L’IA agentique est-elle en passe de devenir aussi incontournable pour les entreprises que l’ordinateur personnel l’a été dans les années 1990 ? C’est la question centrale qui alimente les débats parmi les experts du secteur.
Toutefois, la définition même de l’IA agentique fait débat. Pour certains, elle n’est qu’un énième terme à la mode, largement surestimé. D’autres, comme Ryan Salva, directeur senior de la gestion des produits chez Google et ancien vice-président produit chez GitHub, vont plus loin : « Je déteste le mot agent », confie-t-il. Dans une interview récente avec TechCrunch, il regrette que « l’industrie en abuse au point de lui faire perdre tout son sens ».
Néanmoins, un consensus semble émerger sur un point : contrairement à l’IA générative, qui se concentre sur la création de textes, d’images, de vidéos et d’audios à grande échelle, les agents d’IA sont conçus pour agir, en prenant des décisions et en exécutant des tâches avec un degré d’autonomie croissant.
Quelle est réellement la valeur de l’IA agentique pour les entreprises aujourd’hui ? Et ces agents dits intelligents sont-ils suffisamment avancés pour s’adapter à notre façon de travailler, alors même que l’essor de l’IA se heurte à des défis majeurs comme la consommation énergétique, l’efficacité de l’apprentissage et la fiabilité des données ?
Une consommation énergétique insatiable
Chaque nouvelle technologie suscite un engouement, mais une fois l’euphorie retombée, les questions de fond émergent. C’est précisément ce qui se passe avec l’IA agentique, qui suscite aujourd’hui un vif intérêt.
En réalité, son déploiement à grande échelle dépend largement de la résolution de la crise énergétique qui accompagne l’essor de l’IA. Comme je l’ai déjà souligné dans plusieurs articles sur Forbes, l’industrie fait face à une demande énergétique colossale, les hyperscalers allant jusqu’à envisager l’énergie nucléaire pour alimenter leurs infrastructures d’IA.
« Les investissements massifs dans les GPU et les infrastructures IA rappellent les grandes révolutions industrielles passées, où des technologies de rupture ont redéfini l’économie », explique Amit Walia, PDG d’Informatica. « Mais au-delà du matériel, l’efficacité énergétique sera un facteur clé de l’adoption de l’IA », ajoute-t-il.
Les modèles d’IA, en particulier ceux qui nécessitent des prises de décision en temps réel, exigent une puissance de calcul considérable. Pour les entreprises qui ne parviennent pas à optimiser leur infrastructure, cela peut se traduire par des coûts opérationnels insoutenables.
Pour M. Walia, l’adoption de modèles d’IA plus économes en énergie est essentielle pour relever ce défi : « Des agents d’IA plus efficaces, consommant moins d’énergie et réduisant les coûts opérationnels tout en s’alignant sur des objectifs environnementaux, seront nettement plus attractifs. »
Si la consommation énergétique représente aujourd’hui l’un des principaux obstacles au développement de l’IA, d’autres défis restent à venir.
La nécessité d’algorithmes d’apprentissage plus intelligents
Au-delà des infrastructures énergivores et des centres de données, l’IA agentique doit apprendre et s’adapter de manière plus avancée que les modèles traditionnels.
Heureusement, l’apprentissage par renforcement (RL) apparaît comme une solution clé. Selon M. Walia, cette approche permet aux agents d’IA d’affiner leur comportement avec le temps en exploitant des données réelles et synthétiques pour simuler différents scénarios. Contrairement aux modèles d’IA générative, qui s’appuient essentiellement sur des transformeurs pour convertir des entrées en langage naturel en sorties, les agents d’IA doivent aller plus loin : ils doivent apprendre de l’expérience et prendre des décisions de manière autonome.
Srinivas Njay, PDG d’Interface.ai, partage cet avis et souligne le rôle central du RL pour les agents d’IA chargés de tâches complexes. « Pour l’IA agentique, qui doit exécuter des tâches de bout en bout, le RL permet de naviguer dans des arbres de décision, de s’adapter à des conditions changeantes et de s’améliorer en continu grâce à l’apprentissage par l’expérience », explique-t-il. « Plutôt que de simplement générer une réponse, l’agent apprend à agir pour obtenir des résultats concrets. »
Cependant, si le RL permet d’améliorer la prise de décision, il est loin d’être une solution miracle. Il présente plusieurs limites, notamment un coût élevé en données et en puissance de calcul, un manque d’interprétabilité des décisions prises par le modèle, et une faible capacité de transfert, les modèles RL peinant souvent à s’adapter à de nouveaux environnements sans entraînement supplémentaire.
