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Long-format | Boissons énergisantes, Dieu, nicotine : le tiercé gagnant des « Gundo Bros », un groupe d’entrepreneurs qui alimentent le rêve militaire de la Silicon Valley

Gundo Bros
Vue générale des bureaux d'AT&T le 10 novembre 2020 à El Segundo, Californie. | Source : Getty Images

Des investisseurs en capital-risque comme le fonds américain Andreessen Horowitz se pâment devant les « Gundo Bros », qui créent des entreprises américaines de matériel et de logiciels près de l’aéroport international de Los Angeles.

Article de David Jeans et Sarah Emerson pour Forbes US – traduit par Flora Lucas

 

En février dernier, des centaines de personnes ont convergé vers Sand Hill Road pour une fête organisée par Andreessen Horowitz (le fonds américain de capital-risque est également connu sous le numéronyme A16z) et l’entreprise de défense américaine Anduril afin d’envoyer un message fort : les États-Unis sont menacés et c’est maintenant qu’il faut construire !

De nombreux participants suivaient l’arrivée d’un groupe d’entrepreneurs dans la vingtaine, essentiellement des hommes, qui se font appeler les « Gundo Bros ». Le groupe postait des mises à jour en direct de leur voyage en bus depuis El Segundo, la ville adjacente à l’aéroport international de Los Angeles, où se trouvent les principaux sous-traitants de l’industrie de la défense américaine. Arborant des coupes mulet, mâchant des sachets de nicotine et avalant des boissons énergisantes, le groupe chantait des chansons patriotiques tout en remontant la Pacific 101 Highway lorsque soudain ils se sont arrêtés sur le bas-côté de la route pour prier et lancer un drone. Le fondateur d’A16z, Marc Andreessen, les a encouragés en suivant de loin leurs frasques sur X. « Roulez plus vite, la fête commence », a-t-il déclaré.

La « Unofficial Stanford Defense Tech Kickoff Party » a été annoncée comme un pied de nez public à l’université de Stanford, où, quelques semaines plus tôt, un panel d’étudiants de la Stanford Graduate School of Business avait rejeté une demande de création d’un club de technologie de défense. Depuis qu’une révolte des employés de Google a poussé le géant de la technologie à abandonner un important contrat avec le Pentagone en 2016, les sociétés de capital-risque ont réagi en investissant plus de 100 milliards de dollars dans des entreprises de technologie de défense, donnant naissance à une nouvelle génération de start-up militaires dirigées par des fondateurs hauts en couleur et patriotiques tels que Palmer Luckey, le fondateur milliardaire d’Anduril connu pour ses chemises hawaïennes, sa coupe mulet et sa barbichette.

 

Qui sont les Gundo Bros ?

À l’instar de Palmer Luckey, les Gundo Bros se sont imposés comme le visage de cette tendance, promouvant bruyamment leur nouveau style au sein de la Silicon Valley. Ils font de la musculation tout en codant, organisent des feux de camp hebdomadaires sur la plage et s’abreuvent de boissons énergisantes. Ils appellent à un retour aux racines américaines de la construction de matériel à El Segundo, où des pionniers comme Jack Northrop et Allan Lockheed ont construit les piliers de l’arsenal américain. Ils adhèrent également à l’« accélérationnisme efficace », une philosophie qui appelle à faire progresser la technologie quel qu’en soit le prix (et dont Andreessen Horowitz est l’un des plus fervents défenseurs).

L’entrepreneur Isaiah Taylor, qui a créé son entreprise de réacteurs nucléaires, Valar Atomics, à El Segundo l’été dernier, a décrit l’esprit Gundo Bros comme une publicité pour des cigarettes des années 1950. « L’ambiance est la suivante : les États-Unis sont de retour, les mecs font du rock, la nicotine est bonne en fait, nous allons à nouveau sur la lune (et sur Mars), nous en avons assez que seules les entreprises de logiciels viennent des États-Unis », a-t-il écrit dans un message adressé à Forbes. « Il est bon et formidable de défendre notre pays et de construire des systèmes d’armement qui permettent de le faire. »

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Ce mouvement est également soutenu par un fonds de 500 millions de dollars lancé par Andreessen Horowitz l’année dernière pour soutenir le « dynamisme américain », c’est-à-dire la conviction que les entreprises américaines devraient construire l’avenir des États-Unis. Katherine Boyle est la première à avoir utilisé le terme « Gundo Bros » il y a deux ans dans un manifeste dans lequel elle affirmait que la superpuissance américaine était en déclin, paralysée par des groupes d’intérêts spéciaux, la captation de la réglementation et des « incitations structurelles pernicieuses ». L’année dernière, les lobbyistes d’Andreessen Horowitz ont dépensé plus d’un million de dollars pour cibler les législateurs américains, et les employés du fonds ont fait don de plus de 20 millions de dollars à des campagnes politiques récentes. Dirigé par Katherine Boyle et son associé David Ulevitch, le fonds s’est engagé à investir dans des secteurs tels que la défense, l’aérospatiale et la sécurité publique, et est devenu un credo puissant pour les jeunes fondateurs qui espèrent que leurs créations façonneront l’avenir de la guerre.

