Au commencement il n’y avait rien… ou si peu. Parti du troc, l’homme n’a cessé d’innover dans sa façon de commercer, presque comme s’il s’agissait de sa seconde nature. Agriculture et élevage, explorations maritimes à la quête de nouveaux produits, développement des transports sur la terre et la mer comme dans le ciel. Le commerce a progressivement traversé les frontières, les villes, les villages, les routes, et les dangers pour s’accomplir directement chez nous, campés devant un ordinateur, une tablette ou un smartphone. Qui de nos jours n’a jamais acheté en ligne ? Depuis déjà plusieurs années, les étoiles se sont alignées en faveur des marketplaces, ces géants du commerce numérique par lesquels tout ou presque d’achète…
Largement répandu, le droit s’est attelé à faire une place au commerce numérique en faveur des consommateurs, mais aussi pour garantir la concurrence, et la stabilité du marché. Le législateur a d’ailleurs mis en garde contre les formes de déloyauté, les problèmes de conformité et encadré les délais de livraisons et de rétractation. Le ministère de l’économie s’est empressé de dénoncer les dérives du dropshipping, une pratique récente et pourtant légale du commerce numérique.
Pourtant, en dépit de cette adaptation rapide et ancrée dans le quotidien, il apparait que le commerce numérique évolue d’une façon significative et différente. Tourné initialement vers la consommation de produits ou services tangibles, le commerce numérique glisse progressivement dans la mise en vente produits et services virtuels… via d’autres mondes.
Le metaverse : vers une mutation du commerce numérique
Et si le film de Steven Spielberg Ready player One, sorti en 2018, s’avérait être une image prophétique du marché de demain ? Des mondes virtuels connectés à internet, où tout s’achète via des monnaies et des titres virtuels ? Où chacun aurait la possibilité de vivre la vie de ses rêves à travers son avatar ? Si la réalité ne dépasse pas encore la fiction, certaines sociétés ont compris le potentiel que pourrait générer le metaverse dans le commerce électronique et la collecte de données. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si en 2021 la société Facebook a changé de nom pour Meta en vue de son programme futuriste. Si le concept semble sorti d’un roman d’anticipation, le nombre de personnes connectées dans ces univers virtuels ne cesse d’augmenter, et de nouvelles pratiques émergent. Allant de l’achat d’appartements, de vêtements, et d’œuvres d’art virtuels…
Le metaverse repose avant tout sur une expérience immersive rendue possible par des technologies 3D, plongeant le consommateur dans un monde virtuel. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, l’avatar de l’utilisateur peut acheter des produits conçu virtuellement et qui n’existent pas forcément dans la réalité. Récemment Nike a investi massivement le marché de la mode virtuelle en mettant en vente sa gamme de chaussures : les CryptoKicks dont les prix peuvent plafonner à plus de 10 000 dollars… D’autres portent l’ambition de faire du metaverse un vecteur d’acquisition de la propriété immobilière virtuelle par la vente, l’aménagement, la gestion locative, sur le même modèle que les agences immobilières standards.
Casques de réalité virtuelle, tablettes, manettes, nombreux sont les produits commercialisés physiquement qui ont vocation à optimiser l’expérience du metaverse. Une expérience en haute définition qui confère aux utilisateurs un degré de confiance plus élevé dans la qualité des produits qu’ils achètent. Avec des boutiques et l’essayage virtuel, le commerce numérique du metaverse ne sera plus soumis aux contraintes des horaires d’ouverture, au respect des délais de livraisons, aux problèmes de conformité, au recrutement de vendeurs etc. Si le système parait trop beau pour être vrai, il est en tout état de cause virtuel et d’autant plus bénéfique puisqu’il permet de tester la popularité d’un produit sans le fabriquer tout en fournissant au consommateur une expérience optimale.
