Les enquêtes de polices autorisent de plus en plus l’exploitation de données personnelles et la fouille d’outils informatiques. Jusqu’où sommes-nous prêts à accepter le reniement des libertés individuelles au profit de la sécurité collective ?
L’affaire San Bernardino : une flagrance d’opposition entre protection des données et protection des personnes
Le 2 décembre 2015, deux tireurs font irruption dans un centre d’accueil pour sans-abris et tirent à l’aveugle. Une fusillade terrible par laquelle l’Amérique déplorera 14 décès et 21 blessés. La police poursuit les malfaiteurs et abat l’un d’eux au cours d’un échange de coups de feu. En même temps, des indices semblent confirmer l’acte terroriste.
Le F.B.I, souhaitant avoir accès aux données contenues dans l’iPhone d’un des assassins, ne tiendra pas compte de l’avis défavorable d’Apple. Le fabricant faisant valoir entre autres les lois de protection des données individuelles. « S’assurer que les forces de l’ordre puissent obtenir des informations numériques pour des questions de sécurité reste une priorité pour le Gouvernement », avait déclaré Mélanie Newman en sa qualité de porte-parole du département de la Justice. Ainsi, faisant fi de l’avis des constructeurs et s’appuyant sur la sécurité et l’urgence nationale, le F.B.I – avec l’accord du Président Donald Trump – a délibérément fait appel à une structure secrète pour hacker le smartphone.
No limit : la police déverrouille un iPhone avec l’empreinte d’un cadavre
Le 28 novembre 2016, Abdul Razak Ali Artan fauche plusieurs piétons au volant d’une voiture, avant d’achever ce carnage au couteau. Le drame se joue sur le parking du campus de l’Université de l’Ohio à Columbus et cette fois, les renseignements américains souhaitent faire parler un iPhone 5. Les policiers tenteront de débloquer l’iPhone en utilisant l’index du cadavre de l’assassin. Malheureusement pour eux, le résultat n’est pas probant puisque cette génération d’appareils n’est pas équipée de la fonction Touch ID.
Toutefois c’est là une première du genre selon Forbes, qui mettra à jour cette information. Outre Atlantique, c’est le dénouement d’une affaire qui aura fait du bruit et qui n’aura pas une grande publicité au cœur de l’Europe.
Piratage légal : quand la justice valide les procédés du F.B.I
Dans cette seconde affaire criminelle, la police utilisera finalement le même logiciel de décryptage que celui mis au point par ses services dans l’affaire San Bernardino. Une issue rendue possible par une décision du tribunal favorable au Gouvernement. Ce dernier n’a donc pas à fournir d’information à Apple quant aux actions qui auront permis de forcer le déblocage des iPhone incriminés. « Divulguer ces données reviendrait à donner aux hackeurs des informations sur le niveau de compétence des services de sécurité », a estimé la Cour.
Dans le cadre de cette affaire, USA Today, Vice News et Associated Press se sont regroupés dans l’espoir de pouvoir contraindre l’État à donner des informations relatives aux moyens mis en œuvre dans le ‘piratage légal’ de données numériques. Un processus judiciaire est engagé dans l’optique de connaître le nom de l’outil, de son concepteur, mais aussi le prix réglé pour son acquisition. Sur l’ensemble des revendications, le tribunal a donné une fin de non-recevoir, estimant que divulguer ces informations reviendrait à mettre en péril le concepteur et l’outil.
Empreintes numériques : le monde s’inspire de la méthode américaine
La Chine, avec plus de 74 millions d’entrées sur son sol chaque année, a mis en place en 2017 un procédé de relevé et de fichage systématique d’empreintes, à l’image des États-Unis et du Japon qui enregistrent déjà ces données depuis plus de 10 ans ! Le Touch ID n’est désormais plus fiable si on peut imaginer combien il est facile de reproduire artificiellement une empreinte digitale.
Au-delà d’une affaire qui aurait pu être passée sous silence et au-delà de la prise d’empreintes sur un cadavre, s’ouvre véritablement et une fois encore la question de la protection de la vie privée. Apple a beau revendiquer son souhait permanent de protéger les données de ses clients, il est évident, au travers de ces exemples, que le citoyen lambda n’a plus de secrets pour les hackeurs de tous bords.
La contrainte : contraire aux libertés, elle semble pourtant devenir la règle
Bien des fois et dans bien des affaires, l’histoire des enquêtes est revenue vers des indices anciens afin de tenter de les faire parler. La découverte des techniques ADN est un exemple actuel de ces méthodes qui consistent à ‘faire parler les morts’, sans que nous ne nous en offusquions outre mesure. Pourquoi alors juger ‘choquant’ la prise d’une empreinte sur un cadavre ?
La question est à retourner de la façon suivante : A-t-on le droit d’obliger un individu – par la contrainte – à débloquer son iPhone ? Or, comme on ne peut obliger une personne à parler sous la torture, on ne peut davantage la contraindre à des actes non consentis, de quelque sorte qu’ils soient. Ainsi, en Europe, mais aussi dans les pays dits ‘démocratiques’, il est de mise que le droit fondamental de ne pas s’auto-incriminer est acquis. Dès lors, un cadavre a-t-il des droits et peut-il ou non s’auto-incriminer ?
Matiasma : quand le passeport biométrique devient le mauvais œil
L’empreinte optique est un outil désormais répandu dans les applications d’accès à l’informatique et notamment pour la protection des smartphones. En service depuis plus de 10 ans, le passeport biométrique est un scan numérique de vos empreintes digitales et optiques. L’enregistrement et la classification de masse de ces données peuvent laisser penser qu’à tout moment, elles peuvent être mises à disposition d’un service d’État, ‘dans l’intérêt de la nation’, mais surtout à l’insu du citoyen. L’identification oculaire est bien le nouveau capteur d’empreintes.
Les affaires de San Bernardino ou de l’université de l’Ohio, les attentats de Paris, du Caire et d’ailleurs, sont toujours et partout prétextes justifiés à une escalade du renseignement. Ces multiples pistages semblent impuissants face à des individus prêts à commettre des attentats. Ils paraissent passer à travers les mailles des filets de la police. Les gouvernements donnent toujours plus de pouvoirs aux services de renseignement. Si la crainte des attentats peut justifier la mise en œuvre de moyens exceptionnels, ne risque-t-elle pas de faciliter certaines déviances ?
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