La députée européenne Renew Europe plaide pour une troisième voie européenne sur l’IA, conciliant souveraineté technologique et innovation responsable. Face à la domination des États-Unis et de la Chine, elle appelle à des investissements massifs, à une simplification administrative et à une mobilisation collective pour faire émerger des champions européens de l’IA.
Forbes France : Vous étiez présente au Sommet pour l’Action sur l’IA la semaine dernière à Paris. Que pensez-vous de ce type d’événement ?
Stéphanie Yon-Courtin : J’ai particulièrement apprécié la dualité de cet événement : à la fois diplomatique et économique. Cela reflète bien la difficulté actuelle, à savoir conjuguer les enjeux géostratégiques, économiques et citoyens. Il est essentiel que l’inclusivité soit une priorité et que l’IA ne soit pas uniquement entre les mains des grandes puissances ou des grandes entreprises. J’ai aussi accompagné le MEDEF dans un Tour de France de l’IA avec Robin Rivaton, car les territoires jouent un rôle crucial dans l’évangélisation de l’IA. Il ne faut pas qu’elle soit accaparée par quelques acteurs, mais au contraire qu’elle bénéficie à tous.
Il y a quelques semaines, le modèle chinois DeepSeek a été dévoilé. Quelle est votre analyse de cet événement ?
S. Y.-C. : C’est une belle illustration du fait que nous sommes encore au tout début de l’histoire de l’IA. OpenAI avait tenté d’imposer un modèle très consommateur en énergie et très capitalistique. L’apparition de DeepSeek bouleverse cette domination et représente une opportunité pour l’Europe, qui pourrait miser sur des modèles plus sobres et efficaces.
Le Sommet de l’IA a été un moment historique pour la France et l’Europe, avec une volonté politique et financière forte, illustrée par les annonces d’Emmanuel Macron et d’Ursula von der Leyen. Il reste cependant un paradoxe : en France, 40 % des entreprises ont conscience de l’importance de l’IA, mais peu osent se lancer. Rien n’est joué, tout reste possible.
Si la bataille du cloud est pliée, l’Europe a-t-elle encore ses chances dans la course mondiale à l’IA ?
S. Y.-C. : Le véritable problème réside dans la régulation. Il faut savoir prendre le bon train au bon moment : ni trop tôt, ni trop tard. Nous avons déjà manqué plusieurs opportunités dans le numérique, notamment sur le cloud et les moteurs de recherche. Nous devons éviter de reproduire les erreurs du passé. L’Europe cherche à développer une IA plus humaniste. C’est crucial dans un contexte où l’IA peut être un vecteur d’ingérence et de désinformation. Notre objectif est de construire une troisième voie de l’IA, qui protège les droits fondamentaux et la démocratie.
L’IA Act ne vise pas à figer l’innovation, mais à trouver un juste équilibre. Je pense que l’Europe a su le faire avec le DSA et le DMA en imposant ses propres règles. Il est essentiel que les règles du jeu soient dictées par des démocraties et non par des monopoles. Régulation et compétitivité doivent aller de pair. Nous ne sommes pas contre les monopoles, mais contre leurs abus, car ils peuvent étouffer l’innovation. Il vaut mieux prévenir que guérir, et ne pas sombrer dans le fatalisme : l’Europe a encore toutes ses chances et doit jouer collectif pour imposer sa vision de l’IA.
Quels leviers indispensables pour faire émerger des champions européens de l’IA ?
Nous avons déjà mis en place une régulation flexible. La prochaine étape est un investissement massif. 300 milliards d’euros ont déjà été annoncés, mais cet effort ne doit pas être isolé, il doit être européen. Nous avons aussi besoin d’une simplification administrative pour faciliter l’installation d’infrastructures. Le Clean Industrial Deal et le Buy European Act, pour lesquels je milite depuis 2019, sont des outils nécessaires pour privilégier nos entreprises dans les appels d’offres. Il ne s’agit pas de protectionnisme aveugle, mais de souveraineté.
Si les États-Unis décident demain de couper l’accès à certaines technologies numériques, nous serons dépendants. Nous devons donc anticiper ces risques et nous assurer d’une autonomie stratégique. L’Europe doit aussi être vigilante face aux investissements étrangers, en particulier chinois et saoudiens, qui pourraient être anticoncurrentiels ou mettre en péril notre souveraineté.
Un autre enjeu-clé est la création d’un marché financier européen unifié pour injecter des fonds dans l’économie réelle et permettre aux épargnants d’investir dans des entreprises technologiques européennes. Une étude Eurostat montre que les citoyens sont prêts à investir s’ils savent où va leur argent. Enfin, en matière d’IA, notre atout stratégique est le nucléaire. Flamanville est un exemple de prouesse de souveraineté.
En conclusion, quel message souhaitez-vous adresser aux acteurs de l’IA en France et en Europe ?
Nous devons mobiliser tous les relais nationaux et locaux pour accompagner les PME dans le virage de l’IA. Les organisations patronales et syndicales, les écoles et les associations ont un rôle à jouer. L’IA ne doit pas être réservée aux grandes entreprises. Elle peut bénéficier à des secteurs comme l’agriculture ou l’alimentation. L’Europe doit prendre conscience que l’AI Act est un bouclier démocratique qui nous permettra de façonner une IA éthique et souveraine. Le contexte géopolitique réaffirme l’importance de notre approche. L’IA de défense et de santé sont des secteurs stratégiques, et l’Europe doit encore une fois jouer collectif pour s’imposer dans ce domaine.
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