La première expérience des NFT’s
Le fort engouement que connait le metaverse aujourd’hui est principalement dû au succès rencontré par les NFT’s qui posent la base du nouveau commerce électronique. Commencé dans le secteur du marché de l’art avec le fulgurant succès de la collection « Bored Ape Yacht Club » dont les images de se vendent à prix d’or, les NFT’s se sont progressivement ouverts à d’autres secteurs. Le cinéma a profité de cette lancée pour investir le marché du NFT’s avec un premier film entièrement financé par ce biais et réalisé par un certain réalisateur du nom de Martin Scorsese. Vous l’aurez compris, les NFT’s auront bénéficié à leurs balbutiements de relais puissants, de stars, d’entrepreneurs et d’influenceurs. Ils sont même un gage d’appartenance sociale, un club fermé et exclusif regroupant une communauté d’individus détenant une même famille de NFT’s.
Première expérience du metaverse commercial, l’enthousiasme autour des NFT’s n’a fait que pousser davantage les grandes entreprises à s’armer pour la conquête d’un nouveau monde. Amazon a commencé à s’équiper de technologies du metaverse tandis que eBay envisage de lancer sa plateforme de vente de NFT’s. Avant-garde et visionnaire, le secteur de la mode n’a pas échappé à cette dynamique pour partir à l’assaut de cette nouvelle forme de créativité. Produits de modes, jeux et œuvres NFT’s diversifient l’arsenal conçu par les Gucci, Louis Vuitton, ou encore Balenciaga en partenariat avec des créateurs de renoms.
Même si la récolte de la gloire peut connaitre des revers comme la chute récente des NFT’s avec l’éclatement de la bulle spéculative des cryptomonnaies, il n’en demeure pas moins que le mécanisme fascine et ne cessera de se perfectionner. Les NFT’s ont prouvé au monde entier que le commerce numérique connaissait une mutation profonde à travers le metaverse. Davantage qu’un simple investissement, il s’est métamorphosé en porte d’entrée d’une nouvelle façon de consommer en se taillant la part du lion dans le business du XXIe siècle.
Un monde juridique à reconstruire ?
Les mutations du commerce numérique ne se déroulent pas entièrement sans nuages et apportent leurs lots de questions. Si les droits du numérique, de la consommation et de la concurrence occupent une place toute faite s’agissant des marketplaces classiques, certaines entorses et hésitations sont à soulever dans le metaverse. D’une part, il parait difficile d’imaginer l’avenir du metaverse sans que l’action décisive des GAFAM pose la question d’une asymétrie concurrentielle. Du coté des consommateurs, certains prônent pour une extension juridique de sa personnalité et protection juridique dans le metaverse, tandis que les plus conservateurs proposent une distinction des régimes.
Le droit de la propriété intellectuelle semble aussi atteint par ces évolutions, la qualification juridique incertaine des NFT’s n’y étant pas étrangère. Étant des « aliens juridiques », oscillant entre titre de propriété et simple jeton similaire à la monnaie virtuelle, les actions qui leurs sont attachées sont incertaines. Le rapport de la contrefaçon avec les NFT’s a notamment fait l’objet de plusieurs contentieux aux Etats-Unis. Le tribunal de New York avait notamment donné raison à Hermès au sujet de la reproduction détournée dans une œuvre numérique de ses sacs iconiques dans l’œuvre Meta Birkin.
Rome ne s’est pas construit en un jour, il faudra certainement attendre quelques années avant que le metaverse s’ancre dans la pratique et que le commerce numérique prenne une nouvelle dimension. Les règles du jeu seront fixées très assurément par la pratique et l’évolution de cette nouvelle forme de business, et des mentalités qui l’avoisinent. Certains déplorent la désintermédiation des échanges et la déconnexion de la moralité au prix d’une nouvelle façon de consommer, qui elle, changera en profondeur. Il n’en demeure pas moins, que ce phénomène est déjà à nos portes… Il ne s’agit pas du futur… mais de maintenant !
Tribune rédigée par Raphaël A. Hérimian, juriste d’affaires
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