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Le Long Chemin De L’Inclusion Digitale Planétaire ?

Bonne nouvelle : la moitié de la population mondiale est connectée à Internet depuis 2019. Mauvaise nouvelle : l’autre moitié ne l’est pas, soit au moins 3 milliards d’habitants, dont la plupart vivent dans les pays en développement. Pour leurs gouvernants, la priorité est claire : accélérer l’inclusion digitale, synonyme de meilleure croissance économique et d’une plus grande cohésion sociale. Si l’Hexagone s’inscrit aussi dans cette logique, il existe néanmoins une exception Française : plus qu’ailleurs on se méfie de la technologie…

Selon le Baromètre du Numérique 2019, 88 % des Français utilisent Internet « au moins de temps en temps ». Ce qui signifie donc que les autres, plus de 6 millions d’entre eux, ne l’utilisent jamais… Pour diverses raisons : un manque d’appétence pour l’usage de la technologie, des difficultés à se connecter, des ressources financières limitées. Mais ce ne sont pas les seules. La difficulté à utiliser le matériel, le manque de souplesse d’utilisation de nombreuses applications (y compris dans l’Administration) contribue à laisser ces Français à l’écart d’Internet.

Naturellement ce sujet fait depuis longtemps partie des préoccupations des différents gouvernements, initiateurs de nombreux plans d’inclusion digitale : simplification de l’accès aux services publics en ligne, couverture des zones blanches, encouragement d’entreprises innovantes (la « startup nation »), etc…

Se dirige-t-on ainsi vers 100 % de Français connectés ? Pas sûr. Au-delà de la dimension technique et financière, il reste des obstacles à lever sur le plan des mœurs et des modes de vie. Surfer sur Internet n’est toujours pas considéré comme un réflexe naturel de la vie quotidienne pour de nombreux compatriotes.

A cela s’ajoute des freins plus psychologiques, en particulier l’approche de la technologie elle-même. « Nous sommes nombreux à ne pas utiliser toutes les potentialités des technologies de l’information car nous n’arrivons pas à nous approprier ces diverses potentialités techniques », estime ainsi Valérie Sacriste dans « Nos vies, nos objets. Enquêtes sur la vie quotidienne ».

Des difficultés d’appropriation qui pourraient être contournées en adaptant les interfaces aux utilisateurs, comme le suggère Alexandre Hampe, directeur des opérations d’Hubside, acteur de la FrenchTech qui a développé un service de création de sites accessible à tous : « Les personnes qui se connectent peu (ou pas) le feraient peut-être davantage si elles avaient pleinement la main sur les outils à leur disposition.»

Dans le Baromètre du Numérique, 20 % des Français interrogés considèrent de fait que le numérique a rendu les démarches administratives plus complexes. Peut-être plus significatif encore, une part élevée des Français interrogés voient les nouvelles technologies elles-mêmes comme une menace en soi : ils sont 44 % à le penser, ils n’étaient que 35 % il y a dix ans…

 

Internet à tout prix

Cette situation elle loin d’être générale sur la planète, la plupart des pays considérant que la réduction de la fracture numérique est une fin en soi. Surtout lorsque ces pays ont des populations jeunes.

C’est évidemment le cas en Asie. En Inde, le gouvernement fédéral a lancé depuis plusieurs années un plan ultra-prioritaire, Digital India, lui consacrant des dizaines de milliards de dollars. L’objectif politique est clair : permettre l’accès à Internet à des centaines de millions d’habitants supplémentaires, afin de stimuler la croissance économique du pays et sortir la population rurale de l’extrême pauvreté. Les citadins ne sont pas oubliés dans cette ambition, via un autre plan d’investissement massif qui vise à favoriser l’avènement de 100 smart cities dans le pays, dont certaines seront de véritables villes nouvelles, en plein cœur de campagnes aujourd’hui déshéritées.

De fait, l’argent public Indien peut être directement investi dans ses propres structures. Ainsi, le ministère de l’Agriculture a développé lui-même des applications mobiles pour permettre aux éleveurs et agriculteurs de vendre plus efficacement leur récolte ou leur bétail sur des marchés de proximité. Ces applications sont particulièrement graphiques et rédigées dans de nombreuses langues locales pour permettre à tous de se les approprier. L’opérateur de télécommunications qui appartient au gouvernement, BSLN, multiplie de son côté les initiatives pour permettre à ses centaines de millions d’abonnés – parmi les plus pauvres du pays – d’avoir accès à l’Internet mobile à moindre coût. Pour ceux qui ne peuvent pas encore s’offrir de smartphones (il existe pourtant des modèles locaux coûtant quelques dizaines d’Euros), des applications mobiles pour smartphones offrent quelques fonctions de base sur des téléphones non connectés à Internet, basées sur le sms.