C’est pourquoi les applications d’IA les plus avancées combinent désormais le RL avec d’autres approches, comme l’apprentissage supervisé, l’apprentissage non supervisé et des techniques de récupération augmentée comme la Génération Augmentée de Récupération (RAG), afin de surmonter ces limitations.
En somme, à mesure que l’IA progresse, des algorithmes toujours plus sophistiqués seront nécessaires pour éviter un phénomène de redondance. Aujourd’hui déjà, la plupart des modèles d’IA accomplissent des tâches similaires, certains se distinguant uniquement par de légers avantages sur des critères spécifiques. Une évolution technologique continue sera donc indispensable pour aller au-delà de cette uniformisation.
Le défi des données
Si les données sont le socle de la performance de l’IA, elles constituent aussi le principal frein à l’essor de l’IA agentique. Un agent d’IA n’est performant que si ses données d’entraînement le sont, et sans informations de qualité, adaptées à un secteur spécifique, il peine à fonctionner efficacement dans des domaines comme la santé, la finance ou le service client.
« Notre dernier rapport sur les directeurs des données révèle que 43 % des entreprises considèrent la qualité, l’exhaustivité et la disponibilité des données comme leur principal obstacle au déploiement de l’IA », explique Amit Walia. Il insiste : « Sans données de haute qualité et adaptées à un domaine précis, même les modèles d’IA les plus avancés atteindront leurs limites. »
Srinivas Njay observe ce problème de près dans le secteur des services financiers, où l’IA agentique est testée pour la banque en ligne et la détection de fraudes. « Les silos de données, les contraintes réglementaires et les formats incohérents compliquent la tâche des IA, qui peinent alors à agir avec confiance », souligne-t-il.
Pour lui, la solution passe par une modernisation en profondeur de l’infrastructure des données. « La clé réside dans l’unification des silos et l’accès en temps réel à des informations fiables et de qualité », affirme-t-il.
Mise au point
À mesure que l’excitation retombe et que l’engouement se confronte à la réalité, il apparaît de plus en plus évident que la plupart des entreprises ne sont pas encore prêtes à confier entièrement la prise de décision aux agents d’IA — en particulier dans des contextes sensibles tels que la gestion des relations clients, les transactions financières ou la planification stratégique.
« Il ne fait aucun doute que les agents d’IA vont transformer le monde des affaires, mais aujourd’hui, ils excellent surtout dans les tâches structurées et répétitives », explique Amit Walia. « Là où l’enthousiasme dépasse la réalité, c’est dans la prise de décision à fort enjeu. En fin de compte, ce sont les humains qui créent les choses. Et gérer ces personnes est essentiel. Les agents d’IA ne sont pas encore capables de gérer des relations clients complexes ni de fonctionner sans supervision humaine. »
Srinivas Njay partage cet avis et souligne que si l’IA peut déjà automatiser certains processus comme le traitement des litiges ou les demandes de prêt, les régulateurs et les dirigeants exigeront une supervision humaine pour les décisions plus complexes. « Le principe fondamental est le suivant : l’IA pour les tâches, l’humain pour le jugement », affirme-t-il. « Les agents d’IA excellent dans les processus basés sur des règles, mais les humains restent indispensables pour poser des limites, notamment dans les situations où la confiance et l’empathie sont essentielles. »
Miser sur la stratégie plutôt que sur l’effet de mode
Nous ne sommes qu’au début d’une transformation qui pourrait s’inscrire dans la durée, à l’image de l’essor des logiciels d’entreprise et du cloud computing. Si les agents d’IA vont inévitablement gagner en capacité, les entreprises doivent avant tout se concentrer sur les fondamentaux : assurer la qualité et la disponibilité des données, améliorer la culture de l’IA au sein des équipes et intégrer ces technologies de manière à générer des gains de productivité tangibles.
« Tout commence à se mettre en place : les progrès en matière d’efficacité des GPU, l’apprentissage par renforcement et l’optimisation des données spécifiques à chaque secteur accélèrent l’adoption », souligne Amit Walia. « Les entreprises qui sauront maîtriser la gestion de leurs données et collaborer efficacement avec les agents d’IA seront les mieux placées pour ouvrir la voie. »
En réalité, il est encore difficile de prévoir quand les conditions seront véritablement réunies pour que les agents d’IA transforment en profondeur les opérations des entreprises, ni combien de temps cela prendra. Mais d’ici là, celles qui privilégient une approche stratégique plutôt qu’un simple engouement opportuniste seront celles qui tireront les bénéfices les plus concrets.
Une contribution de Kolawole Samuel Adebayo pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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