Si Andreessen Horowitz est peut-être le plus fervent partisan des Gundo Bros (« Je vous aime tous », s’enthousiasmait le compte X du fonds récemment), d’autres investisseurs comme Shaun Maguire, un partenaire de Sequoia qui a soutenu de nombreuses entreprises de technologie de défense comme Mach Industries, ont également applaudi le mouvement. « Je signe où ? », a posté Shaun Maguire sur X. John Coogan, entrepreneur en résidence au Founders Fund (société d’investissement en capital-risque basée à San Francisco), a réalisé une visite vidéo avec d’autres fondateurs d’El Segundo : « L’innovation américaine dans le domaine du matériel informatique fait son retour, et cela se passe à El Segundo. » Ce mois-ci, certains fondateurs d’El Segundo ont même été félicités par Tucker Carlson pour avoir rejeté « les mensonges de la modernité libérale ».

 


« Tout le monde ne sera pas séduit par notre style sans concession. »

Isaiah Taylor, PDG de Valar Atomics


 

Tout le monde n’a pas été séduit par ce mouvement. De nombreux internautes se sont interrogés sur la disparité flagrante entre les genres au sein du mouvement. Une source anonyme au fait des nouvelles du secteur de la technologie de défense d’El Segundo a déclaré que lors d’un événement, il n’y avait que deux femmes dans une mêlée de 150 hackers. Une autre source a noté le même problème, mais a affirmé que les Gundo Bros ne sont pas représentatifs de l’ensemble du mouvement.

Isaiah Taylor reconnaît que peu de femmes ont participé à ses hackathons, mais il estime qu’il s’agit d’une simple autosélection : « N’importe qui dans le monde peut se présenter à nos feux de camp et parler de technologie de défense », a-t-il déclaré. « C’est une question d’adhésion, n’est-ce pas ? Tout le monde ne sera pas séduit par notre style sans concession qui consiste à dire “vous devriez construire des missiles ou des fusées parce que ce pays est grand et mérite d’être défendu”. ».

 

El Segundo, le terrain de jeu de l’industrie américaine

Ce groupe de jeunes entrepreneurs n’était pas le premier à s’installer à El Segundo, un terrain de 1 435 hectares jouxtant l’aéroport international de Los Angeles, qui possède une longue histoire avec l’industrie américaine. La société Standard Oil (aujourd’hui Chevron) s’attribue la fondation de la ville où, en 1911, elle a établi sa deuxième (« segundo » en espagnol) raffinerie de pétrole après avoir dépassé les limites de ses installations dans la région de la baie de San Francisco. La raffinerie occupe toujours plus de la moitié de la ville, qui est devenue un centre de fabrication d’avions pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, certains de ses principaux employeurs sont Boeing, Raytheon et Northrop Grumman.

Cependant, la contre-culture de la Silicon Valley s’est développée dans la ville depuis l’arrivée de SpaceX en 2002 et d’Anduril en 2017, toutes deux supervisées par des dirigeants (Elon Musk et Palmer Luckey) qui rejettent aujourd’hui bon nombre des conventions de la Silicon Valley. Bien qu’il n’ait pas fondé Tesla, Elon Musk a affirmé que l’idée d’une entreprise de voitures électriques lui était venue alors qu’il était dans un restaurant de poisson à El Segundo, et la ville est heureuse de faire partie de l’origine du constructeur automobile. « La société SpaceX s’est installée ici et toutes ces personnes brillantes dans l’industrie ont fait des choses incroyables, c’est une renaissance », a déclaré Drew Boyles, le maire d’El Segundo, à Forbes. « Ce qui est réel, c’est que les gens font littéralement leurs valises et viennent s’installer ici. »

 


Augustus Doricko est l’archétype du fondateur Gundo Bros : croyant, patriote et baraqué. Sa bio X indique : « DM pour parler de deadlift #beastmode. »


 

Augustus Doricko est un nouveau venu au sein des Gundo Bros. Jeune homme musclé de 23 ans, il a abandonné l’université pour lancer Rainmaker, une start-up qui développe des drones et des logiciels visant à modifier les conditions météorologiques en faisant pleuvoir. Augustus Doricko, qui a levé 1,5 million de dollars pour son entreprise, est l’archétype du fondateur Gundo Bros : croyant, patriote et baraqué. Sa bio X indique : « DM pour parler de deadlift #beastmode. »

Dans un café local fréquenté par les entrepreneurs d’El Segundo, Augustus Doricko a déclaré que l’état d’esprit actuel des Gundo Bros s’est vraiment développé après qu’Andreessen Horowitz a annoncé le lancement de son fonds « American Dynamism » en mai dernier, afin d’investir dans de nouvelles entreprises de matériel et de logiciels qui servent les intérêts de sécurité nationale des États-Unis.

« Ils ont semé les graines et je leur en suis reconnaissant », a déclaré Augustus Doricko. « Mais l’histoire échappe totalement à leur contrôle. Nous nous la sommes appropriée et elle nous appartient désormais. » Il décrit le fondateur idéal Gundo Bros comme étant « extrêmement passionné et cool, contrairement aux fondateurs de logiciels bossus et tranquilles qui sont notoirement connus à San Francisco ».

