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Le défi des robotaxis : Tesla peut-elle rattraper Waymo dans la course à l’autonomie ?

Tesla
Le directeur de la technologie de X, Elon Musk, s'exprime sur scène lors de la session "Exploring the New Frontiers of Innovation: Mark Read in Conversation with Elon Musk" au théâtre Lumière lors du Festival international de la créativité Cannes Lions 2024, le 19 juin dernier. | Source : Getty Images

Jeudi soir, Elon Musk a organisé un événement spectaculaire visant à capter l’attention des investisseurs et à susciter l’engouement médiatique. Cependant, peu de précisions ont été fournies concernant la sécurité et les tests. Selon les experts, Tesla accuse un retard considérable par rapport à Waymo, filiale d’Alphabet, qui accélère le développement de son service de robotaxis commerciaux.

 Un article d’Alan Ohnsman pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Lors de l’événement « CyberCab » organisé jeudi soir aux studios Warner Brothers à Burbank, en Californie, Elon Musk, PDG de Tesla, a dévoilé un nouveau modèle électrique destiné à devenir la base de la future flotte de taxis autonomes de la marque. Cet événement exclusif, intitulé « We, Robot », lui a également permis de vanter le potentiel de revenus de cette activité pour Tesla et de communiquer une date de lancement.

Son désir de susciter l’enthousiasme des investisseurs et des fans de Tesla pourrait bien faire grimper le cours de l’action, resté stable cette année en raison de la baisse des ventes de véhicules électriques. Cependant, peu d’informations publiques sont disponibles sur les avancées de Tesla en matière de conduite autonome. L’entreprise a cessé de soumettre des rapports au California Department of Motor Vehicles, une source d’informations essentielle, depuis 2019, et elle ne communique plus ses progrès aux experts ou aux médias. Par ailleurs, les autorités de régulation examinent de près ses logiciels Autopilot et Full Self-Driving, dont les problèmes techniques persistants rendent la concrétisation de la vision de Musk dans un avenir proche peu probable.

« Tesla n’est pas un concurrent sérieux dans les applications réelles de conduite autonome », a affirmé Missy Cummings, professeure à l’université George Mason et experte en intelligence artificielle. Ancienne conseillère auprès de laNational Highway Traffic Safety Administration (NHTSA) pour les véhicules autonomes, elle travaille également comme consultante auprès du département californien des véhicules motorisés. « Selon moi, il faudra encore au moins dix ans avant que de telles opérations ne soient envisageables. »

En dehors des effets de mise en scène hollywoodiens, le programme de robotaxis le plus prometteur n’est pas le CyberCab de Tesla, mais celui de Waymo, considéré depuis longtemps comme une référence en conduite autonome. Quinze ans après ses débuts en tant que projet de Google, et neuf ans après avoir transporté un passager malvoyant lors de son premier essai de conduite entièrement autonome à Austin en 2015, Waymo, soutenu par des investissements de plus de 10 milliards de dollars, a réussi à bâtir une entreprise solide, bien qu’elle soit encore loin de la rentabilité.

Les robotaxis de Waymo, entièrement autonomes, réalisent actuellement plus de 100 000 trajets payants par semaine à Phoenix, San Francisco et Los Angeles, avec une expansion prévue à Austin et Atlanta. Les véhicules ne sont pas sans défaut, manifestant parfois des comportements inhabituels, comme des coups de klaxon inexplicables dans un parking Waymo ou une réaction confuse face au cortège de Kamala Harris ou des embouteillages mineurs occasionnels lorsqu’ils sont bloqués par des voitures et des camions garés en double file. Waymo a évité les accidents majeurs qui ont compromis les programmes rivaux d’Uber et de Cruise, ainsi que les collisions et les accidents mortels liés au logiciel partiellement automatisé de Tesla, bien que la NHTSA enquête sur plusieurs collisions et infractions au code de la route impliquant ses robotsaxis (ces cas n’ont pas fait de blessés ni de morts).

Dmitri Dolgov, codirecteur général d’Alphabet, travaille depuis 2009, lorsque Google a lancé ses recherches sur l’autonomie, à garantir la stabilité et les progrès continus dans ce domaine. « Dans tout ce que nous entreprenons, la sécurité reste notre priorité absolue », a-t-il déclaré à Forbes. « Cela s’applique également à l’expansion du service que vous observez aujourd’hui. Cela signifie que nous élevons constamment nos exigences en matière de performance du système, d’évaluation rigoureuse, de validation et de préparation opérationnelle. Tous ces aspects évoluent, et c’est ainsi que nous continuerons d’aborder la question. »

Selon un récent rapport de Raymond James, les projections optimistes pour le marché futur des taxis autonomes estiment une valeur annuelle de 50 milliards de dollars d’ici 2030. Forbes estime que Waymo générera cette année un chiffre d’affaires dépassant les 50 millions de dollars, avec une possible progression vers les 100 millions à mesure que le service s’étendra. Cependant, M. Dolgov n’a pas confirmé ces estimations ni précisé quand le service serait rentable. Il a également refusé de commenter la concurrence avec Tesla. « En fin de compte, il s’agit d’une opportunité énorme et il est formidable que ce domaine attire des esprits et des ressources extrêmement brillants », a-t-il déclaré à Forbes. « Il y a de la place pour différentes approches et si cela permet de résoudre ce défi et de faire avancer notre mission et notre vision, c’est une excellente chose. »

 

Contrôles humains, capteurs multiples

Waymo et Tesla ont adopté des approches très différentes pour relever le défi de la conduite autonome. Waymo a mené des années d’essais rigoureux, d’abord sur sa piste dédiée en Californie, puis dans des environnements urbains contrôlés comme Phoenix et la Silicon Valley. L’entreprise a perfectionné des manœuvres complexes, comme tourner à gauche sans protection et éviter les obstacles, en les répétant à l’infini. Elle a également appris à son IA à reconnaître les panneaux de signalisation, les cônes de signalisation, les véhicules prioritaires et à distinguer les objets inoffensifs, comme des sacs en plastique, des objets solides, qui constituent un réel danger sur la route. Waymo a débuté dans des zones de banlieue, où les conditions sont plus calmes et les vitesses réduites, avant de s’attaquer aux environnements urbains plus denses, comme San Francisco.

Le système de Waymo s’appuie également sur des opérateurs humains à distance pour surveiller ses robotaxis. Ces moniteurs interviennent lorsque les véhicules sont désorientés par l’état de la route, gèrent les interactions avec la police en cas d’incident, ou répondent aux questions des passagers. Cela augmente le coût de ses opérations, mais est essentiel à l’objectif de M. Dolgov, qui est de garantir la sécurité, a-t-il déclaré.

Waymo utilise également des capteurs bien plus avancés que ceux de Tesla pour permettre à ses véhicules de percevoir et d’interpréter leur environnement de manière optimale. Cela inclut un LiDAR pour des images 3D de haute précision, de jour comme de nuit, ainsi que des radars, des caméras et des capteurs audio, essentiels pour détecter les véhicules d’urgence.

Tesla, de son côté, collecte des données de conduite en temps réel auprès de ses clients via un réseau neuronal, afin d’entraîner son logiciel à gérer toutes les conditions de route et de météo rencontrées par les conducteurs. Pour ses véhicules de tourisme, Tesla se base exclusivement sur des caméras comme capteurs. Cette approche, bien moins coûteuse, suscite toutefois des inquiétudes chez les experts en audiovisuel.

« La qualité d’un système autonome dépend entièrement de la fiabilité de ses capteurs », a expliqué Bart Selman, professeur d’informatique à l’université de Cornell, citant les accidents du Boeing 737 MAX comme exemple de risques liés à des capteurs défaillants. « Je serais surpris que Tesla parvienne à offrir une conduite entièrement autonome fiable en utilisant seulement des caméras. Cela peut sembler efficace la plupart du temps, mais le déploiement à grande échelle nécessite davantage de robustesse et de sécurité. »

L’option d’assistance à la conduite de Tesla, vendue pour 15 000 dollars sous les noms Autopilot et Full Self-Driving (FSD), a suscité de nombreuses controverses et n’a jamais répondu aux attentes d’Elon Musk. Une enquête approfondie du Wall Street Journal sur les accidents impliquant ce système, dont certains mortels, a révélé que le logiciel de Tesla a du mal à détecter les objets et obstacles sur la route, probablement en raison de l’absence de capteurs supplémentaires au-delà des caméras. Bien que le système avertisse les conducteurs de reprendre le contrôle, il semble que dans de nombreux cas, cet avertissement n’arrive pas suffisamment tôt pour éviter des collisions. Par ailleurs, la Californie, où Tesla réalise une part importante de ses ventes, poursuit l’entreprise pour « publicité trompeuse et mensongère », estimant que les noms Autopilot et Full Self-Driving induisent les consommateurs en erreur quant aux réelles capacités du système.

 

Engagements non respectés

Elon Musk a souvent fait des promesses audacieuses sans parvenir à les concrétiser, qu’il s’agisse de projets d’hyperloops, de toits solaires (présentés aux studios Universal, voisins de Warner Brothers en 2016), ou de l’objectif de vendre 20 millions de véhicules électriques par an d’ici la fin de la décennie. Il en va de même pour les robotaxis : en 2019, il avait assuré que Tesla disposerait d’un million de robotaxis d’ici 2020. Depuis, Musk semble déterminé à positionner Tesla comme un acteur majeur du secteur des robotaxis, bien que 90 % de ses revenus proviennent encore des ventes de véhicules électriques, des crédits de pollution qu’ils génèrent et des batteries. Les robotaxis représentent une activité potentiellement très rentable, à condition de perfectionner le système de conduite basé sur l’intelligence artificielle. « La véritable valeur de Tesla réside dans l’autonomie », a déclaré Musk aux actionnaires lors de la conférence téléphonique sur les résultats en juillet. « Si vous doutez que Tesla puisse relever le défi de l’autonomie des véhicules, je vous conseille de vendre vos actions Tesla. »

La durée nécessaire pour que Tesla concrétise les promesses de Musk reste incertaine. « Aussi passionnant que soit le concept de robotaxi, les investisseurs espérant des effets rapides sur les résultats financiers de Tesla risquent d’être déçus», a déclaré Karl Brauer, analyste industriel chevronné chez iSeeCars. « Il faudra du temps pour que les voitures autonomes surmontent les obstacles réglementaires et soient déployées en nombre significatif, même si Elon Musk estime que la technologie est prête à être mise en circulation dès cette semaine. »

De son côté, Alphabet ne détaille pas les revenus générés par Waymo dans sa division Other Bets, qui a atteint 365 millions de dollars au deuxième trimestre de l’année, en hausse de 28 %. Bien que le PDG Sundar Pichai soit optimiste, l’entreprise ne communique pas de prévisions précises pour Waymo. « Je suis très satisfait des progrès réalisés par Waymo, qui est un véritable leader dans ce domaine et qui reçoit des commentaires élogieux de la part des utilisateurs », a-t-il déclaré lors de la conférence téléphonique sur les résultats d’Alphabet en juillet.

Mme Cummings, de l’université George Mason, critique le programme de Tesla, qu’elle considère comme superficiel, et estime que les efforts de Waymo sont plus approfondis. Elle reste néanmoins sceptique quant à la capacité d’une entreprise à maîtriser pleinement la conduite autonome à court terme.

Une analyse des données de test soumises aux régulateurs par Waymo, Cruise et Zoox révèle que les véhicules autonomes « peuvent conduire d’une manière techniquement légale, mais enfreignent parfois gravement les “normes de la route” attendues par les conducteurs humains », a-t-elle écrit dans un projet d’article de recherche actuellement en cours d’examen par les pairs et partagé avec Forbes. (Tesla n’est pas inclus dans cette analyse, car l’entreprise ne publie pas de données sur les situations dans lesquelles un conducteur humain reprend le contrôle du véhicule autonome).

Certains des accidents signalés « pourraient être imputables à d’autres conducteurs (par exemple, un camion qui recule dans le véhicule autonome en tournant). Cependant, les humains s’attendent à un certain niveau de défense et de coopération dans ces situations, ce que les véhicules autonomes ne manifestent pas toujours », a-t-elle écrit.

Qu’il s’agisse de Tesla ou de Waymo, des chercheurs comme Henry Liu, de l’université du Michigan et directeur d’un centre d’essai pour véhicules autonomes à Ann Arbor, estiment que le gouvernement fédéral devrait instaurer un test de conduite spécifique pour ces véhicules avant de leur permettre de circuler sur les routes publiques.

En fin de compte, M. Dolgov se fixe deux priorités : réduire les coûts de son système et préserver l’avance de Waymo en évitant une expansion trop rapide. Pour répondre au premier objectif, Waymo introduira l’année prochaine une « sixième génération » de capteurs, de systèmes informatiques et de logiciels, qui seront déployés sur des véhicules électriques plus abordables, comme la Hyundai Ioniq 5, au sein de sa flotte.

« Notre stratégie d’expansion et de déploiement est le fruit d’une planification minutieuse », a-t-il déclaré. « Notre croissance est délibérément conçue pour optimiser les avancées du système Waymo, en se basant sur les retours et expériences de nos utilisateurs, placés au centre de nos priorités. »

L’expansion se poursuit. « Au vu de notre position actuelle, de l’échelle à laquelle nous opérons et de la diversité de nos environnements d’exploitation, il existe de nombreux secteurs où les conditions sont parfaitement alignées avec notre domaine d’exploitation actuel », a-t-il affirmé.


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