes persuadés que ça passe par là. On va vers le connecté. On ne va pas s’arrêter. » Au pire, Babolat aura eu raison trop tôt.
Luc Magoutier et Cédric Rouquette
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits