Il y a fort à parier que le même virus, survenu en d’autres temps où les sociétés n’étaient pas encore des sociétés de l’information, aurait fait des ravages bien plus importants, en particulier en termes sanitaires. Par Jean-Guy de Ruffray, avocat au Barreau de Paris, associé du cabinet Altana.
Ce qui a permis aujourd’hui d’amoindrir les conséquences de cette crise sanitaire, c’est essentiellement l’accès et la transmission de l’information : données médicales partagées au niveau mondial, stratégies de confinement et de déconfinement inspirées d’autres États grâce aux informations accessibles en temps réel, etc.
Ce qui aura permis à certaines professions de continuer de fonctionner pendant le confinement, ce sont encore les technologies de l’information. On lit ici et là que la crise que nous traversons devrait être l’occasion idéale de remettre en cause la façon de fonctionner de nos sociétés. C’est probablement vrai, à une exception notable : la révolution numérique est plus que jamais notre refuge premier.
Dans ces conditions, il était prévisible que l’homme cherche dans le nouvel or noir que sont les données la solution à une situation prétendument inédite. Prétendument, car en réalité son caractère inédit n’est dû qu’à la réponse quasi-homogène et presque concertée des États, qui ont comme un seul homme opté pour une solution dont personne ne sait comment sortir rationnellement : le confinement. La Corée du Sud, la première, a eu recours à une application permettant, par un traçage des déplacements et des personnes rencontrées, d’accompagner la population vers un retour à une vie normale. Il était prévisible que d’autres États s’intéressent à cette solution, et que de tels outils suscitent des inquiétudes quant au respect des libertés publiques, de la vie privée et de toutes les valeurs qui font le socle des démocraties occidentales empreintes de libre arbitre mais aussi d’individualisme.
Or, la société est forte par le groupe. En temps de pandémie, l’autre est à la fois votre pire danger, et malgré tout votre secours, puisqu’il n’est de solutions que collectives. Le temps est donc venu de raisonner collectivement, en oubliant temporairement notre individualisme ; et nous autres Européens avons un garde-fou matérialisé par la réglementation sur les données personnelles la plus contraignante qui soit. Mille critiques peuvent être formulées sur le RGPD, et ce n’est pas le lieu de le faire. Mais pour une fois qu’il peut vraiment servir à rassurer la population sur le recours à des moyens de contrôle temporaires qui n’auraient pour seule visée que de nous aider à retrouver une vie normale et plus encore sauver des vies, autant lui rendre hommage.
La CNIL vient de donner son blanc-seing à l’application StopCovid, laquelle permettra à chaque Français qui le souhaite de garder la trace des autres utilisateurs croisés pendant les deux semaines précédentes, à moins d’un mètre et pendant au moins 15 minutes. Pas de géolocalisation, mais un fonctionnement basé sur le Bluetooth des smartphones qui leur permet de « communiquer » entre eux. Les réserves exprimées par la CNIL, notamment quant à l’information des utilisateurs et les modalités d’effacement des données personnelles, sont classiques et non bloquantes, puisqu’elles concernent des aspects améliorables du dispositif.
L’application StopCovid va donc voir le jour, et son utilité dépendra essentiellement de l’adhésion du plus grand nombre. Et, bien sûr, au postulat que d’un point de vue technique, ce qui est mis en place est fiable et efficace, ce qui est probablement l’enjeu majeur.
Les peurs exprimées ici et là sur cette immixtion au demeurant réelle dans notre vie privée feraient presque oublier que nous y renonçons chaque minute de notre vie par l’usage de notre smartphone ou lors d’une navigation sur Internet. Combien de renoncements à notre vie privée faisons-nous chaque jour en échange de services gratuits sur Internet ? Combien de politiques de confidentialité validées chaque jour totalement à l’aveugle, au bénéfice de sociétés privées mues par des intérêts commerciaux et non par ceux, supérieurs, de l’intérêt général, de la santé publique et de l’État ? Doit-on vraiment faire plus confiance à une société privée, souvent étrangère, pour lui partager nos données de géolocalisation, au prétexte qu’elle nous permet d’accéder à tel ou tel gadget numérique qui nous permettra quelques instants de gloire sur les réseaux sociaux ?
En d’autres contrées, ce type d’outils peut en effet faire froid dans le dos, tant le système politique et juridique qui les encadre est sujet à caution. Ce n’est pas le cas de la France, à date.
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