Il est loin le temps des sites pour adultes et des jeux vidéos faits par et pour les hommes. Aujourd’hui, les femmes veulent leur part du gâteau. Les productrices utilisent la réalité virtuelle pour toucher les femmes du monde entier.
La réalité virtuelle a beau en être à ses débuts, elle devrait tout de même générer aux alentours de 7,2 milliards de dollars au niveau mondial d’ici la fin de l’année. On parle de montants avoisinants les 150 milliards en 2020. Prenant en compte le fait que cette technologie est relativement récente et différente de tout ce que l’on peut trouver dans la Silicon Valley, peut-on dire qu’elle permettrait aux créatrices de contenus multimédia de se lancer dans la course en même temps que les hommes, et ainsi créer un terrain de jeu équitable pour les deux sexes ?
C’est en tout cas ce qu’avance le professeur Anneke Smelik, une experte en culture visuelle à l’université de Radboud en Hollande. Pour elle, le moment est venu pour les femmes de se battre à armes égales sur un des secteurs de l’art visuel. Elle s’exprime : « L’univers du jeu vidéo et de la réalité virtuelle en général sont considérés comme des mondes masculins, mais les femmes créatrices de contenu ou réalisatrices de films doivent pouvoir commencer à s’approprier de nouveaux genres et de nouvelles technologies pour raconter leurs propres histoires. »
Pourquoi donc ? Premièrement parce que les plus gros investissements dans ce secteur concernent des expériences de jeu vidéo d’action, d’horreur et autres concepts basés sur l’adrénaline, ainsi que des expériences pornographiques. Cela signifie que le gros du contenu actuel est maîtrisé et dominé par les hommes. En février de cette année, une étude approfondie menée en Angleterre a montré que les hommes étaient plus enclins à utiliser la VR (pour Virtual Reality) que les femmes. 20% des hommes auraient déjà testé la technologie, contre seulement 13% des femmes. Une autre étude récente a montré que deux tiers des femmes n’étaient pas enthousiastes à propos du concept de réalité virtuelle.
La technologie serait sexiste ?
C’est relativement facile à expliquer : Le monde de la technologie à un sérieux problème de sexisme. De nombreux sociologues, anthropologues et autres en ont déjà parlé dans leurs recherches. Le monde de la VR n’a pas encore prouvé qu’il était différent. L’année dernière, la gameuse Jordan Belamire a créé un buzz après avoir écrit comment elle avait été agressée sexuellement en ligne dans une expérience VR. Cela, en mettant en avant des questions d’éthique, de comportement et de consentement dans un monde virtuel. En parallèle, la start-up de la Silicon Valley appelée UploadVR a fait face à un procès sur de nombreuses allégations, incluant des discriminations sexistes et des agressions sexuelles, suggérant que le sexisme présent dans l’industrie avait commencé à s’infiltrer et à se faire ressentir jusque dans les contenus.
Cependant, un certain nombre de femmes productrices sont déterminées à faire en sorte que le monde de la réalité virtuelle ne subisse pas le même destin que les autres technologies de divertissement. Elles ont décidé d’aider les femmes à se faire une place dans la VR, tout simplement en créant du contenu développé par et pour les femmes.
La cinéaste Jayisha Patel fait ressentir les émotions des femmes avec la réalité virtuelle
Jayisha Patel, une cinéaste indépendante, fait partie des femmes qui utilisent la réalité virtuelle et son potentiel. Son film intitulé « Notes to My Father », comprenez « Notes à mon Père », est un court documentaire qui explore l’histoire d’une survivante du trafic humain, une Indienne nommée Ramadevi. Lorsque l’on vit l’expérience à travers un casque VR, le résultat donne des frissons.
