L’économie numérique est aujourd’hui indissociable d’innombrables aspects de l’économie mondiale. Son influence se fait sentir dans des secteurs aussi divers que la banque, le commerce de détail, l’énergie, les transports, l’éducation, l’édition, les médias ou la santé. Les technologies de l’information et des communications (TIC) transforment les interactions sociales et les relations personnelles, tandis que la convergence des réseaux de téléphonie fixe et mobile, ainsi que l’interconnexion croissante des appareils et des objets avec la technologie bluetooth par exemple donnent forme à l’internet des objets. Dans son livre «L’ère numérique, un nouvel âge de l’humanité» Gilles Babinet identifie « cinq domaines dont l’évolution en cours, intrinsèquement liée au numérique, va changer toute notre vie : la connaissance, l’éducation, la santé, la production et l’État ».
Autant la technologie nous simplifie la vie, autant elle complexifie le marché du travail. Certains emplois à plein temps et de longue durée sont transformés en un flux irrégulier d’emplois « sur demande ». Les compétences recherchées aujourd’hui ne correspondent pas aux apprentissages d’aujourd’hui. Comme le montre de nombreuses études notamment celles de l’OPIIEC (1), tandis que certains métiers tombent en désuétude, de nouvelles professions et fonctions voient le jour à tout moment. Comment former ces managers et employés de demain ? De quelle palette de compétences de communication, d’encadrement tout autant que de techniques auront-ils besoin ? Cette demande de nouvelles compétences évolue rapidement. Pour assurer le développement de l’économie numérique, il nous faut d’abord comprendre les effets du numériques sur les métiers dits traditionnels pour ensuite identifier quels seront les métiers du numérique.
Rien de mieux qu’un exemple afin de garder une approche pragmatique. Aussi concentrons-nous sur le secteur de l’immobilier (2) et observons comment le numérique et l’économie des plates-formes ont pu faire évoluer les métiers au sein de ce secteur et les évolutions à venir.
Les effets du numérique sur les métiers, l’exemple de l’immobilier
Après la banque, la restauration et la santé le numérique a fait évoluer les pratiques des métiers de l’immobilier qui ont du s’adapter à cette « transformation numérique ». Il y a 40 ans si vous souhaitiez vendre ou louer votre appartement vous receviez la visite d’un agent qui rentrait votre appartement dans son portefeuille, réalisait des photos de votre appartement, les faisait développer et les exposait dans la vitrine de son agence, accompagnées d’une annonce. Si vous étiez acheteur ou locataire après avoir regardé les photos et les annonces en vitrine de l’agence vous entriez puis le marathon des visites d’appartement commençait.
Des évolutions technologiques ont fortement changé ce processus. Sans chercher l’exhaustivité mais en soulignant parfois la sérendipité, analyser l’évolution permet de comprendre les réalités associées à la notion de dématérialisation par le numérique. Ainsi, la photo numérique, qui compte tenu du coût des appareils, était d’abord réservée aux professionnels de l’image et non aux agents immobiliers, a permis de gagner en temps de mise en vitrine. Puis la vidéo numérique a permis de regarder avec l’agent immobilier, à l’agence, les appartements et leur environnement et d’éviter de se déplacer inutilement. Ces technologies étant devenues accessibles aux particuliers les agents ne se sont plus déplacés mais ont reçu par mail des photos numériques et des vidéos et la nouvelle technologie du site web leur a permis de transformer la perception de la vitrine. La vitrine elle-même est alors devenue numérique. Ainsi le numérique a dématérialisé la relation agent-vendeur, la relation agent-acheteur et ensuite la vitrine.
Si la place de l’agent était transformée à ce stade elle n’était pas pour autant remise en question. Mais avec l’apparition de l’économie des plates-formes ce pas a été franchi.
Les nouveaux métiers du numérique
La sélection algorithmique est au cœur de toutes les start-up de l’économie des plates-formes. Cette sélection en complément de la mise en relation de l’offre et de la demande permet à de jeunes pousses d’ubériser les dirigeants d’un marché qui se croyaient installés. Ainsi, les particuliers vendeurs ou loueurs peuvent présenter leurs bien sur des sites et aujourd’hui les caméras 3D permettent une vraie perception des particularités d’un appartement. Si les utilisateurs restent vigilants lorsqu’il s’agit de réaliser un achat, en revanche le marché de la location a explosé notamment pour les étudiants en Erasmus qui depuis n’importe quel établissement en région signent un bail pour un appartement dans une autre ville ou un autre pays et payent sur un site de paiement sécurisé.
Bien sûr, Airbnb a été parmi les premières sociétés à proposer une plate-forme permettant à un touriste de trouver dans une capitale une chambre à un prix bien moindre que celui d’un hôtel.
