La 5G comble son retard en France s’agissant des abonnements grand public. En milieu industriel, la 5G privée marque des points notamment auprès de grands acteurs comme ArcelorMittal ou Aéroports de Paris (Hub One). À l’intérieur des immeubles, en revanche, le wifi garde sa légitimité.
La 5G commence à décoller en France : deux ans après le lancement commercial, l’Arcep a compté 8,2 millions d’utilisateurs actifs sur les réseaux 5G à la fin 2022 (contre 3 millions fin 2021). Cela représentait moins de 10 % des cartes SIM utilisées, car on en dénombrait alors 68,9 millions en 4G.
Il est vrai que les licences 5G ont été attribuées tardivement en France, notamment à cause de divergences entre Bercy et les quatre opérateurs mobiles. À la différence de l’Allemagne, la France a privilégié des licences de dix ans sur la bande de 2,6 GHz par grandes zones de 100 km2.
Pour permettre d’ouvrir le marché de la 5G privée à des opérateurs industriels (cf. l’association Agurre réunissant RATP, SNCF Réseau, Air France, groupe ADP, EDF, Sanef…), le rapport Philippe Herbert en mars 2022 a heureusement permis de débloquer la situation. En octobre 2022, l’Arcep a pu officialiser treize expérimentations d’industriels en France (cf. carte, dans la bande 3,8-4,0 GHz). À ce jour, la France compte une cinquantaine de projets, l’Allemagne une centaine. Un bon début.
Les arguments en faveur de la 5G ne manquent pas, sauf peut-être en matière de sobriété numérique… Les débits sont censés être cinq à dix fois supérieurs à ceux de la 4G (soit 1 gigabit par seconde) et le temps de réponse (latence) de 0,01 seconde contre 0,27 en 4G. Autre avantage clé : une densité de connexion par kilomètre carré qui serait 100 fois supérieure à condition d’installer deux fois plus d’antennes, ce qui pose régulièrement la question de l’impact sur la santé.
Autre point de discussion : la 5G déployée actuellement en France par les quatre opérateurs mobiles utilise des cœurs de réseau 4G ; ce n’est pas encore la « vraie 5G », contrairement à celle dite « 5G stand alone » retenue aux États-Unis (bande des 39 GHz) et sur des campus privés…
Autre souci : la 5G, à cause de fréquences plus élevées, régresse dans la pénétration du signal à l’intérieur des immeubles. Des solutions « artifices » s’imposent comme les DAS (distributed antenna system) ou des répéteurs ou micro-cellules, ou encore une bascule sur le wifi, ou même une modification du vitrage (cf. Wavethru d’AGC).
Percée de la 5G privée, industrielle
La 5G privée pour usages professionnels a également subi un retard à l’allumage en raison de tarifs prohibitifs (une redevance de 70 K€ par campus !). L’Arcep, après intervention politique, a heureusement pu corriger le tir ; le prix est descendu sous les 800 euros. Autre déblocage intervenu ces derniers mois : la même fréquence est autorisée sur plusieurs campus.
« Dans les entreprises, les cas d’usage se multiplient, notamment pour des projets d’évolution dits « Industrie 4.0 », dans le transport et la logistique, dans les établissements de santé, etc.», observe Ikbal Ltaief, directeur de l’activité Réseau chez Kyndryl France (ex-IBM GTS).
« La 5G apporte une réelle efficacité opérationnelle et des gains de productivité, notamment dans des domaines favorisant l’intégration de l’intelligence artificielle, utilisant la réalité virtuelle ou augmentée, ou dans des projets visant l’amélioration des processus de production. »
Cela se vérifie dans des usines, champs d’éoliennes, sites d’exploitation minière avec utilisation de robots ou engins de chantier autonomes, dotés de capteurs et systèmes de mesure. « Grâce à une meilleure connectivité, la 5G permet d’introduire des technologies de rupture, utilisant par exemple l’IA et l’analyse de volumes de données en temps réel. Elle apporte également une meilleure sécurité aux travailleurs, isolés ou non, lors d’interventions dangereuses (à proximité de dépôts chimiques, tunnels, sites industriels à risque…) avec envoi automatique d’alertes, appels de groupe, etc. », ajoute l’expert de Kyndryl France.
