Pierre-Marie Lehucher est président de l’éditeur Berger-Levrault et co-président de Numeum, l’organisation professionnelle des acteurs du numérique né récemment de la fusion entre deux entités : Syntec Numérique et Tech in France. Il a accepté de partager ses ambitions concernant le plan France 2030 annoncé récemment par Emmanuel Macron et le rôle que peut jouer l’écosystème du numérique.
Quelles ambitions portez-vous vis-à-vis du plan France 2030 ? Qu’est-ce qu’il représente pour le secteur numérique ?
P-M Lehucher : Nous avons été plutôt impressionnés par la détermination du président vis-à-vis de ce plan. Les éléments évoqués sont tous convaincants et il n’y a pas dans les dix objectifs une seule direction qui ne nous concerne pas directement.
Numeum représente tous les acteurs du numérique : les Entreprises de Services du Numérique (ESN), les éditeurs de logiciels, les plateformes et les sociétés d’Ingénierie et de Conseil en Technologies (ICT), des startups aux plus grands groupes en passant par les ETI. Et les messages clés que nous retenons sont les suivants : l’innovation peut se mettre au service de l’humanisme et du mieux vivre ensemble. Dans le cadre du plan France 2030, le numérique peut apporter du sens à l’industrie tout en la rendant plus efficace.
Le plan est sélectif et a vocation à concentrer les investissements sur un certain nombre de Deeptech. Le gouvernement a choisi de miser sur les atours compétitifs français, sachant que le plan ne peut pas couvrir l’ensemble des technologies.
Le premier objectif du plan consiste à faire émerger en France des réacteurs nucléaires de petite taille… Le numérique a-t-il un rôle à jouer sur cette thématique ?
P-M Lehucher : Emmanuel Macron parie sur des cycles d’innovation qui peuvent être accélérés. Et c’est le cas du développement des réacteurs nucléaires de petite taille (SMR). Il y a un investissement massif prévu pour les industriels concernés. Côté numérique, l’enjeu concerne aussi les opérateurs et éditeurs de logiciels qui peuvent se mobiliser sur les besoins en termes de calcul et de simulation. Le numérique a des compétences et des outils en la matière et ce n’est pas seulement de l’ordre du pilotage, c’est aussi un fort catalyseur de recherche et développement.
Le troisième objectif concerne la décarbonation de notre industrie… Est-ce que cet objectif est réalisable selon vous ? Quelle est la part du numérique dans ce projet ?
P-M Lehucher : Nous souhaitons tous que le numérique soit plus fort dans la maîtrise de sa consommation d’énergie et il peut lui-même faciliter la poursuite de cet objectif. Au-delà du choix de l’énergie pour faire fonctionner l’industrie, le numérique peut aider à dresser un bilan global de notre consommation. Il permet aussi d’éviter des déplacements inutiles car la coordination des métiers et l’échange d’informations entre eux sont rendus plus simples.
Nous sommes au début d’une ère de transformation de l’industrie avec des effets positifs induits par le numérique. Charge à nous de mieux observer et mesurer ces effets. Nous avons les bonnes méthodes et les bons outils mais nos problématiques se trouvent plus dans les questions de gouvernance des données et de renforcement de nos écosystèmes. Cette gouvernance – si nous parvenons à fonder un numérique interopérable, sécurisé et de confiance – permettra une mesure plus objective et efficace.
C’est en ce sens que Gaia-X est un projet qu’il faut soutenir. Il faut prendre de la hauteur pour créer un cadre industriel stratégique et de confiance d’ici 2030. Je suis assez enthousiaste vis-à-vis de la contribution de Gaia-X à ce projet.
Nous sommes dans un contexte de pénurie de matières premières qui impacte toutes les chaînes d’approvisionnement dans le monde… Comment le numérique peut-il rendre notre industrie plus résiliente et souveraine ?
P-M Lehucher : La résilience du numérique est un sujet important et les outils proposés dans le cloud ont vocation à fournir une position durable à nos clients. Fondamentalement, le numérique a une part importante à jouer en faveur de cet objectif. Mais cela ne se résume pas qu’au cloud : il y a aussi des ingénieurs et des cabinets de conseil qui accompagnent tous les jours des grands groupes ou des plus petites entreprises pour les aider à se transformer et devenir plus résilientes.
La question de notre dépendance à des ressources stratégiques comme les semi-conducteurs se pose aussi. Je pense qu’avec le numérique nous pouvons améliorer la planification et la consommation des ressources. L’intérêt étant précisément de mettre l’intelligence et la cohérence au service de ces enjeux, pour mieux anticiper et désigner nos produits industriels.
Pourquoi le rapprochement entre les écosystèmes du numérique et de la recherche est-il primordial ?
P-M Lehucher : Le numérique est présent partout mais on manque cruellement de candidats et de compétences. Si nous ne sommes pas capables d’aider au développement des compétences numériques, nous allons vite nous retrouver encore plus dépendants de ressources externes. Il est donc urgent que les acteurs du numérique s’ouvrent au secteur de la formation, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Une relation de confiance étroite avec le monde académique doit être instaurée dans le temps.
Il faut par exemple donner aux jeunes ingénieurs des sujets concrets à résoudre pour les faire progresser sur tous les sujets à haut potentiel technologique. Le rapprochement entre les entreprises du numérique et les centres de recherche, entre le numérique et l’industrie, doit être renforcé car les sujets de pointe, comme le nucléaire, ont besoin de ces compétences clés.
Si nous voulons porter ce sujet formation au sein du plan 2030, il faut changer d’état d’esprit et de culture sur ces enjeux. Il est urgent de fluidifier davantage les échanges entre les différents mondes de l’écosystème, des universités aux entreprises en passant par les startups et les grands groupes. Le public et le privé doivent fonctionner ensemble pour faire émerger les bons projets et les mettre à exécution rapidement.
Qu’en est-il de la sobriété numérique dans cette course à la souveraineté ?
P-M Lehucher : Il est évident de se demander comment ce plan va impacter les problématiques environnementales et il manque quelques précisions sur ce point. A-t-on une idée du nombre de kilowatts consommés en fonction des usages numériques ? Et de la même manière : a-t-on une idée du nombre d’émissions carbones économisées grâce au numérique ?
L’écosystème numérique en France est déjà très engagé en matière de numérique responsable et pour faire du numérique un levier de la transition écologique. Par exemple, de nombreux efforts ont été réalisés pour réduire la consommation électrique – notamment dans les data centers. Il est en tout cas essentiel de mesurer l’impact du numérique pour faire des choix éclairés sur les technologies d’avenir. Pour chaque Deeptech créée, il faudrait par exemple pouvoir inclure un bilan écologique de chaque technologie développée.
L’écologie ne se limite pas à la pollution atmosphérique, de nombreux usages et pratiques numériques doivent évoluer. Nous avons un devoir de transparence et devons sensibiliser les prochaines générations. Cela passe donc par une meilleure éducation au numérique.
De notre côté, pour promouvoir l’éco-conception des services numériques, nous sommes convaincus que les incubateurs et accélérateurs de startups sont des moyens pertinents. C’est en favorisant l’émergence de ces pépites que nous parviendrons à transformer l’industrie et les grandes administrations. Le numérique responsable est autant une problématique culturelle que technologique.
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