Mais cette économie des plates-formes cherche surtout à proposer des solutions disruptives dans des marchés fragmentés ce qui est la cas du marché immobilier. Les agences immobilières et les gestionnaires immobiliers forment un marché très fragmenté, avec de nombreuses micro-structures. D’après l’Insee, il existe en France plus de 44 000 sociétés qui ont une activité d’agence immobilière ou d’administrateur de biens, avec en moyenne moins de 4 personnes par structure. Les gros réseaux nationaux fonctionnent d’ailleurs sur le modèle de la franchise et sont essentiellement composés de petites structures indépendantes. Ainsi, nombreuses sont les organisations qui n’ont pas la taille critique pour bénéficier d’effets d’échelle, permettant des gains de productivité, et qui n’ont pas les ressources pour mettre en œuvre une transformation numérique.
C’est sur ce marché que se sont engouffrées les Proptech, nouvelles start-up cherchant à innover dans le secteur de l’immobilier dont le nom est issu de l’association des termes «property», et « technology ». Avec déjà plusieurs sociétés valorisées à plusieurs milliards de dollars, comme Opendoor, Redfin et Zillow, la vague semble effectivement lancée. Sur les 12 derniers mois, 102 start-up immobilières en Amérique du Nord (3) ont récolté près de 400 millions de dollars auprès d’investisseurs. Parmi celles-ci, de nombreuses cherchent à remplacer le rôle d’intermédiation de l’agent immobilier.
Par exemple, la startup Opendoor a développé des algorithmes permettant d’automatiser l’achat de biens immobiliers, qui rend les visites immobilières autonomes et permettent au vendeur de vendre son bien en ligne, de façon presque instantanée et sans passer par un agent immobilier. La start-up Mynd, quant à elle, cherche à transformer la gestion immobilière et à remplacer les administrateurs de biens, via l’automatisation des processus de gestion. HomePad permet de dresser un état des lieux depuis une tablette et Goodbail s’impose comme une plateforme de notation d’appartement entre particuliers. Ces démarches rencontrent un grands succès auprès des consommateurs français car 93% d’entre eux utilisent Internet pour la recherche de biens immobiliers.
Les défis du big data et … le retour d’un nouvel agent immobilier
Le numérique irrigue l’économie mondiale. Les flux d’information se jouent des frontières et circulent à une vitesse et dans des volumes sans précédent, avec des incidences notables sur l’innovation, les échanges, les chaînes de valeur mondiales et la société dans son ensemble. Certes les entreprises de l’UE dépensent moins dans l’innovation que leurs concurrentes avec 1,3% de PIB contre 1,6% en Chine, 2% aux Etats-Unis, 2,6% au Japon ou 3,3% en Corée du Sud mais le Big Data est en train de s’imposer dans l’immobilier. Déjà utilisé pour des services très divers (estimations en ligne, intégration de données sur l’environnement des biens, smart building, etc.), il fait désormais partie des priorités stratégiques de nombre d’acteurs de la transaction. Utilisation d’algorithmes à l’échelle industrielle pour influencer la performance des portefeuilles d’actifs et la réussite opérationnelle.
Ainsi en 2017, le spécialiste du conseil immobilier JLL a dévoilé sa solution NXT pour le retail, avec pour objectif d’offrir aux décideurs une expérience complète des données foncières dans leurs recherches de nouveaux emplacements et arbitrages.
Le dispositif s’adapte aujourd’hui aux besoins des commerces, offrant en outre des données concernant les flux de piétons, avec une précision de 20-25 mètres permise par les opérateurs téléphoniques et des start-up partenaires. Des données d’autant plus utiles qu’elles sont qualifiées, offrant une vision de l’âge, de la catégorie socio-professionnelle ou encore des centres d’intérêt des passants.
Jusqu’à maintenant, les professionnels se basaient sur le conseil et l’expérience. Désormais les enseignes demandent de plus en plus de rationalité. Les directions des grands groupes attendent d’un agent immobilier un travail sur la data pour arbitrer leurs choix. Elles veulent bénéficier d’informations allant de la comparaison de leurs réseaux par rapport à un concurrent à l’étude des flux horaires selon les typologies de clients sur les artères visées, en passant par les prix moyens des locaux et surfaces disponibles. Aujourd’hui le nouvel agent immobilier dispose d’une multitude de cartes, diagrammes et visualisations personnalisables selon les informations recherchées.
Mais encore faut-il porter les compétences de cet agent à ce niveau-là pour qu’il puisse profiter de l’opportunité de ce nouveau repositionnement.
Préparons l’avenir
Il est aisé de comprendre que l’économie des plates-formes remet en cause les notions d’offre et de demande, de relations clients, d’intermédiation et les investissements réalisés aujourd’hui soulignent l’aspect long terme de cette tendance. En 2016, les capitaux-risqueurs ont investi 6,5 milliards d’euros dans l’UE contre 39,4 milliards d’euros aux Etats-Unis.
Mais derrière ce constat chiffré une disruption plus forte s’impose. Le paradigme de la formation actuelle n’est plus opérant.
Ainsi les secteurs des Entreprises de Services du Numérique (ESN) (4) et des sociétés d’Ingénierie et de Conseil en Technologies (ICT) (5) qui permettent la transition numérique de toute l’économie française, et participent à sa croissance et à sa compétitivité doivent faire face à un challenge de recrutement et de formation exceptionnel. Aujourd’hui les ESN emploient plus de 212 000 salariés et les ICT 116 000 et ensemble elles vont recruter plus de 232 000 salariés dans les 10 prochaines années pour répondre aux attentes des secteurs marchés.
A titre d’exemple 19 métiers nouveaux ont été identifiés notamment compte tenu de l’évolution des technologies (consultant blockchain,…) ou d’une spécialisation (BIM modeleur en charge de réaliser des maquettes numériques collaboratives 3D au sein d’un bureau d’études techniques ou soit pour un cabinet d’architecture,…) ou d’une évolution de l’organisation (tacticien de l’usine du futur,…) ou de nouveaux produits et services (géomaticien,…) ou de nouveaux modèles économiques ( responsable usage et communauté,…). L’intelligence artificielle, la sécurité et les objets connectés (Internet Of Things) sont les trois thématiques prioritaires dans les plans de développement des organismes de formation. Les deux grands enjeux lors de la mise en place de formation sur les thématiques des ESN et ICT sont donc la création de programmes et le volume de stagiaires à former.
Le secteur souffre d’un manque d’attractivité des métiers de l’ingénierie et du numérique, d’un manque d’intérêt des jeunes pour les métiers et les carrières de l’ingénierie et du numérique, d’une faible attractivité auprès des femmes et d’une liaison difficile entre le monde de l’enseignement et celui de l’entreprise.
L’accession par l’ensemble des professionnels aux nouvelles compétences liées au numérique ne sera possible que si d’un côté les enseignants sont formés et de l’autre les élèves prennent conscience qu’ils doivent se former tout au long de leur vie au sein d’un écosystème dynamique ou les acteurs de l’entreprise ont pleinement leur place.
Les enseignants doivent se former et contribuer à former de futurs web managers, codeurs, urbanistes et architectes des systèmes d’information. Ils doivent d’abord préparer une génération entière à l’avènement d’une économie de la connaissance qui est aussi une économie du numérique et qui va bouleverser plus profondément et durablement la société que ne l’ont fait la révolution néolithique ou les deux révolutions industrielles.
Les enseignants et les acteurs de l’entreprise doivent surtout faire comprendre aux élèves cette notion de formation continue… car les calulateurs quantiques seront bientôt là.
(1) Au sein du FAFIEC, l’OPIEEC (Observatoire Paritaire des Métiers du Numérique, de l’Ingénierie, des Etudes et du Conseil et des métiers de l’événement) est une instance paritaire, association de 190, créée en 1998, dont les membres sont les fédérations patronales (SYNTEC et CINOV) et les organisations de salariés (F3C-CFDT, FIECI-CPE-CGC, SICSTI-CFTC, CGT, FEC-FO).
(2) Le FAFIEC / OPIIEC a réalisé par ailleurs une étude prospective sur les métiers du diagnostic immobilier.
(3) D’après le site CrunchBase
Les Entreprises de Services du Numérique sont expertes dans le domaine des nouvelles technologies et du numérique. Elles peuvent englober plusieurs métiers (conseil, conception et réalisation d’outils, maintenance ou encore formation) et ont pour objectif principal d’accompagner une société cliente dans la réalisation d’un projet. Elles proposent des prestations qui sont destinées à améliorer le fonctionnement et les infrastructures internes de leurs clients et leurs procès de gestion et d’administration.
(4) Avec des croissances entre 3 et 4% par an, les Entreprises de Services du Numérique continuent à se développer sur de nombreux marchés : embarqué, smart city, santé mobile, réseaux de communication…La croissance est soutenue par les projets de transformation numérique notamment les SMACS, pour Social, Mobile, Analytics et Cloud (réseaux sociaux, téléphones mobiles, traitement et analyse de gigantesques quantités de données, hébergement de données et services numériques à distance et sécurité sur Internet) qui progressent de 16,2 % en 2017.
(5) Les sociétés d’Ingénierie et de Conseil en Technologies contribuent à la conception et/ou à la fabrication d’un produit ou d’un équipement destiné à être vendu. L’ensemble de leurs prestations jalonnent le cycle de vie d’un produit ou d’un équipement, et vont de l’assistance à l’expression du besoin à la sûreté de fonctionnement et le maintien en conditions opérationnelles, en passant par le développement et l’accompagnement des clients dans les processus d’industrialisation
(6) Building Information Modeling
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