Les technologies sont perçues dans les organisations comme des outils fiables permettant de prévenir les risques bancaires et de système en solidifiant les modèles d’analyse des risques. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elles ont été massivement développées. Pourtant, l’histoire économique des innovations montre des failles assez retentissantes. On espère évidemment avec l’accélération de la digitalisation des économies depuis la Covid et le déploiement accéléré en particulier des intelligences artificielles que ces dernières vont apporter quelque chose de nouveau dans la fiabilité des systèmes de contrôle. A partir de l’exemple de la Silicon Valley Bank, nous allons voir que cette banque n’aurait pas fait faillite si elle avait déployé des systèmes d’IA dans ses activités de gestion bilancielle.
Une certain nombre de failles.
Au début, les technologies viennent en renfort des mécanismes de prévention des crises bancaires et financières.
La panique de 1907 : c’est l’une des crises financières les plus importantes de l’histoire américaine. Elle a été marquée par une série de faillites bancaires et une chute brutale du marché américain. Dans un contexte de forte expansion économique et de forte spéculation sur les actions et les biens immobiliers, de nombreuses banques et sociétés de fiducie prêtaient de l’argent de manière inconsidérée. Mais le tremblement de terre de San Francisco de 1906 a entrainé des pertes considérables et une demande de liquidité provoquant un run panic vers les banques. A cela il faut ajouter qu’en 1907, F. Augustus Heinze, un magnat du cuivre et ses associés ont tenté de monopoliser le marché du cuivre ce qui a entrainé des loupés et des pertes importantes ainsi que la faillite de la Knickerbocker Trust Company, l’une des plus grande sociétés de fiducie de New York. La panique a commencé en octobre 1907 avec la faillite de la Knickerbocker Trust Company, qui a entraîné une perte de confiance dans les autres institutions financières. Les déposants ont commencé à retirer massivement leurs fonds, provoquant une série de faillites bancaires. Le financier J.P. Morgan ayant à ce titre joué un rôle crucial pour renflouer le système et rétablir la confiance. Les conséquences de cette crise qui a révélé la fragilité du système bancaire américain ont d’abord été de créer une commission nationale monétaire qui a elle-même conduit à la création de la Réserve fédérale en 1913. Les systèmes bancaires de l’époque manquaient de systèmes robustes pour gérer la liquidité et prévenir les paniques bancaires.
Durant la Grande Dépression, l’absence de technologies de surveillance bancaire et de régulation financière efficaces a conduit à une série de faillites bancaires massives. Le manque de coordination et de communication entre les banques et les régulateurs a exacerbé la crise, entraînant une contraction sévère du crédit et une déflation économique importante. Pour toutes ces raisons, les innovations se sont progressivement développées.
Puis certaines failles sont mises en avant.
A partir du Lundi noir, ce sont surtout les défaillances des technologies qui sont mises en avant.
Le lundi noir de 1987 révéla les défaillances des systèmes d’information de l’époque à prévoir les crises financières tout comme la crise de la dette russe en 1998 à prévoir les crises bancaires et l’interdépendance des banques et des Etats. Il y a eu aussi l’affaire du Libor et la crise financière de 2007/2008. Le scandale du Libor des années 2000 a révélé comment les manipulations des taux d’intérêt interbancaires pouvaient échapper à la détection des technologies de surveillance financière. Les systèmes de surveillance existants étaient inadéquats pour détecter les collusions entre banques. Le manque de transparence et la complexité des produits financiers dérivés ont rendu la détection des manipulations difficile, entraînant des pertes massives et une érosion de la confiance dans les marchés financiers. C’est ainsi que l’histoire économique montre que les technologies n’ont pas toujours été infaillibles dans la prévention des crises. L’exemple le plus récente est peut-être la crise financière de 2007-2008 avec la crise de la dette des Etats souverains dans la foulée. Les systèmes de gestion des modèles de Value at Risk ont échoué à prévoir l’ampleur des pertes associées aux actifs toxiques comme les subprimes pour la crise de 2007-2008. De façon globale les interdépendances des risques de crédit entre différentes institutions financières étaient très mal appréhendées ainsi que les risques de système. Enfin, on accuse aussi les technologies de trading algorithmiques de contribuer à amplifier certains phénomènes de surréaction des marchés financiers.
Ces exemples montrent que les technologies, bien qu’avancées, ont des limites intrinsèques dans la prévention des crises financières qu’elles étaient sensées résoudre. De plus, parfois elle contribue à amplifier les crises. La complexité croissante des produits financiers, les interconnexions systémiques et les comportements de marché non linéaires sont des défis majeurs que les modèles technologiques doivent encore surmonter efficacement. Pour améliorer la prévention des crises, il est essentiel de combiner des technologies avancées avec des régulations robustes et une surveillance proactive. Nous pensons que l’IA peut constituer un outil novateur et tout à fait robuste dans l’atteinte d’objectifs multidimensionnels comme la détection des fraudes, le respect de la règlementation bancaire mais aussi et surtout, le renfort de la solidité du secteur bancaire.
