Pour Forbes, Ulrich Boser, PDG de The Learning Agency, une société américaine de conseil en éducation, revient sur l’IA dans l’éducation et explique pourquoi une IA ne peut pas remplacer complètement un enseignant.
Article d’Ulrich Boser pour Forbes US – traduit par Flora Lucas
J’adore les vacances d’été. Je déteste les planifier. J’ai donc demandé à un chatbot de m’aider à planifier mes vacances en famille. Cette expérience m’a beaucoup appris et m’a permis de comprendre pourquoi l’IA est encore loin de remplacer les nombreux éléments intangibles que les êtres humains apportent à des activités vitales comme le soutien scolaire.
Il ne fait aucun doute que l’IA excelle pour améliorer l’efficacité et l’organisation. Elle peut rapidement évaluer, adapter et présenter des informations et des options. Pourtant, elle ne parvient pas à saisir l’expérience humaine et les nuances qui font que tout est efficace, qu’il s’agisse de motiver des élèves en difficulté ou de planifier des voyages en famille qui laisseront des souvenirs marquants.
Dans mon cas, par exemple, le robot d’IA, agissant comme s’il me connaissait, m’a dit de passer de « bonnes vacances » après m’avoir fait part de ses suggestions d’itinéraire. C’est tombé à plat. Ma première réaction a été de me dire : « Va te faire voir, IA. » Puis j’ai commencé à réfléchir. Pourquoi l’IA est-elle si mauvaise quand il s’agit de faire des compliments ou de créer des liens, mais si douée pour catégoriser ?
Science vs social
En tant que programmes informatiques conçus pour imiter certaines interactions humaines, les chatbots s’appuient souvent sur le traitement du langage naturel (TLN) pour déchiffrer les questions des utilisateurs et envoyer des réponses automatisées en temps réel. Bien que ces chatbots soient censés simuler des conversations humaines afin d’améliorer l’expérience des utilisateurs, ils manquent d’éléments clés tels que le ton, le contexte, l’empathie et l’humour.
Rosalind Picard, directrice de l’Affective Computing Group au Massachusetts Institute of Technology Media Lab, travaille depuis longtemps à l’amélioration de la capacité des ordinateurs à reconnaître les émotions humaines, notant que les émotions font partie intégrante de l’interaction entre l’homme et l’ordinateur. À tel point que de nombreuses études montrent que les êtres humains traitent les ordinateurs (et leur crient dessus) comme s’il s’agissait de personnes et non d’objets inanimés.
Pourtant, aussi intelligents que soient les ordinateurs et l’IA sur le plan cognitif, ils sont émotionnellement aveugles, ce qui conduit à des erreurs de produit comme le chatbot assistant virtuel de Microsoft en 1996, Clippy, qui a agacé plus qu’aidé les utilisateurs avec ses conseils joyeusement non sollicités et sans ton (généralement fournis sans connaître l’intention de l’utilisateur).
Alors, qu’est-ce qui est bon pour la motivation ? Les autres, les gens qui nous entourent. Ils apportent un engagement social et émotionnel essentiel. Quand on demande à quelqu’un de se remémorer ce qui l’a le plus inspiré, stimulé ou motivé à l’école, il est peu probable qu’il réponde un programme informatique.
De même, il est peu probable que les étudiants d’aujourd’hui désignent un chatbot comme leur meilleure source de motivation. Les enseignants qui les ont compris, eux et toutes les complexités qui ont affecté leur expérience d’apprentissage, les élèves qui les ont mis au défi, les camarades de classe qui les ont soutenus et encouragés dans leur parcours scolaire sont bien plus susceptibles d’être loués que l’IA.
Cela ne signifie pas que l’IA n’a pas sa place dans l’éducation. Les ingénieurs et les chercheurs en apprentissage utilisent de plus en plus l’IA de manière intelligente pour améliorer l’expérience et les résultats de l’apprentissage. Il s’avère que la clé est de savoir quand utiliser l’IA et quand utiliser cette touche humaine si importante.
Adopter une approche hybride
L’IA peut être très utile dans le domaine du soutien scolaire, notamment en le rendant plus accessible, plus évolutif et plus efficace. Les applications d’IA peuvent fixer des objectifs et en assurer le suivi, fournir des rappels, proposer de nouvelles techniques et bien plus encore. Les chatbots s’efforcent de rendre les interactions d’apprentissage plus accessibles et plus pratiques pour les étudiants qui peuvent y accéder à leur propre rythme et dans des environnements d’apprentissage optimaux.
Les plateformes de tutorat par IA sont en cours de perfectionnement pour mieux identifier les besoins des étudiants, combler les lacunes d’apprentissage et personnaliser les méthodes d’enseignement. Cependant, à l’heure actuelle, les tuteurs IA ne peuvent pas faire preuve d’empathie, inspirer ou encourager les élèves de la manière essentielle dont ils ont besoin pour surmonter les difficultés d’apprentissage.
La synergie entre les compétences des enseignants en matière d’apprentissage socio-émotionnel et l’efficacité de l’IA est toutefois possible, et elle est déjà en cours. De nouveaux programmes d’IA aident à identifier les élèves qui ont besoin d’aide, tandis que d’autres développent de meilleures approches pour donner des conseils aux enseignants. Qui plus est, ils le font de manière à ce que les élèves ne pensent pas à l’IA en lui disant « va te faire voir ».
Par exemple, le Personalized Learning Village (PLV, village d’apprentissage personnalisé) de l’université Carnegie Mellon est en train de mettre au point une méthode évolutive pour aider à recruter, former, évaluer et attribuer des « tuteurs mentors » humains et informatisés. Leur intervention, Personalized Learning Squared (PLUS, l’apprentissage personnalisé au carré), est un système de tutorat hybride humain-IA qui offre à chaque étudiant la quantité nécessaire de tutorat en fonction de ses besoins individuels.
Financé par le Learning Engineering Virtual Institute (LEVI, l’Institut virtuel d’ingénierie de l’apprentissage), le projet s’appuie sur des décennies de recherche en sciences de l’apprentissage grâce à une formation de pointe des tuteurs et à une application alimentée par l’IA qui donne aux tuteurs un pouvoir « surhumain », leur permettant d’aider tous les élèves rapidement et efficacement. Grâce à l’application, les tuteurs peuvent utiliser les données des logiciels de mathématiques existants des élèves pour accéder à des outils de soutien motivationnel et personnaliser l’apprentissage en temps réel. Ainsi, un plus grand nombre d’élèves peuvent bénéficier d’un tutorat de qualité à moindre coût.
J’ai travaillé avec LEVI et avec un autre bénéficiaire de subvention à l’Université du Colorado-Boulder, qui effectue un travail innovant similaire. Les chercheurs se sont associés à Saga Education pour créer une plateforme hybride de tutorat humain-agent qui analyse les interactions entre le tuteur et l’étudiant et fournit aux tuteurs un retour d’information analytique détaillé pour améliorer leurs performances. L’équipe vise à réunir le meilleur de ce que le tutorat humain et l’IA ont à offrir.
S’inspirant des nombreux avantages d’un tuteur humain, la plateforme recommande des tâches difficiles, facilite les discussions approfondies, favorise les relations entre les étudiants et les tuteurs, fournit un retour d’information et des conseils, et contribue à promouvoir l’apprentissage collaboratif. En utilisant des méthodes d’ingénierie de l’apprentissage, le projet vise à transformer rapidement et à étendre le tutorat de qualité, pour aider plus de 275 000 étudiants différents et à faibles revenus d’ici cinq ans. L’objectif est d’améliorer la qualité du tutorat à grande échelle.
Établir des liens
L’importance du soutien scolaire dans l’éducation ne peut être sous-estimée et la nécessité de trouver des moyens plus évolutifs pour y parvenir est cruciale. La pénurie d’enseignants, la stagnation ou la baisse des résultats aux examens, le manque de ressources dans différentes régions des États-Unis et les problèmes de financement des écoles, en particulier celles qui accueillent des populations diverses, sont autant d’éléments que le soutien scolaire peut contribuer à améliorer.
Cependant, retirer la composante d’apprentissage socio-émotionnel du soutien scolaire et de l’enseignement, c’est un peu comme retirer l’équation humaine de l’organisation des vacances familiales. Oui, cela allège le fardeau d’une certaine manière, mais cela ne tient pas compte des idées, des caractéristiques et des espoirs personnels qui rendent ces aventures significatives et durables. Sans compter que les ordinateurs qui prononcent des discours de motivation semblent tout simplement faux.
L’éducation n’est pas différente. L’IA peut améliorer l’apprentissage et les chatbots peuvent compléter de nombreux aspects de l’enseignement et du tutorat, mais le véritable succès réside dans la mise en place de meilleures plateformes de tutorat pour soutenir (et non remplacer) les enseignants. Ce type de synergie peut aider les éducateurs à combler les lacunes d’apprentissage et à les équiper pour inspirer aux élèves la confiance académique et émotionnelle qui transforme les défis d’apprentissage en succès tout au long de la vie.
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