L’IA générative s’invite partout, portée aux nues comme la nouvelle révolution industrielle. Pourtant, derrière ce battage médiatique, les faits s’imposent avec une froideur implacable : l’enthousiasme dépasse largement les résultats concrets. Les organisations, publiques ou privées, se lancent tête baissée, persuadées d’avoir trouvé la baguette magique capable de doper leur productivité. Mais la réalité est souvent bien différente. À l’arrivée, beaucoup d’entre elles se heurtent à une technologie complexe, coûteuse et parfois immature.
Par Nicolas Woirhaye, co-fondateur de Provence.ai
Quand la réalité économique rattrape l’utopie technologique
Les chiffres sont éloquents et difficiles à ignorer : 80 % des projets d’IA ne voient jamais le jour en production, selon un rapport de l’institut Gartner. Le cabinet d’études IDC va encore plus loin, affirmant que 90 % des applications d’IA sur-mesure ne dépassent pas la phase de prototype. Pourquoi un tel écart entre promesses et résultats ? Parce que l’IA, aussi prometteuse soit-elle, s’accompagne de problèmes de fiabilité, de coûts élevés, de défis techniques et d’un besoin considérable en ressources humaines qualifiées.
Prenons l’exemple concret d’Aleph Alpha. La start-up allemande était présentée comme la future alternative européenne à OpenAI, attirant des financements à hauteur de 500 millions d’euros. Pourtant, malgré ces investissements, ses modèles n’ont pas su s’imposer sur le marché, et ont été abandonnées par les grandes organisations allemandes. La raison ? Des performances irrégulières, des erreurs récurrentes et des problèmes de précision. Une IA qui « hallucine » peut prêter à sourire lorsqu’il s’agit de parler météo ou de répondre à des questions vagues, mais devient un réel handicap lorsqu’il faut gérer des flux financiers, automatiser des décisions administratives ou sécuriser des processus critiques.
L’erreur stratégique majeure consiste à croire qu’il suffit d’injecter des millions pour garantir la réussite d’un projet d’IA. Ce raisonnement occulte une réalité fondamentale : l’IA est une technologie avide de données, mais ces données doivent être massives, propres, et bien structurées. Or, dans de nombreux cas, les bases de données disponibles sont fragmentées, de mauvaise qualité ou tout simplement insuffisantes.
Retour à des alternatives plus fiables et spécialisées
Face à ces déconvenues, de nombreuses entreprises optent pour des solutions d’IA plus discrètes, mais largement éprouvées. Il est important de distinguer ici les grands modèles de langage (LLM) d’IA conversationnelle, qui génèrent du texte et interagissent avec l’utilisateur, des modèles d’IA plus spécialisés comme ceux de traitement automatique du langage naturel et de reconnaissance d’images. Ces derniers exécutent des tâches précises sans tenter de simuler une conversation humaine. Loin des paillettes des grands modèles présentés comme omniscients, ils délivrent des résultats concrets et prévisibles, avec des performances supérieures à nous-autres humains. Dans des secteurs comme la détection de fraude, l’automatisation des processus ou encore l’analyse documentaire, ces solutions ont fait leurs preuves à maintes reprises.
Mais un autre défi majeur persiste : celui des données sensibles. Une grande partie des technologies d’IA générative sont développées par des entreprises américaines, ce qui pose des questions évidentes en termes de souveraineté numérique. Confier des données sensibles à des acteurs situés hors d’Europe, c’est s’exposer à des risques de sécurité et de confidentialité. Dans des secteurs comme la santé, la finance ou l’administration publique, cette dépendance devient une problématique stratégique. Progressivement, les décideurs européens prennent conscience de l’importance de développer des solutions locales, capables de rivaliser avec celles des géants américains tout en garantissant une maîtrise totale des données.
L’IA représente une formidable opportunité, mais elle doit être abordée avec rigueur et lucidité. Des organisations publiques, comme la MDPH des Landes, ont montré que l’utilisation de l’IA pouvait réduire drastiquement les délais d’instruction des dossiers de handicap. Airbus a également pu optimiser ses processus industriels en utilisant l’analyse prédictive pour la maintenance et la chaîne d’approvisionnement.
La rentabilité et la prudence doivent guider chaque décision. Les dirigeants doivent comprendre que cette course à l’innovation n’est pas une affaire de vitesse, mais de constance. Ce sont les résultats tangibles, fiables et durables qui feront la différence sur le long terme. Loin des effets d’annonce, l’IA doit s’intégrer progressivement, étape par étape, pour devenir un véritable levier de croissance.
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