Dailymotion existe depuis plus de 20 ans et navigue dans un marché de la vidéo en ligne investi par des mastodontes comme YouTube ou TikTok. Mais la plateforme française n’a pas dit son dernier mot et souhaite séduire à la fois les entreprises et une audience plus jeune. Un projet de réseau social à part entière qui se veut plus éthique et respectueux des internautes. Forbes a pu échanger avec Guillaume Clément, qui vient d’être nommé directeur général de la plateforme.
Qui aurait pu prédire que Dailymotion aurait survécu sur un marché de la vidéo en ligne largement monopolisé par un géant comme Youtube ? L’irréductible plateforme tricolore peut toujours se targuer d’avoir plus de 400 millions d’utilisateurs dans le monde mais le ras-de-marée plus récent de TikTok sur ce même segment ne rend pas le défi plus simple. Et si on songe à la place prise aussi par la vidéo sur Instagram, on se dit que « Daily » a tout d’un survivant.
Mais la plate-forme compte bien s’installer – voire se réinstaller – durablement dans les pratiques du grand public, y compris chez les plus jeunes générations. Une cible qui n’a jusqu’alors pas été son point fort. « Le constat était vrai, mais il ne l’est plus depuis la renaissance de Dailymotion amorcée l’an passé, rétorque le nouveau directeur général Guillaume Clément, lors d’une rencontre avec Forbes au siège de Dailymotion à Paris. Nos utilisateurs se sentent en sécurité et cela va jouer en notre faveur ».
Changement à la tête de Dailymotion Lundi 17 juin, Dailymotion a annoncé la nomination de Guillaume Clément en tant que directeur général de Dailymotion. Il occupait depuis mai 2020 le poste de Chief Operating Officer de la firme et prend ses nouvelles fonctions même jour. Maxime Saada, qui était jusqu’alors Président-Directeur Général de Dailymotion, devient Président. |
Attirer les influenceurs et la Gen Z
Pour donner un second souffle à sa plateforme, Dailymotion a dans un premier temps déployé de nouveaux contenus verticaux sur son réseau, une nécessité pour rajeunir son audience ou plutôt « s’adapter aux nouvelles générations qui produisent du contenu vertical ». À ce jour, les 18-24 ans représentent 10% de l’audience de Dailymotion et ces derniers sont manifestement friands d’usage mobile.
En parallèle, un tiers de l’audience visionne du contenu directement sur la plateforme tandis que le reste l’a consommé sur d’autres sites, via le lecteur de Dailymotion. « Ces deux types d’audience sont en croissance », assure guillaume Clément, tout en rappelant qu’une partie de son réseau de partenaires est historiquement occupé par des médias mais aussi « d’autres industries non uniquement intéressées par la publicité ». Le lecteur vidéo de Dailymotion est d’ailleurs à ce jour utilisé par 90% des médias en France.
Autre enjeu crucial : la difficulté d’attirer les foules dans un monde numérique qui fait la part belle à l’influence. Pour convaincre ces influenceurs très sollicités et qui gagnent déjà bien leur vie sur YouTube, la plateforme a mis en place un nouveau système de rémunération doté de 2 millions d’euros par an qui s’ajoute aux revenus générés via la publicité. Tous les mois, celles et ceux ayant généré le plus d’interactions sur la plateforme pourront obtenir un bonus allant jusqu’à 10 000 €. Des rétributions aussi rendues possibles grâce au succès de l’offre B2B de « Daily ».
Repensée en mars dernier, cette offre « Dailymotion Pro » vise 10 000 clients d’ici 2028 – notamment dans le secteur du commerce, du marketing, de la communication interne et de la diffusion d’événements en direct – et devrait contribuer au retour à l’équilibre. En plus d’offrir une solution d’hébergement vidéo, un service d’analyse des données confectionné en interne est aussi mis en avant. « Nos clients ont tout de suite compris la qualité de notre technologie de traitement des données et de leur monétisation », assure Guillaume Clément.
Un algorithme « vertueux » favorisant l’exploration
Dailymotion a lancé l’an passé un appel général aux créatrices et créateurs de contenus, ralliant déjà quelques noms comme Marion Séclin, Juliette Katz ou encore le vulgarisateur historique Nota Bene. Au total, 1 000 créateurs ont été convaincus jusqu’à présent et l’objectif de dépasser les 3000 est fixé à fin 2024. « Ce n’est pas le fait qu’on rémunère mieux qui a attiré ces talents mais plutôt une volonté d’adhésion au modèle éthique que nous représentons », insiste Guillaume Clément. Dailymotion joue ici la carte de « l’algorithme qui vous veut du bien » et promet une meilleure gestion de la toxicité en ligne.
