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Notre Comportement Se Modifie Peu À Peu, La Faute Au Numérique ?

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Présent partout, le numérique a forgé une société différente et façonne quelques traits de notre psyché. Les anthropologues s’alarment, les médecins publient et les psychologues continuent de s’interroger sur les effets induits et sur les détériorations possibles de notre santé mentale.

La transition numérique emporte tout sur son passage et au-delà de ce constat, nous notons une mutation profonde et insidieuse des comportements. Certains observateurs s’inquiètent, tout particulièrement Shirley Turkle, psychologue et anthropologue du MIT qui travaille depuis les années 1980 sur les interférences entre nouvelles technologies et êtres humains. Dans son livre « Seuls ensemble », elle pointait déjà du doigt certains phénomènes.

Robot social

Nos outils numériques ont révolutionné notre rapport au temps et aux autres. D’utilitaires téléphoniques ils se sont métamorphosés en animaux de compagnie à sang froid, nouveaux Tamagoshis ou « robots doudous ». Ils ont d’abord eu pour vocation de répondre à nos besoins quotidiens puis ils se sont mués en compagnons de vie, instaurant avec nous un lien par le biais du jeu, du sport, des voyages ou des communautés de partage. Et subrepticement, ils ont pallié nos angoisses métaphysiques et notre insécurité narcissique.

Ces minis « robots sociaux » comme les nomme Turkle, sont non seulement nos couteaux suisses mais aussi nos grigris facilitateurs de vie. Ces instruments dont le premier usage était la mise en relation, ont renouvelé nos modes communicationnels jusqu’à les dénaturer. Voyons comment ils redessinent nos vies et imposent jours après jours leur logique en revisitant nos comportements et en opérant  une forme d’emprise. Sept points ont retenu notre attention. 

Le lien social se dégrade

La révolution digitale a fait voler en éclats les frontières sociales. Le monde est à notre portée via la fenêtre de nos écrans,  ce qui nous confère une toute puissance et un pouvoir magique d’ubiquité. D’un côté le « T’es où ? » vecteur d’échanges volatiles et superficiels où l’usager butine, picore, prend, laisse, met en attente, tague, like, poke, oubliant de rentrer dans la force et la dimension d’une conversation de fond. De l’autre côté, l’émergence d’une volonté paradoxale d’appartenance à différentes communautés de pensée pour échanger, se mesurer, se rassurer.

Les smartphones, les réseaux sociaux et la kyrielle d’applications sur le marché nous transbordent dans un monde virtuel et nous incitent à expérimenter de nouvelles relations ou aventures, tout en nous conférant un rôle de metteur en scène.  Le mot est lâché, scénariser sa vie en se distanciant par écrans interposés, en supprimant ce qui gêne ou au contraire en instaurant à volonté proximité fugitive ou  focus appuyé. Créateurs de notre image selon nos idéaux sociaux et la vie dont nous rêvons par l’entremise de Photoshop ou d’autres logiciels, nous  traçons de nouveaux contours et gommons les imperfections de nos vies. Désormais, celles-ci « s’imagent-in » et s’écrivent à mi-chemin entre intimité et altérité,  rapprochement et éloignement, huis-clos et voyeurisme.

L’attention diminue

Les sollicitations multiples et exponentielles dont nous faisons l’objet nous incitent à la polychronie et nous transforment jour après jour en Shiva via le « multi tasking » (Kenyon 2008). Notre acuité attentionnelle s’émousse et notre esprit vagabonde dans une frénésie de zapping. L’impact sur notre concentration est immense, et cette habileté se raréfie sous les assauts répétés de  la multiplicité des informations à disposition.

Dès 2013, Time magazine mentionnait que le nombre d’enfants diagnostiqués comme étant atteints de TDAH, (troubles du déficit de l’attention avec hyperactivité) avait augmenté de 50% en dix ans. Sans vouloir incriminer le numérique, nous sommes perplexes devant l’utilisation croissante des smartphones et inquiets lorsque nous apprenons via Apple qu’un utilisateur d’Iphone accède en moyenne 40 fois par jour à son appareil. A cet effet, Anne-Lise Ducanda, médecin d’Ile de France, vient de tirer la sonnette d’alarme en militant à travers le Collectif Surexposition Ecrans (COSE), pour une limitation de l’accès aux écrans chez les jeunes enfants, en raison d’une suspicion forte d’autisme.

