cela fait quelques semaines que le CES de Las Vegas a fermé ses portes et l’Intelligence artificielle (IA), plus que jamais, semble exciter le monde des affaires – mais aussi, plus étrangement, les cercles écologistes. L’IA nous sauvera, paraît-il, du péril climatique, en nous permettant enfin de consommer plus intelligemment et plus sobrement. Mais on ne fait que perpétuer un rêve technosolutionniste qui repousse la mise en place de réponses simples, immédiates et efficaces. Jusqu’à ce qu’il soit trop tard ?
Par Vincent Maillard, Président d’Octopus Energy France, fournisseur et producteur d’énergie verte et locale.
Le productivisme à la rescousse du productivisme
Les prises de parole se succèdent pour annoncer la bonne nouvelle. Sans surprise, les géants du pétrole en font aussi leur crédo. S’il faut les croire, l’IA nous aiderait à réduire le gaspillage, allouer les ressources, produire de l’énergie plus verte, optimiser nos trajets… Les exemples concrets sont rares, mais ils existent.
Dans la Silicon Valley, certains data-centers sont optimisés pour consommer moins d’électricité ; à Berlin, des expérimentations ont permis d’économiser 25% du chauffage dans 250 appartements et des résultats similaires ont été obtenus dans le métro de Barcelone.
Ces réussites suffisent à nourrir l’optimisme jusqu’au sommet de l’État, où l’on annonce des investissements massifs pour faire de la France une championne du domaine. Pour “accélérer la lutte contre le réchauffement climatique”, le gouvernement table sur le développement d’IA frugales[1] qui consommeraient 100 voire 1000 fois moins que nos IA actuelles. En somme : y’a plus qu’à ! Mais si nos sociétés sont malades du productivisme… Faut-il vraiment augmenter la dose ?
L’IA risque d’aggraver nos problèmes
Les bénéfices potentiels de l’IA sont réels – pas question de les nier. Mais ils sont rarement quantifiés et jamais mis en balance avec ses inconvénients.
Car loin d’être frugale, l’IA standard est très polluante. Une seule requête auprès de ChatGPT consommerait l’équivalent d’une heure d’éclairage avec une ampoule LED et, toutes les cinquante requêtes, un litre d’eau serait nécessaire au refroidissement du centre de données. Très bientôt, les IA pourraient consommer autant d’énergie qu’un pays comme les Pays-Bas ou l’Argentine. Pourtant, aujourd’hui, les IA restent rares et concentrées dans les mains de quelques monopoles. Nous sommes très loin du monde souhaité par nos futuristes en chefs, où les IA seront omniprésentes, jusque dans les petites entreprises et les moindres démarches du quotidien. Certains le reconnaissent d’ailleurs : la démocratisation de l’IA pourrait simplement être contrainte par les limites planétaires.
Il faut aussi se rappeler qu’une technologie n’est jamais indépendante de la société qui l’engendre. Elle est imprégnée de notre idéologie, soumise à nos objectifs et à nos routines. Ainsi, dans un système comme le nôtre, l’IA deviendra fatalement un outil pour produire et vendre plus. Les GAFAM ne viennent pas subitement de tomber en amour pour la sobriété. Si ces entreprises utilisent l’IA, c’est pour baisser leurs factures, augmenter leurs profits et les réinvestir ailleurs. Les gains de CO2 seront vite compensés.
Avant l’IA : le bon sens
Les partisans de l’IA recyclent en fait une vieille lune : celle du “découplage” entre consommation de ressources et PIB, rendant possible une croissance exponentielle et sans dommage. Maintes fois annoncé, ce miracle n’a jamais eu lieu – le contraire, même, s’est produit… Peut-être devons-nous reconnaître que nous poursuivons une chimère ? Cette idée fait son chemin. L’Agence Européenne pour l’Environnement l’a fait sienne en 2021.
La “révolution” promise n’est que la continuation, l’extension et l’approfondissement du système actuel – avec ses avantages et ses défauts. L’IA frugale, mise au service du climat, relève du même onirisme que les avions à hydrogène et la fusion nucléaire… Les chercheurs, eux, restent sceptiques quant à sa possibilité[2]. L’un d’eux, Denis Trystram (professeur à l’université de Grenoble), estime qu’il vaut mieux “remettre en cause le modèle tout entier” pour “interroger les comportements et déterminer quels usages sont véritablement nécessaires.”
En effet, dans la plupart des cas, rien ne prouve qu’un peu de bon sens ne ferait pas aussi bien que l’IA. Par exemple, dans les appartements berlinois évoqués plus tôt, l’IA ne fait que s’adapter à la présence ou l’absence des occupants. Une technologie de pointe est-elle vraiment nécessaire pour accomplir cette prouesse ? Certes, les technologies numériques bien utilisées nous aideront à surmonter les défis actuels, mais elles ne remplaceront pas le bon sens. Pour détecter les appareils énergivores, l’humanité dispose d’un outil formidable depuis la préhistoire : la main. Touchez… Si ça chauffe, c’est que l’énergie se gaspille !
La sobriété n’est pas une question technique ; nous connaissons déjà les solutions. Nous pouvons consommer mieux et moins – pas plus. Sous couvert de futurisme, l’IA ne doit pas servir de prétexte à la fuite en avant.
[1] entreprises.gouv.fr – La stratégie nationale pour l’intelligence artificielle
[2] CNRS Le Journal, Les défis d’une IA frugale, Martin Koope, 24 novembre 2023
À lire également : l’intelligence artificielle, la ressource des RH
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits