La ville connectée doit se construire dans le bon sens en partant des besoins de ses habitants. La technologie n’étant qu’un moyen pour parvenir à un nouveau modèle de citoyenneté.
Est-ce le fait que nous prenions nos distances avec le tout « solutionnisme technologique » ou que nous regardions avec méfiance le phénomène de « datafication » du monde, en l’espèce les technologies numériques qui ne cessent de générer des traces de tous ordres exploitées ensuite par les GAFA, une chose est sûre, les réflexions sur la ville « intelligente » évoluent. Moins utopiques, moins enfermées dans un modèle urbanistique unique, moins messianiques sur les concepts d’économie collaborative ou de technologies numériques, les sujets actuels portent tous sur le fait que cette ville intelligente, avant d’être constituée de flux de données, de bâtiments et d’équipements connectés, est d’abord peuplée d’habitants, eux-mêmes intelligents. Dans un récent rapport, intitulé « De la smart city au territoire d’intelligence(s) – L’avenir de la smart city », remis il y a quelques jours au premier ministre, le député Luc Belot, rappelle que l’utilisation des technologies ne crée pas en soi une ville intelligente.
Une ville « citizen centric »
Si la « smart city » a d’abord été imaginée et vendue comme une solution industrielle « clefs en main », espace numérique suréquipé de capteurs et nourri à la «data », force est de constater que le rêve de cette nouvelle « Jérusalem céleste, version 3.0 » s’est heurté au bon sens du terrain. A l’exception de quelques villes nouvelles créées de toutes pièces par des Etats enclins à soigner leur image de précurseurs (Songdo en Corée du Sud, Shenzhen en Chine ou encore Masdar City aux Émirats arabes unis…), ailleurs, l’utopie « smart city » a craquelée car trop onéreuse, trop techno-centrique, trop intrusive, et surtout pas assez participative. C’est sur ce terrain, et c’est une bonne nouvelle, que la ville intelligente doit retrouver sa vocation première : considérer le citoyen non comme un simple consommateur de services, mais comme un partenaire à part entière en lui donnant notamment la possibilité de maîtriser ses données et de contrôler l’action des élus. Ce rapport tout récemment publié ne dit pas autre chose quand il préconise de mettre la technologie au service de la participation citoyenne. En l’espèce, « les pouvoirs publics doivent, comme les entreprises du numérique, placer « l’expérience citoyen » au centre de l’élaboration des politiques publiques ». En d’autres termes, le succès de la future « smart city » se mesurera à l’aune d’une vision « citizen-centric » associant étroitement les citoyens.
De manière concrète, et à côté d’initiatives citoyennes numériques, par exemple le mouvement NewCityzens , les futurs critères distinctifs des villes intelligentes porteront moins sur la densité technologique que sur les initiatives politiques pour créer de nouvelles règles de gouvernance grâce au numérique. Les travaux du député Belot mettent en avant trois principes fondateurs de cette « smart city » débarrassée de ses oripeaux technologiques :
• créer de nouvelles structures de gouvernance associant élus, administration, acteurs économiques et du monde éducatif… afin que la ville soit pensée non plus en silo mais de manière transverse,
• gérer les enjeux de souveraineté numérique en s’assurant que les territoires conservent la maîtrise de leurs données et des outils, applications et logiciels métiers… nécessaires au fonctionnement de cette ville du 21ème siècle.
• mettre le citoyen au cœur des projets en créant de nouveaux liens (notamment numériques) pour permettre de créer de nouvelles interactions entre les citoyens et donc une nouvelle gouvernance de la ville. Cette dernière proposition aussi connue sous le vocable de « ville inclusive ».
La technologie : esclave utile, maître dangereux
C’est dans ce contexte d’une technologie maîtrisée, au service du citoyen et des élus, que la ville intelligente gagnera en légitimité. Lorsque l’usage des capteurs, de l’internet des objets et des datas auront démontré leur indispensable utilité pour mieux connaitre la ville, pour se faire se rencontrer les habitants entre eux et organiser les données produites au service d’une ambition durable, alors la « smart city » sera rentrée dans l’âge de raison. C’est à ce moment que la technologie deviendra un esclave utile et non un maître dangereux. L’une des idées du rapport co-rédigé par Luc Belot étant que ces villes intelligentes s’inscrivent dans des stratégies publiques de long terme incluant au passage de nouveaux rôles et responsabilités à inventer ; notamment le fait qu’elles deviennent des tiers de confiance capables de collecter, sécuriser, traiter, et mettre à disposition des citoyens ces plateformes de données. A l’instar de Grenoble, qui a créé un comité de pilotage de l’open data , ou de Rennes Métropole , qui dispose d’un vaste catalogue de données ouvertes sur les domaines de la vie locale (transports, culture, urbanisme…) on voit bien que l’un des enjeux de la smart city consiste à « dompter la donnée» et donc répondre à la question centrale : comment souhaitons nous vivre avec ces nouvelles technologies ?
Capteurs de leur époque, endroits où se forgent de nouveaux modèles de société, les villes ont tout intérêt à investir massivement dans ces outils numériques dès lors qu’elles seront à même de maîtriser ces profonds changements qui découlent de la numérisation de nos vies. Faisons confiance aux paradoxes de la ville pour garantir son équilibre, l’équilibre entre technophobes et technophiles, entre engagement citoyen et citoyen bénéficiaire, entre l’intelligence technologique, l’intelligence émotionnelle et la créativité collective. « Qu’est-ce qu’une ville sinon ses habitants ? » s’interrogeait Shakespeare dans sa tragédie, Corolian. Quatre siècles après, et alors que 70 % des humains habiteront dans des zones urbaines à l’horizon 2050, la question n’a pas pris une ride.
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