L’entreprise informatique américaine Cisco a annoncé récemment investir 50 millions de dollars en France. Laurent Degré, Directeur Général de Cisco France, a accepté un entretien avec Forbes France pour nous en dire plus sur les objectifs visés avec ce soutien à l’Hexagone, notamment en réponse à une menace cyber grandissante.
Quel impact a eu la crise sur votre activité ?
Laurent Degré : Depuis deux ans, la crise a eu des effets positifs comme négatifs sur notre activité. Au début, il a été question de répondre au besoin important des entreprises françaises – surtout les PME – en matière d’équipement informatique. Cette période a été un accélérateur des adoptions numériques en réaction aux confinements et aux besoins de travail à distance.
Au-delà de la dépendance des organisations au numérique pour assurer la continuité de leur activité, il y a eu également une prise de conscience quant à la question de la résilience de notre économie. Les organisations se sont aperçues du besoin urgent de transformation numérique pour faire face à l’adversité. Et nous avons en ce sens directement bénéficié de cette nouvelle tendance.
De la même manière, la crise a également soulevé de nombreux enjeux globaux liés à la supplychain, avec une forte augmentation des demandes comparées aux capacités logistiques au niveau global. Nous souffrons par exemple de la pénurie de composants électroniques et cela impacte le fait de devoir livrer du matériel dans les temps impartis.
Le numérique est devenu critique pour le marché et la crise nous a tous fait gagner trois ans de transformation digitale. C’est le même constat au niveau de la cybersécurité qui n’est plus considérée comme un simple coût mais une nécessité.
Vous aviez investi 200 millions d’euros en 2015 (French Tech) puis 70 millions d’euros pour des centres d’innovation et des laboratoires de recherche… Pourquoi avoir décidé à nouveau d’investir en France ?
Nous avons investi au total plus de 300 millions d’euros en France depuis 2015. Tout l’enjeu étant d’accompagner les décisions du gouvernement en matière de numérique et de s’attacher aux priorités économiques du pays. En 2015, notre objectif était surtout de répondre au besoin d’accélération de la transformation numérique, notamment dans le cadre de la FrenchTech.
Nos investissements ont principalement bénéficié aux fonds et incubateurs qui stimulent l’écosystème de l’entrepreneuriat français. En 2019, nous avions par exemple décidé d’acquérir la société lyonnaise Sentryo, spécialisée dans l’Internet des objets et la sécurité pour les réseaux de systèmes de contrôle industriels (ICS).
Nous avons aussi concentré nos efforts sur la question du manque de compétences numériques qui touche globalement tous les secteurs. En écho avec le plan de relance, nous travaillons cette année sur les besoins en cybersécurité des PME et ETI. Cela passe notamment par la formation de plus de 100 000 personnes sur le sujet et la mise à disposition d’outils et de services simples d’utilisation.
Pensez-vous que les entreprises sont aujourd’hui matures sur les enjeux de cybersécurité ?
Je n’affirmerais pas totalement ce constat. Le coût lié aux risques de cybersécurité pour les entreprises est évalué à plus de 4000 milliards d’euros dans le monde et le marché de la cybermalveillance représente deux fois le PIB de la France. Cela crée des convoitises et il n’existe malheureusement pas de type d’attaques pour lequel une parade parfaite a été trouvée. La cyber devient une arme et se protéger devrait l’être aussi.
Une récente étude d’Ipsos confirme que moins de 50% des patrons de PME en France disposent d’une politique dédiée à la cyber. Et souvent, même si c’est le cas, cette dernière n’est pas considérée comme optimale pour répondre aux nouveaux risques. Nous sommes loin de constater une maturité sur la question, autant au niveau de la R&D pour être proactifs que sur la prise de conscience globale des entreprises sur ces enjeux.
Cisco investit chaque année plus de six milliards d’euros en R&D pour s’adapter à la sophistication toujours grandissante des cyberattaques. C’est d’autant plus un enjeu considérable à mesure que la robotisation de l’industrie et le déploiement de l’Internet des objets augmentent considérablement la surface d’attaques potentielle.
Nous avons trois thématiques sur lesquelles nous voulons concentrer notre attention : la cybersécurité, les PME et l’industrie. La première priorité est d’avoir plus de techniciens et d’ingénieurs. La France dispose d’un excellent système de formation mais nous avons besoin de plus. La deuxième priorité est de s’assurer que les chefs d’entreprise se rendent compte de la nécessité de se protéger. Il y a tout un travail d’évangélisation et de démocratisation de ces enjeux pour que cette prise de conscience s’inscrivent dans les décisions stratégiques et managériales des organisations.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le récent projet pilote “Iris” à Barcelone ?
Nous travaillons depuis longtemps avec Barcelone sur des projets de “smart city”. L’objectif étant d’arriver à déployer un système centralisé qui permet de piloter tout ce qu’une ville a besoin de gérer en matière d’infrastructures liées à la mobilité, l’énergie ou encore la cybersécurité. Sur ce dernier volet, nous prévoyons un centre de cybersécurité dédié qui pourra gérer la smart city dans sa globalité. Des crash test sont aussi en cours pour simuler des attaques en conditions réelles.
Travailler en écosystème est-il nécessaire face aux menaces cyber ?
La logique écosystème est le seul moyen de résistance face aux risques cyber. Nous n’avons pas d’autres choix que de travailler ensemble car le contexte évolue trop vite. C’est aussi l’objectif du Cybercampus porté par l’Anssi pour augmenter le nombre de ressources et de formations professionnelles liées à ces enjeux. La guerre des talents est omniprésente et le besoin de former est primordial.
En revanche, il faut aussi rester réalistes : ce n’est pas en créant quelques start-up que nous rattraperons les 15 ans d’innovation que les grands acteurs de la cybersécurité ont d’avance. Il faut que ces start-up bénéficient du réseau de plus grands écosystèmes. Je ne crois pas au rattrapage industriel mais je reste très fier de la FrenchTech et ce qu’elle apporte en termes de leadership technologique, d’autonomie et de souveraineté.
S’agissant de souveraineté, quel est votre positionnement en la matière ?
Notre métier n’est pas de faire du commerce de la data, nous ne sommes pas un Gafam. Nous sommes beaucoup moins impliqués dans ces questions de souveraineté que ces acteurs. Néanmoins, notre offre type Webex passe par le cloud et je reste convaincu de la nécessité de plus de réglementation garantissant notre autonomie sur nos propres données. La France est d’ailleurs en avance sur ce sujet – peut être trop aux yeux de certains – au regard du projet de Gaia-X ou encore de la certification SecNumCloud délivrée par l’Anssi.
La souveraineté n’est pas forcément toujours pertinente au regard de la digitalisation en cours à l ‘échelle globale. Il est très difficile d’envisager un modèle réglementaire qui prend en compte les spécificités économiques de chaque pays. Mais j’attends beaucoup de la présidence française au Conseil de l’Union européenne afin que cette réglementation soit imaginée pour faciliter la vie des industriels.
Quels objectifs en matière de développement durable ?
Nous nous sommes engagés à tenir nos engagements en matière d’émissions carbone dans le cadre du SCOP 1 et 2 d’ici 2025. Pour ce qui est du SCOP 3, nous prévoyons d’y arriver d’ici 2040. Il y a des enjeux très forts en termes de R&D et nous avons lancé à ce titre Silicon One, une nouvelle plateforme à destination des opérateurs télécom pour la gestion de l’architecture réseau. Ce produit est globalement deux fois plus puissant que les offres similaires du marché et il consomme deux fois moins.
La puissance technologique n’est pas suffisante et il faut chercher des pistes pour en réduire la consommation. Et c’est en ce sens que nous menons des actions en parallèle : comme l’objectif d’avoir 85% d’ENR dans notre mix énergétique mais aussi pour réduire les emballages et améliorer le recyclage de nos produits.
Depuis trois ans, la prise en compte du développement durable a considérablement changé. Il n’est plus question de compenser la construction d’un nouveau data center avec la plantation d’arbres. La compensation carbone est trop facile et ce n’est plus l’objectif. Il faut désormais trouver de meilleures manières de mesurer notre impact tout en le réduisant.
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