L’écoute n’est plus la norme 

L’hyper connexion chamboule nos relations car l’autre n’est plus l’objet de toute notre attention. Il suffit d’observer les amoureux aux tables de restaurants, pour se rendre compte qu’un intrus s’est glissé malicieusement au sein des couples. Avant c’était les yeux dans les yeux, aujourd’hui c’est un œil sur son écran, un œil à table, une oreille occupée et l’autre qui capte de façon prédatrice et imparfaite les mots qui intéressent. L’écoute a changé, elle est partielle, incomplète et distraite. Sans compter le changement majeur intervenu depuis une année ou deux, qui consiste à ne plus prendre le temps d’écouter ses messages car phénomène nouveau, l’écoute est vécue comme une perte de temps.

Le temps réseau fait son apparition 

Une nouvelle relation au temps s’installe  au détriment du « temps de l’horloge ». Le temps linéaire semble avoir vécu et  le temps circulaire s’enrichit d’une notion supplémentaire : le « temps réseau » (Hassan 2003). Ce dernier introduit une nouvelle temporalité faite de pluralité, de flexibilité et surtout de discontinuité. Jusqu’à présent nous voulions un temps synchrone, or il devient asynchrone. Les NTIC ont également réécrit la partition de nos temps libres où chaque minute doit être occupée et vécue intensément comme si c’était la dernière. Plus de place à l’oisiveté ou à la rêverie. Le faire supplante l’être. Les désirs instantanément comblés raccourcissent les délais, ce qui intensifie la course après le temps et nous installe dans une frénésie irrépressible : celle de vouloir rester « maître des horloges ».

La patience diminue

Les pratiques digitales génèrent la culture de l’immédiateté, du « tout tout de suite » et de l’impériosité. Nos rythmes s’emballent sous leur impulsion et nous ne supportons plus d’attendre. L’impatience est de mise. Incuber, prendre son mal en patience sont deux expressions résolument désuètes. Imaginons un chef d’escale s’adresser à des voyageurs en leur disant : « Nous vous demandons d’attendre. » Il est des mots qui ne se disent plus en communication de crise, car ils sont des crimes de lèse-temps impardonnables. A force d’impatience, nous finissons par nous décourager très vite et par ne plus cultiver la réflexion nécessaire pour surmonter l’échec. L’impact sur nos nerfs se fait découragement puis contournement en lieu et place d’une réitération persévérante.

Le bonheur est remplacé par la frustration

Une étude menée auprès d’un million de jeunes américains par le professeur de psychologie à l’université de San Diego, Jean Twenge, révèle que ceux qui pratiquent des activités durant leur temps libre, n’étant pas liées à un écran, se déclarent deux fois plus heureux que ceux qui passent plus de cinq heures par jour sur des écrans. Exposés en permanence aux publications Instagram ou Facebook, nous ressentons une certaine amertume à force de comparer nos vies à celles des autres, ce qui nous ramène inexorablement à nos insuffisances et engendre envie et frustration.

Effets nuisibles sur notre santé 

Là aussi les chercheurs alertent et parlent d’épidémie silencieuse, relatant les effets nuisibles sur la santé provoqués par les écrans et les réseaux sociaux, tant au niveau du développement cérébral, de l’acuité attentionnelle que sur notre santé psychique avec en filigrane un phénomène d’addiction, celui de la « nomophobie » qui consiste à ne pas supporter d’être sans son mobile.

D’autres études démontrent que les smartphones sont des pompes à dopamine conçues pour créer de la dépendance forte. La dictature du « like » et des « followers » nous piège et nous passons les ¾ de notre temps à vouloir surpasser les autres en étant le meilleur à tout prix, et en espérant toujours de nouvelles gratifications. Cette compétition permanente est terriblement anxiogène et pousse chacun d’entre nous à une quête incessante du « toujours plus. »

La relation ambivalente que nous entretenons avec nos smartphones est vénéneuse. L’intelligence artificielle s’empare de nos fonctions cognitives et externalise notre intimité pour mieux contrôler nos émotions et surtout pour nous rendre chaque jour un peu plus dépendant ou addictif… Non, ce n’est pas une dystopie mais bien la réalité à venir d’un humain augmenté.

Dire stop, c’est opter pour une digitale détox…

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