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Laurent Alexandre : « Pourquoi La France A Déjà Perdu La Bataille De L’Intelligence »

Tribunes hebdos, télé, radio, conférences : on le voit et l’entend partout ces temps-ci. En promotion pour son dernier livre, La Guerre des Intelligences (Ed.Lattes), Laurent Alexandre sonne partout le tocsin : il est temps que la société civile prenne la mesure des changements à venir et que les politiques prennent leurs responsabilités. Chirurgien-urologue, il a écrit plusieurs livres concernant le système éducatif français. Temps comme il le dit de « secouer le prunier », pour agiter des politiques et des institutions engourdies dans leurs habitudes, paralysés par le doute.

A l’occasion de son intervention à FrenchTech Connect il y a peu, Laurent Alexandre est revenu sur les actions à prendre en France pour permettre aux prochaines générations de s’adapter à la société de demain. Il a rappelé, de façon dramatique mais toujours documentée, pourquoi la France et plus globalement l’Europe avait déjà perdu la première bataille dans la guerre des intelligences. Pourquoi elle devait à présent prendre des mesures rapides et radicales en matière de droit (en assouplissant les contraintes actuelles qui portent sur l’usage des données), de recherche (avec des budgets qui aujourd’hui stagnent et font pale figure à côté de ceux des Etats-Unis et de la Chine), et d’éducation (avec le recours insuffisant aux EdTechs).

Pour prolonger son intervention, nous sommes revenus ensemble sur les actions envisageables en matière d’éducation.

Ma première question porte sur la pédagogie. J’ai lu dans vos entretiens récents que la solution consisterait peut-être à s’inspirer du modèle Singapourien, à généraliser le recours à des pédagogies actives comme Montessori, ou encore à recourir à des solutions d’adaptative learning. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Le modèle Singapourien marche, il ne fonctionne pas si mal que ça. Montessori marche bien, mais il y a un biais. Il est difficile de faire la part entre les facteurs sociologiques et les facteurs proprement pédagogiques. On ne trouve pas les mêmes enfants dans une école Montessori que les autres, ne serait-ce que parce que cela coûte une fortune de les y inscrire. Il n’y a pas d’étude comparative réelle entre Montessori et d’autres méthodes qui intègre toutes les catégories sociales de façon représentatives.

Justement, d’autres méthodes apparaissent en matière d’adaptative learning, notamment aux Etats-Unis avec Alt-School qui commence à être décrié. Ce modèle ne fait pas totalement ses preuves. On est toujours dans l’expérimentation, plusieurs années après le lancement des classes pilotes.

On est toujours dans l’expérimentation, on a pas évalué, car pour évaluer correctement il faut des centaines de millions de dollars et cinq ans de travail randomisé, c’est-à-dire en tirant au hasard les enfants qui font l’objet de tests (NDLR : ce qui est loin d’être le cas pour AltSchool, dont les frais de scolarité sont prohibitifs). Mais on est complètement en retard sur les méthodes éducatives. Même en France, entre méthode globale et méthode syllabique, on a jamais fait d’évaluation. On a fait la méthode globale pour l’apprentissage du Français, et on est revenu au syllabique sans faire d’évaluation. Ce que la médecine fait depuis 30 ans, l’éducation ne sait toujours pas le faire.

On voit que le système pédagogique en France n’a pas évolué depuis presque 70 ans. Il évolue à la marge, au-travers de petits tests (comme celui mené par Céline Alvarez, largement médiatisé), mais comment faire en sorte d’avoir du jour au lendemain un système plus agile, plus perméable à d’autres approches à l’échelle nationale.

On ne s’en sortira pas si on a pas une stratégie à la Singapourienne pour bien payer les professeurs. Quand je dis que les instituteurs doivent êtres suffisamment bien payés pour que certains sortent de polytechnique, ce n’est pas une blague. Je considère que la chose la plus importante dans l’Europe de 2030, c’est d’avoir des enfants bien formés et pour cela il faut avoir des X et des HEC qui soient instituteurs. J’en suis persuadé. Il suffit de constater que dans les écoles primaires élitistes beaucoup des enseignants sont PhD ! Bien entendu il faudrait un effort budgétaire immense pour pouvoir offrir ça à tout le monde. Mais si on veut rattraper des modèles comme celui de Singapour, nous n’avons plus le choix.

