Si l’innovation technologique alimente de nombreux débats, notamment autour de son impact sur l’emploi, son incidence sur la qualité de vie au travail est tout aussi capitale. Elle conditionne la vie quotidienne de millions de salariés. Alors qu’on ne doute plus de l’apport des technologies en termes de simplification, rationalisation ou flexibilité, elles peuvent également déboucher sur des biais – addiction, sur-sollicitation, voire vide émotionnel – qui vont à l’encontre de l’objectif initial.
Une source indéniable d’optimisation…
Les innovations technologiques – outils bureautiques de type traitement de texte ou tableurs, smartphones et tablettes, outils en ligne, intranets, solutions SaaS, mais aussi sites de co-voiturage, de conciergerie digitale, de partage d’informations, etc. – sont aujourd’hui totalement enracinées dans notre quotidien, tant professionnel que personnel. Elles forment une source indéniable d’optimisation : elles améliorent l’organisation du travail en facilitant la mobilité, le télétravail ou la flexibilité. Elles permettent de gérer des volumes de plus en plus importants d’information et de se rapprocher des clients. Elles facilitent le pilotage global de plus en plus complexe de l’entreprise. Bref, elles contribuent à améliorer la réactivité et la précision de l’entreprise, pour se traduire au final en hausse de productivité et d’efficacité.
… pouvant se révéler contre-productive
Pourtant, de nombreuses voix se sont élevées pour questionner cette analyse largement répandue. Un prix Nobel d’économie – Robert Solow – a par exemple démontré que les NTIC n’avaient pas eu un impact aussi positif sur la productivité que la machine à vapeur ou l’électricité. Au contraire, elles auraient suscité une contraction de la production et de l’emploi. En cause, un retour sur investissement discutable, du fait d’importants coûts associés (conseil, maintenance, etc.).
Mais quelle entreprise (à de très rares exceptions près) peut imaginer s’en passer aujourd’hui ? Si elles n’apportent pas d’avantage concurrentiel étant devenues des commodités, le fait de ne pas y recourir s’apparenterait à un suicide… Nous voici donc enchaînés involontaires.
Alors qu’elles facilitent sans conteste le quotidien d’une foule de métiers, les technologies peuvent simultanément avoir des conséquences sociales néfastes. Sur-sollicitation, voire addiction et dépendance ; espionnage ; infobésité ; multiplication des interruptions… elles modifient les comportements et les relations. Un risque de vide émotionnel guetterait même certains collaborateurs – les nouveaux outils tels que l’e-mail ou le « chat » dépersonnalisant l’échange, du fait de l’absence de son et de contact sinon physique, du moins visuel. La communication ne passe plus par les mêmes signes, ce qui peut entraîner des incompréhensions, voire des conflits.
Un garde-fou : les managers
Les nouvelles technologies nous obligent à développer de nouvelles capacités pour nous adapter à cette nouvelle réalité. Il devient essentiel de savoir bien gérer son temps et ses priorités, de savoir prendre du recul, des « respirations » (« digital » ou « job detox »).
Elles restent essentielles aux performances de l’entreprise, à condition de ne pas dépasser la ligne rouge : lorsque celles-ci sont obtenues au détriment du bien-être, les salariés deviennent des robots. Les innovations sont des outils à notre service, comme le silex, l’imprimerie ou la voiture, et leur valeur est fonction de l’usage que l’on en imagine. Nous disposons donc des moyens pour ne pas devenir esclaves des technologies.
A ce titre, le dirigeant et tous les managers de l’entreprise doivent incarner un rôle essentiel de garde-fou. Face à la pression du rendement, ils doivent poser un cadre raisonnable pour aider chacun à prendre conscience des risques et s’en protéger. Par exemple à travers l’établissement de chartes du télétravail, de la déconnexion, de la mobilité, des nouvelles technologies… Ou en démontrant eux-mêmes une certaine prise de recul par rapport à leur fonction (le fameux management par l’exemple). Ou encore en instaurant des vacances « sans mail » et en organisant des périodes de coupure permettant aux salariés de recharger les batteries.
On voit que le modèle économique et social basé sur la croissance et le PIB échoue à équilibrer le besoin de performance de l’entreprise avec celui de bien-être des salariés. Sans aller chercher des exemples extrêmes, la notion de RSE – Responsabilité Sociale et Environnementale – est aujourd’hui fondamentale. Le dirigeant de l’entreprise, avec l’ensemble de la direction et de ses managers, a la possibilité d’agir sur la position du curseur : jusqu’où la performance ? jusqu’où la productivité ? et à quel prix ?
Il existe autant de chemins que d’entreprises ou d’entrepreneurs, et nous sommes tous en recherche permanente du juste équilibre, un jour penchant d’un côté, un jour de l’autre… Mais, une des principales qualités d’un bon dirigeant est, me semble-t-il, d’avoir conscience de ses propres paradoxes et questionnements. Bienveillance, altérité, humilité sont des mots tout aussi importants que performance, productivité et motivation dans le vocabulaire du dirigeant.
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