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L’IA peut-elle prédire le succès d’un film ?

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Full Frame Shot Of Empty Chairs

Dans l’univers du cinéma, l’intelligence artificielle s’impose comme un nouvel acteur clé. Des sociétés comme Largo.ai et Cinelytic, grâce à leurs algorithmes sophistiqués, promettent de transformer la création et la production cinématographiques. Mais ces outils peuvent-ils réellement percer le mystère de l’émotion cinématographique ? Vincent Luciani, président de l’Artefact AI Film Festival, nous éclaire sur cette évolution.

Un article issu du numéro 28 – automne 2024, de Forbes France

 

Les frères Lumière « se retournent-ils dans leur tombe » ? L’intelligence artificielle (IA) s’affirme désormais comme un élément central dans la production cinématographique, un peu à l’image de ces deux ingénieurs passionnés qui inventèrent le cinématographe en 1895. Scénarios, genres, castings et lieux de tournage sont autant de variables complexes que des sociétés comme Largo.ai et Cinelytic exploitent pour prédire les recettes de films. Par exemple, Largo.ai, implantée à Lausanne, Los Angeles, Londres et Istanbul, commercialise des recommandations aux producteurs et réalisateurs. L’entreprise a ainsi prédit 13,9 millions de dollars de recettes pour le film d’horreur The Signal. Dans un autre projet, Zone 414, un thriller de science-fiction, l’IA a été utilisée pour affiner le scénario et choisir le casting optimal, contribuant ainsi à une estimation de revenus de 10 millions de dollars. D’autres start-up comme Scriptbook conçoivent également des IA capables d’évaluer le potentiel commercial d’un film à partir du scénario ou du casting, réduisant ainsi les risques pour les professionnels du secteur. « Dans ces cas spécifiques, il s’agit d’intelligences artificielles prédictives, dérivées des méthodes statistiques que l’on utilisait bien avant que le terme d’intelligence artificielle ne soit popularisé, explique Vincent Luciani. Chez Artefact, il y a environ dix ans, nous avons réalisé une expérimentation avec une société de production cinématographique, et nous étions déjà capables d’établir des corrélations significatives. Il apparaît rapidement que le budget d’un film est étroitement lié à son succès. Prenons, par exemple, la notoriété d’un acteur, qui influencera directement les retombées du film. »

L’IA n’est pas infaillible

Pourtant, malgré leur sophistication croissante, ces outils ne sont pas infaillibles, et l’IA rencontre des limites lorsqu’il s’agit de capturer la complexité artistique du cinéma. Les algorithmes, bien qu’efficaces pour optimiser des aspects techniques, peuvent-ils réellement saisir l’essence émotionnelle et créative d’un film ?

« Le désir du spectateur reste toujours une énigme que la machine ne peut entièrement percer », répond Vincent Luciani. Pour preuve, le succès inattendu de la comédie Un p’tit truc en plus, rejetée initialement par des producteurs, mais frôlant aujourd’hui les 11 millions d’entrées. « La magie du cinéma échappe aux algorithmes les plus avancés. Les IA n’auraient jamais pu prédire le succès de ce film. »

Une surprise cinématographique qui n’intéresse guère Sami Arpa, PDG de Largo. ai, dont les outils d’intelligence artificielle se destinent aux grosses productions hollywoodiennes plutôt qu’aux films d’auteur, jugés incapables de « faire de l’audience ». « Les critères de succès commerciaux ne coïncident pas toujours avec ceux des films d’auteur, lesquels peuvent offrir une richesse culturelle et artistique échappant aux analyses fondées exclusivement sur les données, observe Vincent Luciani. Ce type d’analyse s’avère en revanche bien plus pertinent pour un blockbuster, tel que le huitième volet de la série Marvel. »

En créant l’Artefact AI Film Festival, entièrement dédié aux courts métrages réalisés avec l’intelligence artificielle, ce polytechnicien de formation et fondateur d’Artefact, une agence de conseil en intelligence artificielle, a voulu offrir une plateforme unique où « l’IA n’est pas seulement un outil, mais un partenaire créatif ». Président du jury du festival, qui aura lieu mi- novembre, le réalisateur d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet, friand d’effets spéciaux qui servent l’aspect poétique de ses films, incarne un symbole fort pour cette première édition. « Ce festival est une plateforme pour explorer les nouvelles possibilités offertes par l’IA tout en mettant en avant la créativité humaine. Il permet de voir comment l’IA peut collaborer avec les artistes pour donner naissance à des œuvres innovantes », souligne Vincent Luciani.