Une des scènes les plus pénibles place le spectateur dans un wagon de train rempli d’hommes. Grâce à la réalité virtuelle, on se rend vraiment compte de ce que c’est d’être l’objet de tous les regards masculins. La cinéaste témoigne :
« J’ai essayé de faire ressentir aux spectateurs ce que cela fait d’être la seule femme du wagon et de voir tous ces hommes qui vous dévisagent, de les entendre remettre leur ceinture, de discerner leur respiration qui s’intensifie et s’accélère… C’est une situation dans laquelle vous commencez à comprendre ce que cela fait d’être considérée comme un objet.«
« Ce que je voulais faire avec ce film, ce n’était pas simplement montrer le regard d’une femme dans une histoire d’abus sexuel, qui s’avère être un problème de femme. Mais bien d’utiliser ce point de vue pour montrer que les hommes sont souvent complices et instigateurs de ce genre d’abus et d’agressions. Raconter des histoires à propos des femmes ne se limite pas à montrer des femmes pleines de pouvoir à l’écran pour un public féminin. C’est aussi montrer la vulnérabilité de certaines femmes, qui peut ainsi être comprise non seulement par les femmes, mais par tout le monde« , explique-t-elle.
Ici, le point de vue féminin en réalité virtuelle met le spectateur dans la peau d’un personnage qui souffre, et cela offre une expérience d’empathie et d’exploration sensorielle du ressenti de certaines femmes au quotidien.
Catherine Allen, productrice impliquée
Un autre exemple de la réalité virtuelle qui place le spectateur dans la peau d’une femme nous vient de la productrice Catherine Allen. Elle gère un collectif appelé VRvirtual, qui tente d’inciter les femmes à créer du contenu pour la réalité virtuelle. Elle s’exprime : « Nous avons cette opportunité en or de faire du monde de la réalité virtuelle un monde diversifié et ouvert à toutes et à tous. Mais pour le moment, il s’agit d’un monde dirigé par les hommes et le contenu disponible reflète cela à merveille. Quand je me rends sur le Oculus Store, je suis assaillie d’œuvres en tous genres qui sont clairement développées par les hommes, et pour les hommes ».
Allen a donc décidé de rectifier le tir. L’année dernière, elle a créé « No Small Talk », un talk-show en réalité virtuelle visant les jeunes femmes. Filmé à 360 degrés, le talk-show est présenté par Cherry Healey et Emma Gannon et se déroule dans un café, où les deux jeunes femmes parlent de tout et de rien. Les sujets peuvent varier, allant de comment prendre de belles photos avec son smartphone à comment on se sent lorsque l’on est victime d’anxiété. Cela ressemble à un podcast visuel, qui est conçu pour faire en sorte que le spectateur se sente dans la peau du troisième personnage assis à la table du café. Allen commente son projet en disant : « Nous voulions faire en sorte que le spectateur se sente dans le peau de l’ami discret qui s’assoit et qui écoute. »
Le show représente un beau pas en avant dans la création de contenu en réalité virtuelle qui serait accessible et attirant pour les spectatrices et les jeunes femmes en général. Mais il n’a pas été du goût de tout le monde. Allen explique : « Certains des sujets mâles sur qui nous avons testé le talk-show ne comprenaient simplement pas le concept. Lorsque des femmes ont une discussion, les hommes la décrivent souvent comme des ragots ou comme des discussions futiles. Pour eux, tout a l’air simpliste, improductif, et frivole. Mais lorsque les hommes ont une conversation, elle est considérée comme une discussion importante, une délibération, ou un débat. Nous avons utilisé le talk-show pour changer ce concept en montrant comment les femmes parlent de sujets sérieux et importants, qu’ils soient d’actualité ou non. On a tenté de s’éloigner de la technique qu’utilisent tous les talk-shows d’aujourd’hui, à savoir la recherche permanente de buzz et de frissons pour faire plus de vues. »
Dans la recherche de moyens de donner de l’importance à la voix des femmes, les histoires et les récits ne montrent pas de résultats intéressants, mais la réalité virtuelle commence à ressembler à un espace positif et ouvert à ce genre de projet. Allen donne son point de vue : « Nous sommes encore en train d’essayer de comprendre ce qu’est vraiment la réalité virtuelle, comment elle s’inscrit dans la société, et qui va en profiter. Je ne pense pas qu’en soit il s’agisse d’un média plus apte à faire passer les messages des femmes. Mais le fait qu’il s’agisse d’une nouveauté que tout le monde commence à exploiter en même temps nous donne la responsabilité d’en faire une forme de divertissement diversifié et dénué des problèmes de sexisme que l’on rencontre dans l’industrie en général. Aidons à faire en sorte que la VR soit représentative de notre société ».
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