L’Inde est loin d’être un cas à part. Au Bangladesh, par exemple, le ministre des télécommunications a pris lui-même la tête d’une initiative nationale pour favoriser le développement d’applications mobiles liées aux services administratifs. Dans la capitale, Dakha, son ministère favorise l’émergence d’un écosystème numérique composé notamment de sociétés de développement d’applications mobiles. Le souhait du ministre, assure-t-il, est qu’un jour chaque citoyen puisse lui envoyer un email…

La Chine est probablement le pays où le contraste entre ceux qui « l’ont » et ceux qui ne « l’ont pas » est le plus saisissant. Dans de nombreuses provinces où vit une importante population rurale, la déconnexion est réelle et les opérateurs ne reçoivent que peu d’incitations gouvernementales pour connecter les moins solvables économiquement. A l’opposé, la population urbaine est celle où, notamment, les programmes de 5G (la technologie de réseau mobile la plus avancée) sont les plus avancés. Dans le domaine de la télémédecine, de l’éducation, voire de la justice – avec des tribunaux entièrement virtuels -, le déploiement est en cours. Idem dans le domaine des smart cities, où la Chine teste des applications où tout ce qui peut être connecté (piéton avec son smartphone, véhicule à moteur, objets urbains, instruments de signalisation, etc…) l’est via de puissants réseaux intégrés à très haut débit. Un déploiement qui comporte une dimension Big Brother (reconnaissance faciale) qui génère des critiques et des réserves très largement répandues.

 

Les GAFA à la rescousse

Malgré les efforts – indéniables – de la plupart des gouvernants, le défi consistant à connecter les milliards de Terriens encore éloignés d’Internet ne sera pas relevé sans les acteurs économiques privés. C’est là que les opérateurs de satellites et de réseaux de télécommunications, les fabricants de terminaux, mais aussi – surtout ? – les GAFA entrent en piste. Qu’il s’agisse des ballons stratosphériques de Google, ou des constellations de microsatellites de Facebook ou d’Amazon, les géants américains du numérique investissent des milliards pour couvrir les nombreuses zones blanches de la planète où le haut débit n’est pas encore disponible.

Avec des objectifs de marché évidents. Avec Free Basics, Facebook a lancé depuis plusieurs années une offre d’accès gratuit à Internet qui concerne aujourd’hui près d’un milliard de personnes, la plupart en Afrique. Mais cette gratuité a un « coût » pour l’utilisateur. Seuls quelques dizaines de services sont disponibles, tous des partenaires de Facebook. L’enjeu pour ce dernier est d’avoir accès aux données personnelles de ces nouveaux internautes.

En ce qui concerne les projets venus du ciel, si les déploiements sont en cours, les contours du modèle économique pour le futur utilisateur restent flous. Contrairement au soleil dont les rayons sont gratuits, le signal Internet venu du ciel ne l’est pas. Il doit être réceptionné par des paraboles qui redistribuent ce signal par la voie terrestre aux internautes mobiles par des fournisseurs qui rendront forcément ce service payant, ou demanderont une autre contre-partie (accès aux données personnelles, publicité, etc…).

Car le coût d’accès à Internet reste un problème majeur pour les populations non encore connectés. Dans les grandes villes du Vietnam, où le service d’accès est particulièrement bon marché (par rapport aux plans équivalents des pays développés), on voit fréquemment les conducteurs de 2 roues – qui sont légions en ville – activer leur plan data au feu rouge, puis le couper lorsque le feu passe au vert. Pour économiser de la data !

Même dans les pays développés le sujet est prégnant : aux Etats-Unis, plus de 10 % de la population n’utilise pas Internet pour des raisons de coût. Des opérateurs de téléphonie mobile sont d’ailleurs spécialisés sur cette clientèle aux ressources financières très limitées.

Quels modèles économiques seront donc proposés aux futurs internautes à faible revenu ? Le véritable enjeu de l’inclusion numérique de l’ensemble de la planète réside en partie dans le choix de l’équation économique qui leur sera proposé (imposé ?).

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