Très hauts débits et sécurité
Autre avantage de la 5G : sa couverture en très hauts débits, notamment pour des sites isolés ou des espaces ouverts. « Le signal se propage loin. Là où il faudrait 300 ou 400 bornes wifi, une antenne 5G et trois relais suffisent. La solution s’avère parfois coûteuse, mais elle est efficace », résume Ikbal Ltaief.
Enfin, la 5G privée professionnelle apporterait plus de cybersécurité que le wifi, en raison de l’utilisation de cartes SIM ou eSIM (changement possible d’opérateur). Et la fonction de slicing permettant un découpage de la bande passante (en tranches dédiées) apportera une distribution plus sûre des autorisations de connexion. Mais ces atouts de la 5G n’impliquent pas nécessairement la disparition du wifi…
Guillaume de Lavallade, Hub One : LA 5G VIENT PROLONGER LA 4G
Hub One, opérateur télécom issu du Groupe ADP a obtenu la licence « 4G évolutive 5G » en janvier 2020. La 4G serait encore la technologie offrant le meilleur rapport qualité/prix. Explications de Guillaume de Lavallade, DG de cette filiale d’Aéroports de Paris.
« NOUS AVONS DÉPLOYÉ SUR LES AÉROPORTS PARISIENS LA 4G ÉVOLUTIVE 5G, SUR 55 KM2 AVEC UNE LARGE PARTIE (2 MILLIONS DE MÈTRES CARRÉS) EN INDOOR (INTRA-BÂTIMENT), Y COMPRIS EN SOUS-SOL, CE QUI CONSTITUE UNE EXCEPTION EN USAGE PROFESSIONNEL. »
Faut-il tout miser sur la 5G ?
« Pour des environnements industriels et pour bénéficier des gammes de terminaux existantes très riches et économiques en 4G, nous préconisons de démarrer avec de la 4G évolutive 5G. Le fait d’apporter une ingénierie de couverture (indépendant du choix de la 4G ou de la 5G) est l’élément déterminant pour l’utilisateur. Enfin, bénéficier d’un réseau privé et de fréquences dédiées permet de maîtriser la latence nécessaire à toutes les applications en temps réel. »
« En priorité, il faut parvenir à une bonne couverture sur des sites souvent complexes ; il faut garantir la bande passante partout. »
L’autre besoin clé, c’est la latence : « La 4G des opérateurs grand public ne répond pas suffisamment aux besoins de nos clients car le réseau est partagé avec le grand public. Ainsi, le déploiement de véhicules autonomes va nécessiter un réseau privé 5G. Cela sera possible dans les deux à trois ans avec une latence de moins de 10 millisecondes. »
« Nous avons commencé des expérimentations de la 5G privée ; elle est envisagée par Aéroports de Paris. Nous la déployons également auprès d’un industriel au Havre et sur deux ou trois autres sites industriels ailleurs en France. »
Parmi les promesses de la 5G, qu’attendre du beam forming qui consiste, depuis l’antenne émettrice, à concentrer le faisceau d’ondes en direction d’un terminal ou dispositif particulier ?
« Il faudra encore patienter quelques années avant que toutes ces fonctionnalités, y compris le slicing, soient opérationnelles sur le terrain. Pour l’heure, tous les usages professionnels ne nécessite pas la transmission de vidéos en très haute définition 4K…»
Le wifi a encore de beaux jours à vivre
« La 5G a fait beaucoup de promesses mais, chez les utilisateurs, les incertitudes et certaines déceptions subsistent. Les débits étaient censés être décuplés. Pour les entreprises, la vraie 5G est celle dite “stand alone”, c’est-à dire construite sur un cœur de réseau réellement 5G et non pas sur des cœurs en 4G », constate Nicolas Vandewaele, directeur des opérations de WiredScore France, spécialiste en référentiels de connectivité de l’immobilier d’entreprise.