Et elle semble être sur la bonne voie : dans un contexte où la créativité est souvent impactée par la toxicité et le harcèlement en ligne, avec 64% des créateurs de contenu ayant déjà été victimes de violence en ligne, Dailymotion souhaite proposer un modèle qui préserve la santé mentale de ses utilisateurs à l’aide d’un algorithme « vertueux » favorisant l’exploration plutôt que l’optimisation. « Nous avons reçu un très bon écho sur notre positionnement et les nouvelles fonctionnalités de notre algorithme », se félicite Guillaume Clément auprès de Forbes.
Plus encore, d’après son nouveau baromètre de la santé mentale des créateurs et des internautes, 27% des créateurs de contenu ont déjà arrêté de publier pendant quelque temps pour préserver leur santé mentale en 2023. Et parmi les utilisateurs français qui regardent plus de 2h de vidéos par jour, 48% d’entre eux déclarent avoir une perception distordue de la réalité. Ainsi, cette promesse de « safe space » vise plus largement à répondre aux insatisfactions vécues par les internautes sur des plateformes concurrentes. « Bien souvent, les utilisateurs ont la sensation d’avoir perdu beaucoup de temps et plus de 60% de la Gen Z s’inquiète de l’impact des algorithmes sur leurs propres idées », développe Guillaume Clément.
Documentés depuis les années 2010, ce sont les effets des bulles de filtres qui sont ici mis en cause. Une personnalisation algorithmique accrue qui enferme les internautes dans une bulle et leur propose du contenu destiné uniquement à conforter leurs propres opinions. Pire encore, ce système a la fâcheuse tendance de faciliter la propagation de la désinformation (les fausses informations se répandent 6 fois plus vite que les vraies) et peut mener à des dérives dangereuses qui alimentent la radicalisation en ligne. Guillaume Clément évoque en particulier les attentats de Christchurch de 2019 en Nouvelle-Zélande qui ont été relayés en direct sur les réseaux sociaux et en toute liberté.
Faire de l’éthique un marqueur de différenciation à part entière
« Cette tragédie a soulevé la question des dérives algorithmiques et la nécessité de plus de transparence des données pour assurer une meilleure modération en ligne », précise Guillaume Clément. Pour analyser ces signes de radicalisation, des chercheurs français ont demandé l’accès aux données des grandes plateformes et seuls Dailymotion et LinkedIn ont accepté, d’après le COO de Daily. À cela s’ajoute un travail en amont des équipes de data scientist qui s’occupent de prévenir les biais dans les données d’entrée. Ainsi, l’algorithme serait en mesure de faire des recommandations plus variées, promouvant plus de diversité d’opinion et de ton. Cela passe aussi par une meilleure mise en avant des créatrices qui doivent faire face à plusieurs biais algorithmiques sexistes.
« On reproche surtout aux algorithmes actuels de se calquer seulement sur la similarité pour booster leur taux d’engagement, commente Guillaume Clément. Les plateformes ont une responsabilité, elles ont les moyens d’agir mais cherchent surtout à protéger leur business model ». Ce dernier se dit ravi de constater que le temps de visionnage sur Dailymotion a été multiplié par 5 et confirme son ambition de promouvoir plus d’ouverture et de diversité dans les contenus. Quitte à sanctionner unilatéralement des comptes qui vont à l’encontre de ses valeurs.
« C’est un équilibre difficile à tenir entre l’urgence de mieux réguler le problème de toxicité en ligne et le fait d’éviter d’entraver la liberté d’expression », admet Guillaume Clément. En effet, si les autres grandes plateformes concurrentes adoptent une position plutôt neutre sur le sujet, c’est avant tout car la modération, voire parfois la censure de contenu génère de la friction et peut faire fuir des communautés entières. « C’est évidemment un travail à faire au cas par cas mais ce n’est pas vrai d’affirmer que 100% des contenus jugés problématiques sont dans une zone grise qui rendrait le fait de trancher impossible », insiste-t-il.
Une question nous taraude tout de même : Dailymotion aurait-il pris ce virage éthique – et différenciant – s’ils avaient été un mastodonte, au coude-à-coude avec les YouTube et consorts ? « Franchement, je ne sais pas, nous répond Guillaume Clément. Mais j’insiste sur le fait que repositionnement n’est vraiment pas qu’une posture marketing, on y croit. C’est le reflet des valeurs de notre équipe et on l’aurait adopté même si on avait été dans une situation économique différente au moment du relancement. »
Dailymotion s’efforce donc d’avoir une ligne directrice claire, quitte à risquer de se développer plus lentement que ses concurrents. Force est de constater que l’éthique n’est pas ce qui paye le plus sur les réseaux sociaux mais elle pourrait bien s’imposer sur le long terme comme un facteur différenciant, voire incontournable.
Guillaume Clément a pu relire ses citations avant publication de l’article.
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