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Pourquoi il y a bien destruction créatrice en Europe

Le concept de « destruction créatrice », théorisé par l’économiste Joseph Schumpeter, désigne le processus par lequel l’innovation entraîne la disparition de secteurs anciens (donc de ses emplois), remplacés par des secteurs nouveaux et plus productifs (avec ses emplois). Mais est-ce réellement ce qui se produit en Europe aujourd’hui ? Certains en doutent, soulignant que les destructions d’emplois actuelles ne s’accompagnent pas toujours de créations suffisantes pour compenser les pertes. Cela soulève la question d’un éventuel déclin économique structurel dans certaines régions, notamment en Europe, par rapport aux États-Unis.

Certains observateurs avancent qu’il n’y aurait pas vraiment de destruction créatrice en Europe.

Un des principaux arguments est que le renouvellement des grandes entreprises serait moins dynamique. En effet, parmi les dix plus grandes entreprises de la zone euro, neuf existent déjà depuis longtemps et huit appartiennent à des secteurs traditionnels comme l’énergie ou la finance. À l’inverse, aux États-Unis, neuf des dix plus grandes entreprises sont des créations récentes, principalement dans le domaine des nouvelles technologies (Google, Amazon, Facebook, etc.). Ce contraste montre une différence significative dans la capacité à innover et à renouveler le tissu économique. Les freins au renouvellement économique en Europe ne se limitent pas à un manque de nouvelles entreprises (rigidités institutionnelles). Le degré de protection de l’emploi y est également un facteur déterminant. Le marché du travail européen est souvent considéré comme rigide, ce qui freine la mobilité des travailleurs et limite la capacité des entreprises modernes et productives à attirer les talents nécessaires à leur développement. En parallèle, l’écosystème d’investissement est plus faible : les dépenses de recherche et développement (R&D) ainsi que les investissements dans les nouvelles technologies restent en deçà de ceux observés aux États-Unis et en Asie. Par conséquent, il devient plus difficile pour l’Europe d’opérer le transfert des expertises des entreprises traditionnelles vers les entreprises à haute productivité.

Pourtant il n’est pas exact de dire qu’il n’y a pas destruction créatrice en Europe. Prenons l’exemple de la France : elle est juste en marche.

Malgré ce contexte général, la France semble connaître un mouvement de destruction créatrice plus affirmé, même si celui-ci reste en phase d’émergence. Selon les données de l’INSEE, chaque année 50 000 entreprises disparaissent en France, mais près d’un million sont créées, dont 14 % sont directement liées aux NTI (l’IA et la digitalisation de l’économie). Ces nouvelles entreprises, bien que souvent de petite taille, contribuent à dynamiser le paysage économique et en forte hausse depuis une décennie. Les grandes entreprises françaises, quant à elles, restent relativement stables en termes de taille, mais augmentent leurs investissements en R&D, notamment dans les technologies de pointe. Les secteurs de l’information et de la communication représentent désormais une part importante des nouveaux emplois. Par ailleurs, 70 % des entreprises françaises considèrent les technologies de l’information comme un levier stratégique, et 75 % envisagent d’adopter l’IA dans les cinq prochaines années (source : McKinsey, World Economic Forum).

En Europe, la dynamique entrepreneuriale varie fortement selon les pays, en fonction des régulations, de l’écosystème d’innovation, et des structures économiques propres à chaque Nation. Mais de nombreux points communs existent : (1) La destruction créatrice est en marche : comme en France, plusieurs pays européens connaissent un phénomène de destruction créatrice où de nombreuses entreprises traditionnelles disparaissent, tandis qu’une vague de startups, principalement dans les technologies numériques et l’innovation, se développe rapidement avec ses emplois qualifiés. Les pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, et les Pays-Bas montrent des tendances similaires, avec une forte croissance des entreprises technologiques (secteurs de l’IA, Big Data, et FinTech notamment).