Le modèle Français est basé sur l’orientation des élèves dans différentes filières tout au long de la scolarité. Certains élèves iront vers des métiers manuels ou techniques, d’autres vers des métiers de cadres ou cadres supérieurs.

Oui c’est le cas dans le monde entier.

Cette orientation se base sur une certaine division du travail, alors que l’on sait que d’ici 10-20 ans des dizaines de métiers vont disparaître et que cette division n’aura plus lieu d’être. Comment tendre vers un système qui anticipe une nouvelle division du travail ?

C’est incroyablement compliqué. Jusqu’à présent on formait les gens à un métier pour la vie entière. A partir du moment où il y a énormément de nouveaux métiers qui arrivent, sans que l’on sache les prédire, c’est difficile à prévoir – même s’il y avait des experts en IA et en prospective à l’Education Nationale, mais en plus il n’y en a pas. Prévoir le choc de l’IA sur les docteurs et savoir comment on fait évoluer la faculté de Médecine, ça on peut y arriver. En revanche savoir ce que l’on fait sur les enfants peu doués, on a pas réellement commencé à y réfléchir. C’est un vrai problème, d’autant qu’aujourd’hui on ne voit pas de solution convaincante. Les métiers verticaux techniques vont être massivement remplacés, et les métiers multidisciplinaires, innovants, horizontaux avec esprit critique, il faut 130 de QI pour y accéder. C’est ça la réalité, c’est que si on se projette à 2050, une large partie des métiers verticaux qui nécessitent moins de 130 de QI vont être remplacés.

D’où la question : quid de la filière technique, à quoi prépare-t-on les élèves qui sont en filière technique demain ? Une étude est récemment parue, conçue par Pearson, fait ressortir les métiers de demain et les compétences (soft skills / hard skills) qui seront nécessaires. Des tendances se dessinent, comme l’importance de la créativité. Est-ce une piste à explorer ?

On peut penser que cette étude est totalement erronée. Regardez en 1995 à quel point on avait mal prévu les conséquences du web : on a pas prévu le smartphone, l’internet mobile, les réseaux sociaux, YouTube…comment voulez-vous qu’on prévoit les métiers de demain ? Je pense qu’en réalité c’est impossible. La conclusion c’est qu’il faut former les gens à l’adaptabilité, la transversalité, l’esprit critique, sauf que ça n’est pas accessible à tout le monde. On a donc un problème social. Les gens les plus touchés par la vague technologiques sont les gens les moins doués, ce ne sont pas les X – Harvard. Seuls persisteront les métiers transversaux, pour une raison simple, c’est que l’IA d’ici 2050 ne peut pas être transversale. Elle ne peut être que verticale, avec des règles fixes dans des domaines spécifiques.

On en revient à l’homme de la renaissance, qui a l’intelligence horizontale du monde.

L’homme de 2080, c’est Pic de la Mirandole. Ce sont les honnêtes hommes multidisciplinaires. Mais à qui est-ce accessible ?

Nous sommes en 2022. Vous êtes Ministre de l’Education. Que faites-vous ?

Je prèfere que Blanquer reste ministre, mais j’accepte l’exercice ! On commence à faire des neuro-tech. Je mets 1 milliards d’euros sur la recherche, sur un point  précis de pédagogie : comment augmenter le QI des gens peu doués grâce à des méthodes éducatives innovantes. Pour moi c’est le principal problème politique des cinquantes prochaines années : comment on augmente le QI des gens pas doués dans la société de l’intelligence ? Aucune méthode éducative au monde n’ayant jamais montré sa capacité à augmenter le QI de personnes ayant moins de 90 de QI. Aucune n’a montré que les gens pas doués pouvaient significativement progresser. C’est terrifiant. J’ai fait énormément de recherches bien sûr en écrivant mon livre, et cela m’a glacé le sang, parce que je n’avais pas mesuré à quel point l’école n’agissait pas bien sur les QI médiocres. Je résume cela en disant que l’école est une technologie qui marche très bien sur les QI élevés, moyennement sur les QI moyens et médiocrement sur les QI médiocres.

 

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