La production cinématographique plus accessible

Un tournant semble s’opérer dans une industrie où l’avenir de l’IA se dessine non pas en remplacement de l’humain, mais en tant que partenaire complémentaire. La société dijonnaise Genario, spécialisée dans l’IA de contenu pour les auteurs, propose par exemple des arcs narratifs et des bibles cohérentes, tout en réduisant les équipes de scénaristes et en automatisant certaines tâches comme le maquillage. « Nous avons réalisé des avancées significatives avec les IA génératives capables de produire du contenu. Cependant, je reste sceptique quant à l’idée que des scénarios aboutis puissent surgir spontanément dans votre ordinateur via ChatGPT. J’aime l’idée d’une sorte de stagiaire qui propose des idées. Ensuite, c’est au scénariste de choisir celle qui lui convient. Les scénaristes ont encore un avenir radieux devant eux », rassure Vincent Luciani.

Un secteur qui devra, plutôt que de résister à ces nouvelles technologies, commencer à les intégrer pleinement dans ses pratiques. « Les IA vont rendre la production cinématographique plus accessible, permettant à davantage de personnes de réaliser des films, mais elles ne remplaceront pas les créateurs professionnels. Elles fourniront des outils puissants qui, bien qu’ils transforment les pratiques, ne supplanteront jamais l’expertise et la vision artistique humaines. De la même manière que l’iPhone n’a pas remplacé la photographie. »

Cette démocratisation va de pair avec le perfectionnement des techniques, notamment dans la post-production où l’IA permet d’automatiser des tâches complexes, comme le montage, les effets spéciaux, et l’animation faciale, réduisant ainsi les coûts et les délais de production. « Certains studios professionnels recourent à l’animation faciale pour les scènes où le maquillage traditionnel se révèle trop chronophage. Un exemple notable est la série Arsène Lupin, où le personnage a parfois eu recours à ces technologies avancées pour parfaire son travestissement. »

Côté marché français, le développement des technologies d’intelligence artificielle appliquées au cinéma est encore à la traîne. Avec une estimation avoisinant les 150 millions de dollars, le secteur demeure bien en deçà de celui des États-Unis, où 1,2 milliard de dollars représente une part significative du marché mondial du divertissement. « Il y a des start-up innovantes, telles que Runway [logiciels de montage de vidéo], qui apportent des contributions significatives, mais nous excellons principalement dans des domaines de recherche sur des algorithmes fondamentaux. Et notre développement est encore majoritairement orienté vers le traitement du texte plutôt que sur la vidéo. » Pour Vincent Luciani, l’IA dans la vidéo est appelée à transformer radicalement l’industrie cinématographique. « Le marché est encore ouvert sur la vidéo parce que cela ne fait que commencer, même s’il faut composer avec Google, Facebook ou Microsoft qui possèdent une capacité exceptionnelle à développer des outils en s’appuyant sur de vastes réservoirs de données. Par exemple, YouTube, avec son énorme stock de vidéos, dispose d’un avantage décisif pour concevoir des logiciels d’IA. »

Si les technologies d’IA dans le cinéma soulèvent les mêmes interrogations que dans d’autres secteurs, notamment en ce qui concerne leur impact sur la créativité humaine, la réponse semble inchangée : tout dépendra de l’usage que l’on en fera. Dans le meilleur des cas, ces outils pourraient permettre de gagner du temps et de stimuler l’innovation, tout en laissant intactes les composantes essentielles de l’art cinématographique. Comme le souligne Sam Altman, directeur général d’OpenAI, « l’IA générative est un outil puissant pour la créativité et l’innovation, mais nous devons veiller à ce qu’elle soit utilisée de manière éthique et responsable ». À l’avenir, l’IA pourrait ainsi devenir un allié précieux pour les créateurs, augmentant leur capacité à raconter des histoires tout en respectant ce qui fait l’essence même du cinéma. Reste à voir comment ces nouvelles dynamiques transformeront le paysage de la production cinématographique mondiale.


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