Si l’Etat prône la souveraineté française, la réalité laisse planer le doute sur son réel engagement envers une économie numérique souveraine. En effet, la souveraineté numérique nécessite une plus forte implication de l’État et de ses instances, à tous les niveaux. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que nous pourrons protéger nos plus belles pépites technologiques et éviter que nos atouts soient exploités par d’autres que nous.
Une contribution de Damien Desanti, fondateur de Phocea DC
Quand il s’agit de souveraineté technologique, force est de constater que nous sommes aujourd’hui confrontés en France à une certaine forme de contradiction. D’un côté, les entreprises françaises sont priées de se soumettre à des règles très strictes (RGPD, NIS2, SecNumCloud…), ce qui a des impacts non négligeables pour elles en termes de coûts. De l’autre, un entrepôt de données de santé baptisé EMC2 basé sur le traitement automatisé de données personnelles est hébergé sur le cloud Azure de Microsoft pour une durée de trois ans, contrevenant ainsi aux règles les plus élémentaires de protection des données personnelles des Français, Cloud Act oblige…
Nous pourrions également mentionner l’installation des campus IA de Google afin que les start-ups françaises s’approprient les technologies d’intelligence artificielle du géant américain. Et si l’on se penche sur l’opération Choose France, l’annonce faite par Microsoft de vouloir investir 4 milliards d’euros en France pour étendre son infrastructure cloud et IA fait sourire plus d’un observateur. Il est en effet légitime de se demander quelles seront les réelles retombées de cet investissement dans l’économie numérique française. Avant que les infrastructures de Microsoft ne soient opérationnelles, ce sont des acteurs américains bien connus qui serviront les intérêts de la firme de Redmond. L’économie américaine tournera – une fois encore – en vase clos.
La commande publique, pivot de la souveraineté
Nulle doute que les acteurs français du numérique préféreraient que les choix de l’État français soient radicalement différents. Ils attendent des instances dirigeantes françaises que l’État devienne le premier client des entreprises hexagonales du numérique.
Les montants que dépense l’État pour héberger les données de santé des Français dans Azure sont très importants. Ces sommes pourraient être investies dans l’économie numérique française. Certes, Azure propose l’intégralité des briques technologiques nécessaires à un tel hébergement, tandis que l’écosystème français ne les maîtrise peut-être pas toutes. Mais un équivalent tricolore pourrait être mis sur le marché très rapidement grâce à une commande publique fléchée vers les start-ups de notre pays. S’il existe un écart technologique entre Azure et les offres françaises, finançons la recherche et l’innovation françaises et comblons le ‘gap’ à brève échéance !
Les Américains ont compris depuis très longtemps les vertus de la commande publique et l’État est aujourd’hui le premier contributeur des start-ups de la Silicon Valley. Les dispositifs hexagonaux tels que le Crédit d’impôt recherche (CIR) et le Crédit d’impôt innovation (CII) doivent servir à financer les étages manquants des entreprises qui ont envie de se développer en France et de devenir des champions nationaux.
Assumer un protectionnisme affirmé sur le long terme
Autre souhait lié à la souveraineté : que l’implication des instances françaises (Banque des territoires, Caisse des Dépôts, BPIFrance…) soit renforcée dans ce que nous pourrions désigner comme une démarche de « protectionnisme affirmé » vis-à-vis de nos entreprises « pépites ».
Ces instances doivent prendre plus de participations dans nos champions nationaux pour éviter qu’ils ne tombent, à coup de milliards de dollars, dans le giron d’acteurs étrangers. Rien ne sert de financer la croissance de ces entreprises, qui deviennent leaders de leur marché, si c’est pour les voir accepter, au bout de quelques années d’existence, des investissements de la part du plus offrant. Le ‘protectionnisme’ doit être pensé et assumé dans la durée.
L’exemple du partenariat commercial signé en février dernier entre Mistral AI et Microsoft est symptomatique de cette tendance. Ce partenariat inclut un investissement de 15 millions d’euros dans Mistral AI par Microsoft, investissement qui pourra être converti en capital lors de la prochaine levée de fonds du spécialiste français des LLM.
Autre piste de réflexion : la possibilité d’une fiscalité ou de subventions avantageuses pour les entreprises dont le capital resterait détenu à plus de 50 % par des actionnaires français. Ce type de mesure constituerait une incitation forte pour les fondateurs et leurs investisseurs.
Pour garder nos champions européens, il faut savoir garder un actionnariat. Et l’État a un rôle crucial à jouer en la matière. Les 10, 20 ou 30 prochaines années sont en train de se décider actuellement. Nous risquons de perdre notre souveraineté alors que la France est le seul pays au monde à posséder deux hubs Internet (Paris et Marseille) faisant partie du top 10 mondial. Par ailleurs, la France a le coût de l’électron parmi les plus faibles au monde, grâce à son parc nucléaire. Ces deux atouts majeurs, nous devons les protéger et les exploiter pleinement.
Les choix stratégiques qui ont été faits après-guerre pour construire une industrie nucléaire et aéronautique forte et souveraine doivent se répéter aujourd’hui en faveur du numérique, et plus spécifiquement des datacenters. Nous sommes à la croisée des chemins et l’État se doit d’être au rendez-vous.
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