Conformité et adoption : le flou juridique ne bénéficie pas aux nouvelles technologies. Les entreprises ne sont en effet pas incitées à investir dans une nouvelle technologie aux contours juridiques mal définis, même si l’intérêt de cette technologie semble évident en termes d’efficacité, de rapidité ou de coût. Il en résulte fréquemment un report des décisions d’investissement, qui ne contribue ni au développement de la technologie, ni à son adoption. A plus long terme, ce flou juridique peut être à l’origine d’un retard technologique, au détriment de la productivité, de la croissance et de la création d’emploi. Par Loïc Sauce (professeur assistant d’économie à l’ISTEC Paris) et Gabriel A. Giménez Roche (professeur associé d’économie à NEOMA Business School – Rouen).
Aujourd’hui, la technologie blockchain illustre parfaitement cette tension entre intérêt pour les entreprises et nécessité de conformité à la réglementation, notamment avec les directives LCB-FT (Lutte Contre le Blanchiment et le Financement du Terrorisme). Ces directives exigent notamment que les entreprises vérifient l’identité des contributeurs (KYC pour « Know Your Customer » et KYB pour « Know Your Business ») et le risque lié à chaque transaction (KYT pour « Know Your Transaction »).
Face à cette tension entre adoption et conformité, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a pris la décision d’accorder un Visa AMF aux entreprises françaises qui souhaitent développer la technologie blockchain tout en assurant la conformité de leurs opérations à l’ensemble des réglementations actuellement en vigueur. L’obtention de ce Visa assure ainsi à la fois la protection des entreprises et des investisseurs et favorise l’adoption de la technologie blockchain.
Hier, l’entreprise iExec a obtenu le premier Visa de l’AMF. iExec est une plateforme d’échange de ressources informatiques basée sur le protocole Ethereum. En coordonnant l’offre et la demande de ressources informatiques, iExec maximise l’exploitation des infrastructures informatiques disponibles. iExec dispose depuis 2017 de son propre jeton RLC, un protocole Ethereum ouvert pour des plateformes décentralisées, qui permet déjà aux utilisateurs d’effectuer des paiements, d’accéder au réseau et d’y valoriser leurs serveurs, données et applications. Or, jusqu’à présent, la conformité des échanges de ce jeton RLC n’était pas assurée. Si cela n’empêchait pas les utilisateurs particuliers d’utiliser le jeton RLC, cela pouvait inciter les entreprises à ne pas le faire. L’exigence de conformité est ainsi une barrière à l’entrée du marché BtoB.
Cibler les entreprises
Qu’autorise ce visa AMF ? L’offre d’échange de jeton qui vient d’obtenir le Visa AMF est un « simple swap » qui consiste à pouvoir échanger à partir du 1er février 2021 les jetons RLC contre de nouveaux jetons, les eLRC, à la condition que le détenteur respecte les directives LCB-FT, KYC et KYT. Les jetons eRC sont donc les jumeaux des jetons RLC, la conformité en plus. Le taux de change sera de 1 pour 1 et pour garantir aux utilisateurs que l’offre de jeton ne double pas lors de l’introduction du eRLC, les RLC échangés contre des eRLC sortiront définitivement de la circulation en étant automatiquement mis sous séquestre via un smart contract.
L’échange de RLC en eRLC assure ainsi aux entreprises clientes la conformité rigoureuse aux directives, ce qui incitera les entreprises à faire appel aux services d’iExec sans préoccupation de conformité et de légalité. Les deux jetons RLC et eRLC coexisteront dans l’écosystème iExec, afin d’offrir aux utilisateurs le plus de flexibilité possible.
Une politique d’innovation ?
Une autorité qui accorde un Visa, ça peut sembler anecdotique. Mais cette décision soulève plusieurs interrogations. Première interrogation, doit-on voir ce Visa AMF comme un verre à moitié plein ou à moitié vide ? D’un côté, l’engagement d’une autorité publique dans le développement d’une innovation de rupture (et qui a souvent mauvaise presse) crée la confiance dont les entreprises ont tant besoin pour adopter une nouvelle technologie prometteuse. D’un autre côté, le Visa AMF obtenu par iExec est une autorisation de swap qui ne lui permet pas de lever des fonds dont les start-up ont tant besoin pour se développer et innover. L’initiative de l’AMF est donc bonne, car elle offre aux entreprises la visibilité et la confiance qui incitent à l’adoption de cette nouvelle technologie, mais gagnerait à être encore plus audacieuse en encadrant les levées de fonds par émission de cryptomonnaie (ou ICO, pour Initial Coin Offering).
Deuxième interrogation, une politique d’innovation audacieuse, basée sur la clarté, la stabilité, l’engagement et la confiance peut-elle constituer un avantage concurrentiel ? C’est la stratégie qu’ont notamment adopté Malte et la Suisse. Une stratégie qui consiste à attirer les entreprises de la technologie blockchain et des cryptomonnaies non pas seulement en leur promettant des taux d’imposition faibles, mais surtout en leur promettant un cadre légal lisible et favorable. Cette stratégie semble pertinente pour la France pour deux raisons. Premièrement, la France dispose d’infrastructures informatiques et de compétences humaines à la hauteur de la concurrence mondiale de la « crypto-industrie ». La Chine a investi massivement dans cette industrie et est actuellement en train de tester un Yuan digital (ou CBDC, pour Central Bank Digital Currency) dans certaines zones géographiques. Les Etats-Unis hésitent encore, car les autorités monétaires et financières fédérales et nationales tiennent des discours discordants. L’Europe (et la France en particulier) a donc une opportunité unique de se positionner dans le peloton de tête de la crypto-industrie. Deuxièmement, un dispositif tel que le Visa AMF est un engagement de la puissance publique. En somme, une politique d’innovation volontariste très peu coûteuse. A l’heure de l’explosion de la dette publique nourrie par une politique monétaire « open bar », la France dispose ainsi d’une stratégie d’innovation quasi-gratuite. Si cette stratégie ne contribuait probablement pas à créer des millions d’emploi, elle permettrait néanmoins de faire de la France un leader technologique. Ça vaut le coût d’essayer, surtout si ça ne coûte pas grand-chose.
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