« La 5G dite privée ou industrielle n’est pas adaptée à tous les actifs ; elle concerne, pour le moment, des sites particuliers comme les ports ou aéroports. Car le coût de la licence et de l’infrastructure reste très élevé. » En outre, la 5G ne solutionne pas tout : « Plus on monte dans les fréquences, afin d’obtenir de hauts débits et une faible latence, plus la distance de couverture est courte. Les technologies du beam forming et du slicing apporteront des réponses quand elles seront là… »
Alors, dans les bureaux, le wifi va perdurer car la pénétration des réseaux mobiles 4G/5G
à l’intérieur des bâtiments (indoor) reste problématique : « Certes, il existe des parades, mais elles sont coûteuses. »
« Le wifi 6 qui existe depuis longtemps, sans licence, donne satisfaction. Et sa version 6E (extended) agrège des canaux afin de rehausser la bande passante, en théorie jusqu’à 6 Gbps, et en pratique, de 700 à 800 Mbps, ce qui est excellent. Dans quelques mois, arrivera le wifi 7 qui, en laboratoire, peut atteindre 10 Gbps.
« En résumé, dans les grands campus, la connectivité 5G peut se justifier pour les communications machine to machine, mais souvent, une infrastructure wifi peut suffire d’autant qu’elle coute beaucoup moins. »
Sur ce site modèle du géant de la sidérurgie Arcelor Mittal, la production d’acier est gérée à partir d’un seul poste de contrôle ultra-informatisé. Vision impressionnante.
Dunkerque. Un superviseur suffit pour piloter le train continu d’acier en fusion à 1 200 degrés – cet écoulement de métal rougeoyant qui s’étire sur plus de 300 m à la vitesse de 5 à 10 m/seconde. C’est le laminage. L’opérateur ou opératrice est installé(e) dans une sorte de tour de contrôle derrière une quinzaine d’écrans : tableaux de données, graphiques, plannings, suivi de la production, contrôle des cotes d’épaisseur/ largeur, écrans des caméras de supervision…
L’usine est entièrement pilotée par informatique. Les relevés de données sont désormais effectués sur des tablettes : idem pour les opérations d’inspection et de maintenance (audits de sécurité, procédures de consignation et déconsignation, etc.)
Pour moderniser l’infrastructure de communication, c’est la 5G privée qui a été retenue. Le projet 5G Steel a officiellement démarré ici en février 2023, élaboré avec l’équipementier suédois Ericsson et Orange Business Services (OBS). Il se veut le « plus grand réseau 4G/5G en environnement industriel » en France, financé en partie par l’État et la région (montants non communiqués).
L’ensemble du site, d’une superficie de 10 km2, est couvert par neuf antennes seulement, jusqu’à l’intérieur des bâtiments (indoor), y compris sous les architectures métalliques de grand gabarit.
Depuis quelques mois, ArcelorMittal s’est étendu sur une vaste zone destinée à la réception et au tri d’aciers de récupération. Une noria de camions chargés de ferrailles diverses arrive de partout. Grâce à des caméras, les poids lourds sont automatiquement identifiés à leur entrée et à leur sortie ; leur cargaison est pesée, visualisée et analysée qualitativement à distance par un opérateur. Ensuite, les conducteurs d’engin (grues et stackers) reçoivent directement les informations de destination des lots d’acier recyclé.
Une colonne vertébrale stable
« La 5G est, pour nous, un choix stratégique », nous explique David Glijer, directeur Transformation digitale d’ArcelorMittal France. « Elle devient la colonne vertébrale très stable de notre infrastructure. Elle répond bien aux besoins de mobilité des collaborateurs et à nos divers projets industriels, dont la maintenance prédictive. Jusqu’ici, nous utilisions un réseau wifi très exposé aux parasites électromagnétiques. Nous avons désormais la capacité de connecter plusieurs dizaines de milliers d’appareils : machines, véhicules autonomes, capteurs, caméras de suivi d’exploitation, systèmes de sécurité, tablettes, smartphones, lunettes connectées, etc. L’infrastructure en place apporte une grande disponibilité. »
Sans la 5G, l’investissement n’aurait-il pas été inférieur ? « Non, il aurait été trois à cinq fois supérieur. Car il faut considérer le coût global par rapport aux possibilités que cette infrastructure unique nous apporte, notamment pour notre plan de décarbonation (réduction de 35 % de l’empreinte CO2 d’ici à 2030 et 40 % de la production provenant d’acier recyclé). Jusque-là, nous avions tendance à empiler plusieurs couches d’infrastructures coûteuses à maintenir. »
Cet article a été écrit par : Pierre Mangin
<<< À lire également : La 5G en France des promesses encore à tenir >>>
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