Rechercher

L’utilisation croissante de l’IA alimente l’anxiété au sein des entreprises

entreprises
L'IA génère de l'anxiété au sein des entreprises. Pixabay

L’utilisation croissante de l’intelligence artificielle (IA) dans les entreprises suscite aujourd’hui chez de nombreuses personnes des craintes et des angoisses quant à leur avenir. Des recherches récentes ont montré que la santé mentale des employés a été affectée. L’enquête 2023 Work in America de l’American Psychological Association révèle que près de deux travailleurs sur cinq (38 %) craignent que l’IA ne rende une partie ou la totalité de leurs tâches obsolètes à l’avenir.

Un article de Kathy Caprino pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Pour aborder ce sujet, Kathy Caprino, journaliste chez Forbes, a rencontré ce mois-ci Dan Diasio, Responsable mondial de l’intelligence artificielle chez EY Consulting. À ce titre, il aide les clients à transformer leurs activités grâce à l’IA en soutenant l’orientation stratégique, l’identification, la conception et le déploiement de l’IA de confiance et des plateformes de données modernes. Il travaille dans tous les secteurs pour réduire le fossé entre les novices et les natifs du numérique afin de transformer les faiblesses en avantage concurrentiel.

La récente enquête d’EY sur l’anxiété des entreprises face à l’IA est basée sur les résultats obtenus auprès de 1 000 travailleurs américains au moins un peu familiarisés avec l’IA, concernant leur perception et leur expérience des technologies basées sur l’IA.

 

Kathy Caprino : Dan, qu’est-ce qui a poussé EY à mener l’enquête « AI Anxiety in Business » ?

Dan Diasio : L’IA générative (GenAI) était l’un des sujets les plus importants en 2023, avec des percées majeures dans le monde des affaires. Cependant, nous avons constaté qu’à mesure que les dirigeants adoptaient l’IA, il y avait une déconnexion entre les dirigeants et les utilisateurs des systèmes d’IA. La plupart des projets technologiques échouent, notamment en ce qui concerne l’adoption par les utilisateurs. L’IA n’échappe pas à ce défi.

Il est important pour nous de comprendre la situation dans son ensemble lorsqu’il s’agit de l’intégration de l’IA, depuis la réglementation et la mise en œuvre tactique jusqu’aux attitudes et aux sentiments des employés concernant la menace perçue que représente la technologie. C’est pourquoi nous avons estimé qu’il était nécessaire d’approfondir les aspects de l’IA et des technologies connexes qui rendent les dirigeants et les employés anxieux.

Notre enquête révèle les effets de l’IA et son utilisation actuelle sur le lieu de travail, ainsi que la manière dont son adoption rapide alimente les inquiétudes des travailleurs. Elle offre aux chefs d’entreprise des informations cruciales sur les obstacles potentiels et sur la manière d’aider les employeurs à les surmonter. Ces informations ne sont pas seulement utiles à EY pour notre propre usage, mais peuvent nous aider à mieux conseiller nos clients sur la façon dont ils devraient aborder l’adoption de l’IA en plaçant l’humain au centre de leurs préoccupations.

 

KC : D’après les résultats, qu’est-ce qui vous a le plus surpris en tant que leader dans le domaine de l’IA ?

DD : L’anxiété liée à l’IA n’a pas influencé l’enthousiasme pour le potentiel de la technologie, mais les travailleurs veulent une réglementation avec intégration. D’après notre étude, 78 % des employés estiment que le gouvernement doit jouer un rôle plus important dans la réglementation de l’IA. Compte tenu de la polarisation actuelle de la politique, le fait que les salariés souhaitent que l’IA soit davantage réglementée – par les développeurs d’IA et le gouvernement – est surprenant.

Il est intéressant de noter que les employés qui font confiance à l’IA (80 %) sont plus susceptibles que ceux qui ne lui font pas confiance (71 %) de dire que le gouvernement doit jouer un rôle plus important dans la réglementation de la technologie de l’IA.

 

KC : Y a-t-il eu des différences majeures dans les types de réponses reçues en fonction de l’âge des répondants ?

DD : Oui, le manque de confiance apparent des travailleurs de la génération Z par rapport à leurs homologues des générations X et Y était très intéressant. Bien qu’ils soient les premiers véritables natifs du numérique à entrer sur le marché du travail, les employés de la génération Z ne sont pas les plus susceptibles d’utiliser l’IA au travail et sont nettement moins convaincus de ses avantages. Par exemple, seulement 72 % des membres de la génération Z pensent que l’IA les rendra plus efficaces, contre 85 % des milléniaux et 89 % des membres de la génération X. Nous constatons que la génération Z est la plus susceptible de traiter les capacités de l’IA avec beaucoup de scepticisme. Cependant, la plus jeune génération représente l’avenir de la main-d’œuvre, et il est crucial pour les chefs d’entreprise d’impliquer la génération Z dans l’intégration de l’IA.

 

KC : Quelles mesures les dirigeants peuvent-ils prendre pour surmonter l’anxiété et les inquiétudes des employés à l’égard de l’IA avant son adoption ?

DD : Si la plupart des employés font confiance aux technologies de l’IA, ils sont presque aussi nombreux à avoir des inquiétudes. L’IA est un nouvel outil pour la plupart des employés, et avec tous les articles sur ses potentielles conséquences, les travailleurs peuvent, à juste titre, être anxieux à l’idée d’adopter pleinement la technologie. Selon notre étude, la peur de devenir obsolète (FOBO) est un fléau pour la main-d’œuvre : 75 % des employés craignent que l’IA ne rende certains emplois obsolètes. Plus inquiétant encore, environ deux tiers (65 %) des employés disent craindre que l’IA ne remplace leur emploi.

Pour les chefs d’entreprise, la communication, la transparence et l’éducation sont donc essentielles pour réduire l’anxiété des travailleurs à l’égard de l’IA et pour exploiter pleinement le potentiel de l’IA.

Les étapes et initiatives clés sont les suivantes :

L’éducation

Les travailleurs ont indiqué qu’ils n’attendent pas seulement des programmes de formation, mais qu’ils s’inquiètent activement du fait que les programmes actuellement proposés ne sont pas suffisamment adéquats. Notre enquête a révélé que 80 % des répondants ont déclaré qu’une formation ou un perfectionnement plus poussé les rendrait plus à l’aise dans l’utilisation de l’IA au travail, ce qui suggère que ces ateliers éducatifs sont essentiels pour réduire les niveaux d’anxiété. Cependant, presque autant de personnes (73 %) craignent qu’il n’y ait pas suffisamment d’opportunités de formation ou de perfectionnement, ce qui signifie que les dirigeants ne peuvent pas se contenter d’une simple formation à l’IA et que la formation doit plutôt être stratégique.

La transparence

Pour que les employés se sentent plus à l’aise avec l’utilisation de l’IA, les dirigeants doivent partager davantage d’informations sur les meilleures pratiques en matière d’IA responsable/éthique, et recevoir davantage de communications promouvant l’utilisation responsable/éthique de l’IA. Les employés ont déclaré que si la direction générale encourageait l’utilisation responsable et éthique de l’IA (77 %), ils seraient plus à l’aise pour utiliser l’IA au travail.

La communication

En fin de compte, les employés veulent être informés du processus et que leurs opinions soient entendues. 77 % des employés estiment qu’ils seraient plus à l’aise avec l’adoption de l’IA au travail si tous les niveaux de l’organisation étaient impliqués dans le processus d’adoption.

 

KC : Comment pensez-vous que l’IA va continuer à évoluer au cours de l’année prochaine ? Quelles tendances anticipez-vous pour 2024 ?

DD : Ce n’est pas la première fois que nous assistons à une vague d’enthousiasme autour du potentiel d’une technologie émergente, mais les entreprises ne devraient pas négliger le battage médiatique autour de l’IA – il s’agit d’un outil révolutionnaire et l’exploitation de son potentiel devrait être une priorité absolue en 2024 et au-delà.

Ce qui est unique dans cet enthousiasme pour la GenAI (IA générative), c’est l’augmentation constante et rapide de la maturité et de l’utilisation qui a suivi son introduction explosive sur le marché, et il n’y a aucun signe de ralentissement de cette évolution rapide.

2023 a marqué une année de découverte pour la plupart des organisations et de compréhension de l’IA, les entreprises expérimentant des solutions soutenues par l’IA dans une variété de fonctions. En 2024, nous prévoyons que le thème sera celui de l’échelle.

La GenAI sera déployée et intégrée de manière plus stratégique et en mettant l’accent sur la transformation du flux de travail (plutôt que sur l’ajout d’un nouvel outil). En outre, nous prévoyons que les organisations iront au-delà des capacités existantes et chercheront à mettre en œuvre une IA dont la taille (et le prix) est adaptée à leurs besoins, en intégrant d’autres types d’IA (comme l’IA causale) qui sont spécifiquement adaptés à l’exécution d’actions.

Dans le contexte macroéconomique actuel, marqué par une incertitude économique persistante, les dirigeants seront probablement contraints de démontrer le retour sur investissement de l’IA, ce qui devrait les inciter à passer de l’expérimentation à la transposition à plus grande échelle d’un concept qui a fait ses preuves.

 

KC : Un peu plus d’un an s’est écoulé depuis l’introduction explosive de ChatGPT sur le marché. Comment les entreprises peuvent-elles passer de l’expérimentation à l’exécution tout en gardant à l’esprit les risques associés aux nouvelles technologies ?

DD : La GenAI est une technologie fondamentalement différente de celles qui l’ont précédée. Elle est probabiliste, ce qui signifie qu’elle ne donne pas toujours les mêmes réponses, ce qui la rend difficile à tester. En outre, tout comme les capacités sont apparues lorsque les entreprises ont ajouté davantage de données aux modèles, de nouveaux risques émergent également.

Toute entreprise qui se lance dans l’aventure de l’IA devrait disposer d’un solide programme de gouvernance de l’IA et de gestion des risques. Ces programmes devraient être gérés à la fois par des chefs d’entreprise et des professionnels de la gestion des risques formés au fonctionnement de l’IA. Les chefs d’entreprise devraient se considérer comme les administrateurs et les gardiens de l’écosystème technologique de leur organisation et intégrer des pratiques responsables en matière d’IA – notamment la protection des données, le respect des obligations réglementaires en constante évolution, ainsi que des principes et des codes de pratique appropriés – afin de maintenir la confiance et d’atténuer les risques.

S’ils sont bien conçus et mis en œuvre, les mécanismes réglementaires peuvent contribuer à promouvoir des systèmes d’IA sûrs et fiables. Pour les technologies émergentes telles que l’IA, il s’agira de concevoir des mécanismes réglementaires capables d’évoluer au fil du temps.

Les implications éthiques de l’IA sont également primordiales et constituent l’une des principales préoccupations des travailleurs aujourd’hui. Notre enquête a révélé que 71 % des employés sont préoccupés par les considérations éthiques/morales liées à l’utilisation de l’IA. Les entreprises peuvent opter pour la transparence afin d’atténuer le risque humain lié aux préoccupations éthiques.

Dans notre étude, la majorité des employés déclarent qu’ils verraient une organisation d’un œil plus positif si elle :

– offrait une formation sur la responsabilité et l’éthique de l’IA à ses employés (80 %)

– créait un groupe de travail sur la responsabilité/éthique de l’IA (77 %)

– avait recours à un tiers de confiance pour examiner l’IA développée par l’organisation (76 %)

 

KC : Enfin, comment les entreprises peuvent-elles aider à préparer leurs employés à ce qui est à venir sur le front de l’IA et à construire la main-d’œuvre du futur ? Et avec le développement actuel de nouveaux outils d’IA générative, comment les organisations et les employés peuvent-ils gérer la courbe d’apprentissage ?

DD : En fin de compte, l’IA générative est là pour durer. Nous disons à nos clients de penser à l’impact de l’IA de la même manière qu’Internet a changé toutes les industries. De nouvelles innovations sont inévitables et l’autonomisation des individus par l’association des humains et de la technologie sera la clé du succès. Les entreprises n’ont pas besoin de plus d’outils, elles doivent réimaginer leurs flux de travail – et ce sont seulement les personnes qui mènent ces flux de travail qui peuvent faire en sorte que cela se produise.

Les employés jouent un rôle crucial dans l’intégration réussie des nouvelles technologies, et les dirigeants doivent donc s’efforcer en priorité d’apaiser les craintes des employés.

Une mise en œuvre réussie nécessitera une communication réfléchie et des programmes de perfectionnement significatifs qui permettront aux employés de se sentir vus et entendus, tout en veillant à ce qu’ils soient plus à l’aise pour savoir comment et quand utiliser la technologie.

 

 

Kathy Caprino est coach en carrière et en leadership, auteur de The Most Powerful You, et formatrice pour aider ses clients à construire leur succès et leur impact.

 


À lire également : IA : les dérives possibles sur le plan technologique, économique, social et politique

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC