Retour vers le futur est une série de 3 articles écrits par Eytan Messika, afin de démystifier le futur de l’emploi à l’ère de l’intelligence artificielle. Pour la présentation (pdf) en anglais, c’est par ici.
Edward Lorenz exposait les prémices de l’évolution des systèmes complexes et de la théorie du chaos en 1972 par une simple question : « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ». Cet effet, communément appelé « l’effet papillon », nous rappelle qu’une variation si minime soit-elle des conditions initiales d’un système complexe peut engendrer des différences colossales pour l’évolution de ce système et donc par extension pour le monde entier.
Le futur est incertain. Mais, l’Homme déteste l’incertain, le fuit, souhaite le contrôler, le normer. Alors, une des solutions mise en place par l’évolution des espèces est l’intelligence de raisonnement : cette capacité de mémoriser, d’apprendre puis imaginer des scénarios probables pour faire des choix cohérents.
Récemment, l’avènement de l’intelligence artificielle et de l’automatisation qu’elle engendre suscite beaucoup de questions sur l’avenir de l’emploi par exemple. Par essence, il nous faut une réponse à ces questions. Alors on produit des rapports. Des rapports sur l’effet d’une technologie que l’on ne comprend pas et de son impact sur l’avenir. Et on chiffre son impact. Magnifique. Gartner estime que plus 2,3 millions d’emplois seront créés et 1,8M d’emplois détruits. Forrester estime que ce seront 3M d’emplois créés et 13M détruits. Pour le WEF, ce seront respectivement 2 et 7M. Thomas Frey est plus conservateur, ce serait autour du milliard d’emplois détruits.
Le futur est incertain. L’émergence des nouvelles technologies assure un avenir incertain. Et mesurer son impact en chiffre est ridicule. Analyser des tendances, des évolutions de marchés est intéressant et même indispensable pour prendre des décisions mais assurer d’un air insolent que l’IA créera moins d’emplois qu’elle n’en détruira est ridicule. Puis, si l’Histoire nous a bien appris quelque chose, c’est qu’on se trompe à tous les coups sur les innovations de rupture. Newsweek l’a appris à ses dépens, le journal titrait en 1995 : Why the Internet will fail. Newsquoi déjà ?
Pourtant, ne pas pouvoir prédire avec précision le futur ne signifie pas qu’il est inutile de comprendre le passé. Je rejoins le grand cinéaste français Jacques Duval qui expliquait très justement que « l’histoire ne se répète pas mais se plagie». Il existe des modèles, des causes et effets très similaires, que l’on peut reconnaître pour analyser des tendances et « prédire ». Pourquoi ? Parce que la nature humaine ne change pas.
- Le premier modèle sur les nouvelles technologies nous vient d’Arthur Schopenhauer. Une innovation de rupture (même idéologique) passe toujours par trois stades : ridicule, dangereuse puis évidente. La terre est ronde. Ridicule, dangereux, évident. L’électricité était ridicule, dangereuse, évidente. La voiture était ridicule, dangereuse puis évidente. L’avion était ridicule, dangereux puis évident. L’Internet, ridicule, dangereux, évident. L’IA était ridicule, est dangereuse puis bientôt évidente.
- Le second modèle remarquable sur ce sujet : la technologie de rupture est destructrice d’emplois dans un premier temps puis CRÉATRICE d’emplois. Mais ces emplois ne sont pas encore connus et demandent des qualifications et compétences de plus en plus importantes.
- Le troisième modèle nous vient de Carlota Perez, l’une des plus brillantes économistes du XXe siècle, qui explique que tout innovation entraîne une phase d’installation avec un attrait des masses pendant une vingtaine d’années puis une inflation des prix, une survalorisation et surestimation de la valeur ajoutée réelle qui entraîne l’éclatement d’une bulle. Celle bulle provoque une récession de 2 à 5 ans puis une période de golden Age.
En France, plus qu’ailleurs, nous ne souhaitons pas de destruction à court terme par peur de précarité, par peur du risque et de chômage. C’est notre ADN. Donc nous refusons l’innovation. Mais la mondialisation change la donne. 30 000 VTC circulent aujourd’hui en France par exemple. En 4 ans, c’est 50% du chiffre total du nombre de taxis parisiens. C’est aussi un service moins cher, plus qualitatif qui pousse à la consommation. Web développer, SEO consultant. App Développer, UX designer, Datascientists.. Ces métiers n’existeraient pas sans Internet.
Voici donc une liste de 10 AI jobs pour 2025 :
- Data labeler : Annoteur de données
- AI designer : Concepteur de solution et frameworks
- AI strategist : Concepteur de stratégies relatives à l’implémentation de l’IA
- Ingénieur mécanique pour capteurs verticalisés : chips, lidar, radar
- Analyste cybersécurité réseaux verticalisé
- Ethical manager : Concepteur des cadres éthiques assujettis à l’IA
- AI law strategist : Concepteur des lois et des droits pour l’IA
- Data compliance strategist : Régulateur de données
- Tech Recruteur (Il est toujours là)
- Sales (Lui aussi)
Mais cette liste évoluera en 2030 et c’est pourquoi je continue de penser que pour défier la précarité et la peur de l’automatisation, la formation est l’unique remède. C’est ce que nous prônons avec The Mansion. Il faut se former constamment et remettre en question la validité de nos connaissances. Il faut maîtriser des notions transverses comme la capacité à déconstruire un système, raisonner en first principles. Il faut travailler l’empathie, l’esprit critique et la négociation puis appliquer ces compétences à toutes les formations, qu’elles soient informatives ou non. La notion de métier doit laisser place à la notion de compétences. On ne peut plus apprendre un métier quand on sait qu’en moyenne nous effectuerons 5 métiers différents en 30 ans et que la plupart de ces métiers n’existeront même déjà plus en 2040.
Evidemment, à court terme, maîtriser un métier est utile et le milieu du recrutement continue à valoriser la maîtrise plutôt que l’expérience. Mais dans un contexte d’innovation nécessaire pour se différencier, dans un contexte menaçant de l’IA sur des sujets experts, le généralisme et la pluralité des compétences deviennent les armes qui combattent le chômage. J’aime beaucoup le parallèle avec la médecine : on parle d’extinction des radiologues, des dermatologues et des chirurgiens mais jamais des généralistes. Parce qu’aujourd’hui plus que jamais, c’est la capacité à être pluriels qui nous rend singuliers.
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