CEO de l’éditeur français de logiciels Cegid depuis 2017, Pascal Houillon nous livre dans cet entretien ses conseils pour permettre aux organisations de « mettre un pied dans le SaaS ». Une condition qu’il juge indispensable pour s’adapter au contexte économique et technologique à venir.
Par Pierre Berthoux
Pourquoi est-ce primordial selon vous pour les organisations d’adopter un modèle SaaS ?
Pascal Houillon : En France, notre annonce en 2018 de l’arrêt progressif de notre modèle sous licence avait reçu un accueil mitigé. Mais deux ans de Covid ont permis de généraliser cette culture SaaS bien plus vite qu’en 10 ans d’investissement marketing destiné à acculturer le marché. Les entreprises ont été forcées d’adopter ces outils SaaS pour digitaliser rapidement l’accès à leur système d’information. Les entreprises qui n’avaient pas engagé cette transformation ont eu du mal à s’adapter et face au contexte actuel de ralentissement économique, ces dernières ont aussi compris que la digitalisation permet des gains d’efficacité évidents.
Cela est aussi plus intéressant d’un point de vue du coût…
P. H. : Les logiciels classiques de facturation offrent des coûts standards mais variables alors que les produits de paie en SaaS bénéficient d’un coût fixe, en fonction du volume de bulletins de paie. Cela permet de réduire énormément les coûts et d’alléger la trésorerie. Les outils ATS pour le recrutement deviennent aussi indispensables et une partie du prix est fixée en fonction du nombre de candidats. C’est toute la beauté du SaaS qui permet de proposer des tarifications adaptées au modèle économique de chaque organisation.
« Il est quasi impossible aujourd’hui de bénéficier de nouvelles technologies d’IA sans avoir mis un pied dans le SaaS. »
Avant d’acculturer le marché sur ces enjeux, votre premier défi a été d’accentuer la transformation de Cegid vers le SaaS… Cela a-t-il payé ?
P. H. : À mon arrivée, Cegid était essentiellement focalisée sur le marché français et présentait un chiffre d’affaires de 60 millions d’euros en SaaS. Ma première action a été de se concentrer à 100% sur ce volet SaaS et de supprimer progressivement les autres activités comme la fourniture d’équipement informatique. Nous voulions devenir un éditeur à part entière et non plus un intégrateur ou distributeur. Si bien que fin 2021, notre chiffre d’affaires a atteint 632 millions d’euros dont 70% correspondait à notre activité SaaS.
Notre deuxième plan stratégique annoncé il y a un an et demi porte une ambition similaire : à nouveau doubler notre revenu à horizon 2026. Pour ce faire, nous investissons massivement au service des activités de nos clients pour la mise sur le marché ou l’évolution de solutions toujours plus utiles et innovantes et une politique d’acquisitions que nous maintenons. Nous en avons conclu presque une trentaine ces six dernières années pour compléter notre offre et internationaliser nos activités, notamment au Portugal, en Espagne et en Amérique Latine. Allié à une croissance organique solide, cela a permis de générer près de 840 millions de chiffre d’affaires en 2023. En plus de la France, nous avons choisi de faire des acquisitions au Portugal car la digitalisation des factures est très rapide sur ce marché et en Espagne : 90% des entreprises du pays sont encore basées sur des logiciels sous licence.
Les acteurs européens du SaaS qui affichent comme nous un chiffre d’affaires de plus de 800 millions d’euros se comptent sur les doigts de la main. Les licences disparaissent progressivement et cela crée un appel d’air pour les acteurs tels que Cegid. Le SaaS gagne du terrain car ce modèle est basé sur la vente de résultats et non de moyens comme dans le cadre des licences.
Comment ce modèle permet-il de suivre la cadence technologique et en particulier d’exploiter le potentiel de l’intelligence artificielle générative ?
P. H. : Force est de constater qu’il est quasi impossible aujourd’hui de bénéficier de nouvelles technologies d’IA sans avoir mis un pied dans le SaaS. Le SaaS offre une flexibilité accrue pour intégrer rapidement les avancées de l’IA générative. En adoptant ce modèle, un éditeur de logiciels peut mettre à jour et améliorer ses produits de manière continue, suivant ainsi la cadence technologique sans nécessiter des mises à jour lourdes ou des installations locales. Le SaaS permet donc une réponse agile aux changements technologiques.
L’IA générative va considérablement modifier la manière dont nos clients vont consommer nos produits. Nous sommes à ce titre complètement investis dans les technologies d’IA générative avec des plans très concrets pour changer la donne de nos clients dès cette année. Combinés aux solutions de gestion de Cegid, les systèmes d’IA générative vont aider les entreprises à gagner du temps, à réduire les erreurs, à améliorer l’expérience des utilisateurs et à fournir des informations approfondies pour prendre de meilleures décisions.
Dans le cadre de notre solution Cegid Loop par exemple, nous avons entrainé des modèles sur les différents libellés de factures afin de mieux automatiser le travail des cabinets d’expertise-comptable. En matière RH d’autre part, nous nous attendons à ce que ces IA assistent directement les candidats dans l’identification de leurs compétences ou encore dans la détection d’opportunités de mobilité professionnelle ou de formations. Le modèle SaaS permet ainsi à ces assistants d’un nouveau genre d’être présents à n’importe étape de la carrière du collaborateur.
Dans la gestion de la paie enfin, l’IA générative permettra d’assurer automatiquement la conformité avec les mises à jour des conventions collectives et d’automatiser les demandes de renseignements. Pour la gestion de la fiscalité, elle aidera les utilisateurs occasionnels à remplir les formulaires fiscaux, détecter les erreurs et assurer la conformité.
Quels conseils donner aux entreprises qui ne savent pas par quelle étape commencer pour se transformer ?
P. H. : Mon premier conseil en matière de transformation numérique est de commencer de façon raisonnable. Il y a évidemment une problématique de budget, mais aussi et surtout, un enjeu de leadership et de gestion du changement, en tout cas pour les entreprises de plus d’une centaine de personnes.
Commencer petit permet déjà d’avoir plus de visibilité quant au retour sur investissement possible. Sachant qu’un modèle basé sous licence est marqué par une forte variabilité sur ce point. De notre côté, nous agissons comme une sorte de banquier et expert de la gestion de trésorerie à part entière.
Pour résumer, je déconseille de prendre une décision trop importante ou trop conceptuelle. Il faut commencer par se focaliser sur des actions très concrètes comme la digitalisation de la facturation ou encore la gestion de performance des collaborateurs.
Les start-up ont une place prépondérante dans l’évolution de cette culture SaaS… Comment Cegid les inclut-elle dans son écosystème ?
P. H. : Les start-up sont évidemment cruciales car leur développement produit est réalisé en peu de temps, avec des équipes restreintes d’une dizaine de personnes. Cela permet de prouver que cette culture SaaS offre beaucoup d’agilité et d’efficacité en matière d’innovation. Ainsi, nous menons tous les 9 mois à STATION F une session d’hébergement de start-up dans le cadre de notre Cegid Data Lab. Nous avons commencé ce projet il y a 2 ans pour aider les entrepreneurs qui souhaitent se lancer et cette initiative impacte positivement notre culture d’entreprise.
Il nous arrive aussi d’envisager le rachat de start-up ; nous recevons d’ailleurs une dizaine de candidatures par jour. Mais cela dépend de la maturité des projets et de leurs fondateurs. Ce type de rapprochement fonctionne uniquement si les fondateurs ont une vision claire et réaliste du développement de leur projet et si les fondations sont solides. Nous avons, par exemple, acquis DigitalRecruiters il y a un an, ce qui a permis d’augmenter leur chiffre d’affaires de près de 50%. Dans un autre registre, nous avons acquis en septembre dernier Boby, un éditeur bordelais d’une solution permettant aux artisans du BTP de gérer toutes leurs formalités administratives ou commerciales.
Le parcours de Pascal Houillon Pascal Houillon a toujours travaillé dans le secteur de l’informatique de gestion. Il a commencé sa carrière chez Saari dans les années 90, un éditeur de logiciels de gestion pour les PME qui a ensuite été racheté par Sage, à un moment où les solutions de facturation et d’ERP se généralisaient tout juste. Il est ensuite devenu Président des activités de Sage pour la France, la Suisse, la Belgique mais aussi l’Afrique francophone et le Brésil. Sa mission était d’analyser ces marchés et établir une stratégie d’adaptation des produits aux spécificités locales. Dans le même temps, Pascal Houillon s’est aussi engagé dans le monde associatif en devenant Président du Syntec (devenu Numeum) jusqu’en 2006, dans le but de soutenir les métiers du logiciel en France. Plus tard, en 2010, il est parti en Californie pour devenir CEO de Sage Americas. La filiale américaine battait de l’aile et son rôle était d’amorcer une restructuration tout en facilitant la transition vers le SaaS. Il a ensuite travaillé pour des fonds de private equity américains et c’est à ce moment qu’il a rencontré et sympathisé avec le fonds Silver Lake qui venait de racheter Cegid en 2016. Dès le lendemain, sa candidature a été soumise au board et il est devenu CEO de Cegid début 2017. |
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