À l’usine Rainmaker, près d’une douzaine d’entrepreneurs en âge d’être à l’université ont récemment organisé un événement d’une semaine pour rédiger des pitchs pour leurs entreprises. Jakob Diepenbrock, un étudiant de 20 ans de l’université de Northeastern qui a organisé le rassemblement, a rempli un réfrigérateur de 15 kilogrammes de bœuf haché et de caisses de boissons énergisantes Monster pour nourrir le groupe. « Le carburant des légendes », a-t-il déclaré à Forbes.

Parmi les participants se trouvait Ulys Sorok, un étudiant de l’université de Waterloo qui a fait un passage dans l’entreprise de cryptomonnaie WorldCoin de Sam Altman. Il est en train de créer une entreprise qui, espère-t-il, fabriquera un jour des « machines autoréplicatives ». « C’est le type de vision qui change littéralement la trajectoire de l’humanité », a déclaré Ulys Sorok. « Je suis ravi d’être à l’avant-garde dans notre domaine. »

Certains ingénieurs de la région ne savent pas trop quoi penser de tout cela. « Ce qui se trouve sur X n’est pas fondé sur la réalité », a déclaré à Forbes Chris Power, fondateur d’Hadrian, qui a levé plus de 100 millions de dollars et automatise la fabrication de composants pour le matériel militaire. « À l’instar des grands tournants de l’histoire et du capital-risque, il faut transformer le battage médiatique en réalité », a-t-il ajouté. « Et cela dépend surtout du nombre de fondateurs sérieux par rapport à ceux qui ne peuvent pas opérer la transition après un départ précipité. »

Delian Asparouhov, associé de Founders Fund qui a levé plus de 180 millions de dollars pour sa société qui veut fabriquer des médicaments dans l’espace, Varda, l’a récemment affirmé avec plus de force, qualifiant un groupe d’entrepreneurs basés à El Segundo de « gens pas sérieux ». « Allez faire quelque chose de significatif de votre vie avant de jeter des pierres », a-t-il écrit sur X.

 

Un mouvement qui a gagné de l’ampleur avec les conflits à l’international

Il y a quelques années encore, les campus universitaires protestaient contre les efforts de recrutement d’entreprises de défense telles que Palantir. Cependant, les conflits en Ukraine, à Gaza et les tensions croissantes avec la Chine ont transformé El Segundo en chant de sirène pour les étudiants patriotes qui cherchent à construire des technologies pour le champ de bataille. « Parler de défense en classe était un tabou », explique Rasmus Dey Meyer, un étudiant de l’université de Georgetown qui a organisé un hackathon à El Segundo au début de l’année. « Si vous étiez considéré comme un défenseur de l’industrie des technologies de la défense, vous vous faisiez remarquer. »

Le hackathon était organisé par Apollo Defense, la société de Rasmus Dey Meyer, qu’il a cofondée avec Catarina Buchatskiy, Nathaniel Salander et Tommy Tietjen. Les ingénieurs y ont travaillé jusque tard dans la nuit sur des systèmes destinés à la ligne de front en Ukraine et au ministère ukrainien de la Défense. Catarina Buchatskiy, étudiante en relations internationales à Stanford qui, l’été dernier, s’est entraînée aux côtés de soldats à Kiev pour obtenir une licence de pilote de drone, a déclaré à Forbes que l’objectif de l’événement était « d’être axé sur la mission, ce qui le différencie de la plupart des hackathons que nous voyons. Dans le domaine des technologies de défense, il faut construire dans un but bien précis. »

En d’autres termes, il y a un sens de l’objectif collectif. « Je pense que c’est emblématique du dynamisme américain, du McCarthisme, de l’esprit des ingénieurs du nucléaire, de la communauté solidaire et intégrée qui est représentative d’El Segundo dans son ensemble », a déclaré Rasmus Dey Meyer.

Cependant, il y a aussi le spectacle. Le bus, le réfrigérateur rempli de viande de bœuf, les flexions des biceps. Pour les entrepreneurs plus chevronnés, c’est une distraction potentielle par rapport à la véritable construction de l’entreprise. Bryon Hargis, un ancien ingénieur de SpaceX qui a créé l’année dernière une entreprise de missiles hypersoniques appelée Castelion, a déclaré qu’il avait installé sa société à El Segundo en raison de l’accès aux talents. Bryon Hargis, qui a levé 14 millions de dollars auprès d’Andreessen Horowitz et a supervisé le mois dernier le premier essai d’armement de son entreprise, a déclaré qu’il aimait l’énergie d’El Segundo, mais qu’il pourrait se passer de l’agitation parasite.

« Avoir une nouvelle génération enthousiaste et intéressée par les valeurs américaines est incroyable », a déclaré Bryon Hargis. Cependant, « de notre point de vue, le fait de se laisser entraîner par la culture des mèmes ne nous aide pas nécessairement à atteindre nos clients hyper conservateurs. Mais que Dieu les bénisse ! »

 


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