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Quand l’intelligence artificielle défie les lois sur le droit d’auteur : le cas Jason Allen

Jason Allen
Jason Allen explique qu'il a entré 624 invites sur Midjourney pour créer le Théâtre D'opéra Spatial, une représentation d'une cour royale futuriste. Théâtre D'opéra Spatial © 2022 Jason M. Allen
Jason Allen a passé une centaine d’heures sur Midjourney pour créer une image primée. Il conteste désormais la décision du United States Copyright Office, qui refuse de protéger son œuvre par le droit d’auteur. 

Un article de Rashi Shrivastava pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Il y a deux ans, Jason Allen, concepteur de jeux de société, a été captivé par les images de paysages surréalistes générées par l’IA qui défilaient sur son fil d’actualité Facebook. Intrigué, il a commencé à explorer lui-même des programmes d’intelligence artificielle permettant de générer des images à partir de texte. En mai dernier, il a passé plus de 100 heures à utiliser l’outil Midjourney pour concevoir une illustration complexe représentant des femmes en robes victoriennes et casques d’astronautes, prenant part à une cour royale futuriste. Quelques mois plus tard, l’image a remporté le premier prix de la Colorado State Fair pour la photographie manipulée numériquement.

Cependant, lorsqu’il a essayé de protéger l’image par le droit d’auteur, le United States Copyright Office a rejeté sa demande, estimant que l’œuvre manquait de « contribution humaine » et qu’il n’était pas en mesure de déterminer si les invites étaient « suffisamment créatives ».

Pour Allen, qui a rédigé 624 invites textuelles distinctes pour orienter le logiciel Midjourney, ajustant style, composition, couleurs et ton de l’image, la décision a été un véritable coup dur. « Il était difficile à l’époque d’obtenir les résultats que je souhaitais avec la version deux de Midjourney », a-t-il confié à Forbes, précisant que la création de l’image avait exigé énormément de travail.

Il a donc intenté une action en justice contre l’agence, demandant à un tribunal fédéral d’annuler la décision du United States Copyright Office.

L’institution a refusé de commenter le litige en cours. Midjourney n’a pas répondu à une demande de commentaire, mais son site Web stipule que les artistes sont propriétaires de toutes les images qu’ils créent et peuvent les utiliser comme bon leur semble. Les conditions d’utilisation précisent également que la société détient de manière perpétuelle et irrévocable les droits de reproduction, de sous-licence et de distribution des œuvres créées par son logiciel et qu’elle a le droit de distribuer tout contenu soumis dans le système.

Allen a expliqué à Forbes qu’après le refus du United States Copyright Office de protéger son œuvre intitulée « Théâtre d’Opéra Spatial », d’autres artistes se sont approprié son travail, certains tentant même de vendre l’image sous leur nom sur des plateformes comme Amazon, Etsy et la place de marché NFT OpenSea. Selon lui, cette situation découle des critiques émises par la communauté artistique, qui l’a accusé de tricherie lors du concours de la foire de l’État du Colorado en 2022, en raison de son utilisation d’outils d’IA.

« Plusieurs personnes m’ont clairement indiqué qu’elles avaient l’intention de s’approprier mon travail et de le vendre sous leur nom, sachant que je ne pouvais rien faire à ce sujet », a-t-il expliqué. Il a donné l’exemple d’une personne qui a intégré l’image entière dans une création générée par IA et a publié sur Facebook : « Certains disent que « les grands artistes volent », mais comme aucun droit n’a été accordé à Jason, il n’y a eu aucun vol. »

Cette affaire survient à un moment crucial pour les artistes et créateurs, alors qu’un large débat s’amorce sur la légalité des pratiques des entreprises qui collectent d’immenses quantités de données en ligne pour entraîner des logiciels d’IA générative. En 2023, un groupe d’artistes a intenté un recours collectif contre des entreprises d’IA comme Midjourney, Stability AI et Runway, les créateurs de Stable Diffusion. Ils les accusent d’avoir utilisé des milliards d’œuvres protégées par le droit d’auteur, sans consentement ni compensation, pour entraîner leurs modèles, qui rivalisent désormais directement avec les artistes. Le mois dernier, un tribunal a permis la poursuite de l’action en violation des droits d’auteur, bien qu’il ait rejeté certaines réclamations, permettant ainsi aux deux parties d’échanger des informations clés dans le cadre de la phase de découverte. Pour les artistes, cela pourrait ouvrir la voie à l’examen des données ayant servi à entraîner ces modèles.

Les entreprises ont réagi en demandant au tribunal de rejeter la plainte dans son intégralité. Runway a soutenu que les artistes ne peuvent pas recréer des copies exactes de leurs œuvres via Stable Diffusion, ni prouver que ces œuvres sont stockées dans le modèle. Stability AI a quant à elle affirmé que les styles artistiques ne sont pas protégés par le droit d’auteur et que leurs modèles, étant des morceaux de code et non des œuvres d’art, ne violent pas les droits d’auteur. Les avocats de Midjourney ont comparé leurs modèles d’IA à une photocopieuse, arguant que la technologie sous-jacente ne constitue pas une violation des droits d’auteur, même si elle est capable de produire des répliques exactes d’une image existante.

Certaines de ces questions sont actuellement débattues au United States Copyright Office, qui cherche à comprendre les implications de l’IA sur la propriété intellectuelle. Cette institution, vieille de 150 ans et rattachée à la Bibliothèque du Congrès, s’efforce d’adapter des lois séculaires aux défis contemporains posés par l’IA. Elle examine notamment si l’utilisation d’œuvres protégées pour entraîner des systèmes d’IA constitue une violation du droit d’auteur ou si cela relève de l’usage équitable, comme le soutiennent de nombreuses entreprises d’IA. Elle se penche également sur les types d’œuvres créées avec l’aide de l’IA qui pourraient bénéficier d’une protection par le droit d’auteur.

En mars 2023, le United States Copyright Office a rendu une décision stipulant qu’il ne délivrerait pas d’enregistrements pour les œuvres entièrement générées par l’IA. Cependant, une ouverture subsiste pour les œuvres utilisant l’IA, à condition qu’elles démontrent également un certain niveau de contribution et de créativité humaine. En février, l’agence avait refusé des œuvres qu’elle jugeait trop dominées par l’IA, avec une contribution humaine insuffisante, tout en ayant enregistré plus de 100 œuvres contenant des éléments générés par IA, tels que des paroles de chansons, des textes et des éléments visuels.

Jason Allen n’est pas le seul artiste à contester la décision de l’institution. En avril, Elisa Shupe, une autrice ayant utilisé ChatGPT pour rédiger un livre qu’elle a autoédité sur Amazon, a fait appel et obtenu un droit d’auteur pour la sélection et l’organisation du texte généré par IA, selon Wired. Cela signifie que le livre, dans son ensemble, est protégé contre la copie illégale, mais que des phrases et des sections individuelles peuvent être réarrangées et publiées, comme c’est le cas pour des livres entièrement écrits par des humains.

Il a ajouté que, même si l’image qu’il a créée n’avait pas nécessité des centaines d’essais et qu’il n’avait rédigé qu’une seule invite pour générer une image d’un chat sur un skateboard, il estime que cette image devrait tout de même être protégée par le droit d’auteur. « Nous pensons que la quantité d’efforts investis ne devrait pas être un critère pour prouver la contribution humaine », a-t-il expliqué. « Si vous vous êtes engagé avec l’intention de créer quelque chose, et qu’en utilisant une machine comme outil, vous y êtes parvenu, vous en êtes l’auteur, vous en êtes le créateur selon nous. »

Jason Allen dirige désormais sa propre galerie en ligne, où il vend des impressions d’art de ses illustrations réalisées à l’aide d’outils d’IA. Se définissant comme un créateur numérique plutôt que comme un artiste, il aspire à créer des centaines d’images avec l’aide de l’intelligence artificielle, tout en bénéficiant de la protection du droit d’auteur. « Avec Midjourney, il n’est plus nécessaire d’être un artiste pour créer de l’art. »


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