2) Grâce à des avancées significatives en Machine Learning et à la puissance accrue du traitement des données (big data), l’IA ouvre de nouvelles voies pour une gestion ALM plus efficace et prévoyante:
1- Modélisation Prédictive et Analyse des Risques : Grâce à l’apprentissage automatique (ou Machine Learning), l’IA permet à l’ALM de réaliser des analyses prédictives complexes, simulant dynamiquement le bilan, modélisant une grande diversité de scénarios de marché (taux, change…) et de comportements des agents économiques (retraits des dépôts). Ces modèles prédictifs sont capables de traiter et d’analyser des quantités massives de données historiques, améliorant ainsi la finesse des prévisions et aidant à prendre des décisions éclairées en matière de gestion des risques, de tarification, d’allocation de ressources et de stratégie d’investissement.
2- Optimisation des Portefeuilles : Du côté de l’actif du bilan, l’IA permet à l’ALM d’identifier les combinaisons d’actifs qui maximisent le rendement ajusté au risque de taux. Cette approche améliore la diversification du portefeuille et réduit l’exposition à des risques spécifiques (comme la concentration des actifs) s’assurant que chaque investissement contribue positivement à la marge d’intérêt. Du côté du passif du bilan, L’IA aide à prédire le comportement des clients liés aux retraits de dépôts ou aux remboursements anticipés de prêts, ce qui est fondamental pour la gestion de la liquidité. Il peut également prendre des décisions tactiques pour diversifier ses sources de financement et gérer les asymétries des échéances.
3- Gestion de la Liquidité : L’IA joue un rôle crucial dans la gestion dynamique de la liquidité et du bilan. Les systèmes basés sur l’IA sont capables de prédire les flux de trésorerie futurs et les besoins de liquidité, permettant aux banques de prendre des décisions éclairées sur le financement et les investissements. Par exemple, certaines institutions financières utilisent l’IA pour modéliser des scénarios de retraits de dépôts à grande échelle, pour faire face à des situations de crise de liquidité.
4- Gestion des risques : L’IA améliore la gestion des risques grâce à des simulations de stress avancées permettant des projections avancées du bilan (par exemple, à travers la mesure de l’Economic Value of Equity) ainsi qu’à l’élaboration de stratégies de couverture efficaces, telles que l’utilisation de futurs, de swaps et d’options, afin de minimiser l’impact des fluctuations du marché.
Dans le domaine sensible de la gestion actif-passif, l’intelligence artificielle apporte des avancées significatives. Des techniques comme l’apprentissage automatique et le traitement du langage naturel permettent une analyse plus fine des données financières pour identifier les tendances et les risques. L’IA, à travers des méthodes telles que le Deep Learning et le Data Mining, est essentielle pour simuler des scénarios de marché complexes et stresser le bilan, permettant ainsi une meilleure compréhension des risques.
En parallèle, les systèmes experts renforcent l’efficacité de la gestion bilantielle, enfin l’adoption du RPA permet d’automatiser les tâches répétitives pour la production des reporting et des ratios réglementaires. Ensemble, ces outils permettent une compréhension holistique des enjeux et marquent une évolution stratégique dans le monde de l’ALM.
3) Et si la Silicon Valley Bank (SVB) avait été dotée d’une IA ALM?
Les déboires de Silicon Valley Bank en mars 2023 ont mis en évidence les écueils d’une mauvaise gestion ALM. Par exemple, une absence de politique de couverture de taux, des actifs à long terme couverts avec des passifs à court terme, une concentration géographique et sectorielle des sources de financement… qui ont entrainé la faillite. Pour éviter ce naufrage, une saine gestion assistée par une IA aurait pu jouer plusieurs rôles clés :
- Détection du risque de taux : grâce à ses capacités d’analyse prédictive, l’IA aurait pu détecter une augmentation du risque liée à un portefeuille d’investissements concentré sur des actifs à long terme (T-bonds, RMBS) qui ont enregistré de fortes pertes dûes à la hausse des taux directeurs.
- Analyse de scénarios : des modèles auraient pu être utilisés pour simuler des scénarios de stress extrêmes qui auraient aidé la banque à comprendre l’impact potentiel de divers événements comme le resserrement monétaire et la détérioration des conditions de financement.
- Gestion dynamique du bilan : l’IA aurait pu aider à équilibrer dynamiquement le bilan en surveillant les ratios de liquidité et en recommandant la diversification des actifs ou la restructuration des passifs (qui aurait réduit la dépendance liée aux dépôts clients).
- Prévisions des flux de trésorerie : pour faire face aux retraits importants des comptes de dépôt, des systèmes d’IA sophistiqués auraient pu comprendre les arbitrages de la clientèle et donc anticiper les sorties de trésorerie, aidant la banque à maintenir une liquidité optimale.
En conclusion, via une maîtrise parfaite des hallucinations, des biais informationnels et des risques de l’humain augmenté, l’IA semble être un outil redoutable dans le domaine de la gestion des risques bancaires où le volume de données utilisées est particulièrement conséquent. Pour le reste, certes, nous espérons ne pas nous tromper, mais l’histoire le dira.
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