Ensuite, la part des entreprises liées aux technologies de l’information et de la communication (TIC) est en croissance constante dans plusieurs pays européens. En moyenne, les TIC représentent un pourcentage important des nouvelles créations d’entreprises, surtout dans les hubs comme Berlin, Londres, et Amsterdam. Cette dynamique est similaire à ce qui se passe en France, où environ 14 % des nouvelles créations sont liées aux NTI, enfin le rôle des Grandes Entreprises : Comme en France, les grandes entreprises dans plusieurs pays européens augmentent leurs investissements en recherche et développement (R&D) pour rester compétitives face à l’émergence de nouvelles technologies. Dans ces grandes organisations, il se créer et se transforment de nouveaux emplois. Les secteurs de l’IA et de la digitalisation de l’économie reçoivent des investissements croissants, ce qui est également observé au niveau de l’Union européenne à travers des programmes comme « Horizon Europe ».

Avec certes certaines différences : Le taux de création d’entreprises varie fortement d’un pays à l’autre en Europe. Par exemple, des pays comme l’Italie ou l’Espagne ont un taux de renouvellement entrepreneurial plus faible que celui observé en France, en partie à cause de réglementations plus contraignantes et d’un accès au financement limité pour les petites entreprises, bien que la France affiche une forte dynamique d’adoption des technologies de pointe. D’autres pays comme l’Allemagne et la Scandinavie (Suède, Danemark) ont une avance dans l’intégration de l’IA et des technologies vertes dans leurs industries.

En revanche, des pays de l’Europe de l’Est montrent encore un retard dans la transition numérique, enfin, contrairement à la France où les grandes entreprises restent relativement stables, dans certains pays (Royaume-Uni, par exemple), les grandes sociétés sont souvent restructurées ou même éclipsées par des startups à forte croissance, ce qui accentue le phénomène de destruction créatrice.

Certes, l’Europe est en retard dans plusieurs domaines technologiques stratégiques par rapport aux États-Unis et à l’Asie.

L’IA, les semi-conducteurs, la 5G, l’informatique quantique, la biotechnologie ou encore l’énergie verte sont autant de secteurs où l’Europe peine à se positionner. En termes de dépenses de R&D rapportées au PIB, l’Union européenne est désormais dépassée par la Chine depuis 2020. De plus, l’investissement dans le capital-risque reste insuffisant, ce qui freine l’émergence de « licornes » – des startups valorisées à plus d’un milliard de dollars. Prenons l’exemple des batteries et du photovoltaïque : le retard accumulé face à la Chine est considérable. Les entreprises chinoises ont non seulement bénéficié de l’effet d’échelle pour réduire leurs coûts, mais elles ont aussi verrouillé la maîtrise de la chaîne d’approvisionnement, rendant la concurrence européenne particulièrement difficile.

Le véritable enjeu pour l’Europe est de réussir à réorienter ses efforts vers des secteurs de pointe, tout en créant un environnement favorable à l’innovation (transformations structurelles). Enfin, la destruction créatrice, pour être positive, et c’est un point souvent peu abordé, doit s’accompagner d’un enrichissement des métiers grâce aux innovations disruptives. La destruction créatrice, pourrait bien être aujourd’hui, la destruction-transformation-créatrice (DTC).

Or, pour l’instant, l’automatisation et la digitalisation ont assez faiblement enrichis les métiers. Pour que la transformation soit complète, il faut donc veiller à ce que la technologie ne remplace pas simplement l’homme ou appauvrisse les métiers, mais enrichisse véritablement les tâches et les compétences pour y voir création de valeur et productivité.

La destruction créatrice n’est pas absente en Europe, mais elle se manifeste de manière différente par rapport aux États-Unis. Tandis que les États-Unis voient naître de nouveaux géants technologiques qui bouleversent le classement des plus grandes entreprises, l’Europe peine à renouveler son tissu économique, engluée dans des rigidités institutionnelles et un manque de dynamisme entrepreneurial, mais là aussi il faut pondérer région par région. Des signes encourageants émergent en France, et la transition vers une économie plus digitalisée est en cours. De façon plus générale, l’Europe devra non seulement intensifier ses investissements en R&D, déjà en marche, mais aussi créer un cadre institutionnel plus souple pour favoriser la mobilité du travail et l’émergence de nouveaux leaders économiques. Mais la destruction créatrice est bien là même si elle a 10 ans de retard sur les Etats-Unis. Les réels impacts sur la productivité se verront plus tard par l’enrichissement des métiers. 


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