La ville de demain, nous serons plus de 26 000 à en débattre à Cannes du 12 au 15 mars, pour la 30e édition du MIPIM, le plus grand salon au monde de l’immobilier et de la ville, en présence de l’ex-secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, les ministres d’une dizaine de pays, des maires des plus grandes métropoles, de Paris à San Francisco, 5 000 investisseurs, des milliers d’architectes, d’urbanistes et de promoteurs, mais aussi des collectivités locales de toute la France.
De quoi vont-ils discuter ? Quelles sont les tendances qui vont émerger de ces rencontres et façonner notre monde pour les 30 années à venir ?
Les projets en préparation, ou qui sortent de terre ces derniers temps aux quatre coins de la planète, en donnent sans doute une bonne vision, par touches impressionnistes. Depuis 8 ans que je travaille pour le Mipim, j’ai visité plus de 50 pays, pris plus de 500 fois l’avion, et rencontré de milliers des protagonistes de la ville et de l’immobilier global. Pour devenir presque malgré moi un témoin privilégié de ce monde en mouvement, et des grandes tendances qui structurent le futur de nos villes.
Avant toute chose, et c’est une excellente nouvelle, presque toutes ont commencé à intégrer la contrainte environnementale. Les nouveaux immeubles sont mieux intégrés à leur écosystème, moins énergivores, utilisent volontiers des matériaux recyclés, des panneaux voltaïques, de la végétalisation comme isolation thermique, voire comme bio climatisation. Parfois, des projets de quartiers entiers visent l’autonomie énergétique, quand ce n’est pas d’en produire, comme Oslo Solar en Norvège ou Liangjiang en Chine.
Au-delà de la question purement écologique, je suis surtout frappé de voir comment la consommation des espaces est redevenue centrale aux yeux des urbanistes et des architectes. La ville de demain ne sera plus celle des grands plans d’urbanisme, avec des quartiers en grande partie spécialisés, elle sera à la mesure de l’homme.
Dans des mégalopoles toujours plus grandes, il faudra simplifier la vie des habitants. Ils veulent moins se déplacer, réduire le trafic, et tout avoir sous la main. Mieux, les bâtiments seront à leur service, au point – littéralement – de pousser les murs si besoin.
Il y a d’abord eu les immeubles à usages mixtes qui réunissent bureaux, logements, hôtels, restaurants, magasins, etc. Il y a désormais les quartiers à usages mixtes. A Sao Paulo, au Brésil, le projet Matarazzo va réunir des talents comme Jean Nouvel et Philippe Starck pour bâtir un quartier emblématique qui mixera une grande variété de modes d’utilisation sur 135.000 mètres carrés, dans un parc immense. En France, il y a des projets à Paris mais aussi dans des villes régionales comme à Bordeaux avec le « Belvédère ». En Argentine, je pense à la réhabilitation de l’Avenida del Libertador de Buenos Aires.
Les villes nouvelles ont plus de liberté dans ce registre. Ce qui pose question, c’est l’adaptation des villes européennes. Là, c’est l’utilisation des bâtiments qui va changer en premier.
Beaucoup d’entre vous connaissent le coworking. Ce n’était qu’un début. Avec le coliving, la location de surfaces évolutives en fonction des besoins, avec des espaces privés et des espaces partagés, s’étend à la vie de tous les jours. Ollie, WeLive, ou UrbanCampus ont commencé à l’appliquer à des populations d’étudiants, de jeunes travailleurs, dans des zones en forte tension immobilière.
Mais ces acteurs travaillent déjà à l’étendre aux familles, dans des zones plus abordables, comme la banlieue parisienne avec UrbanCampus. Appartements évolutifs par le jeu des cloisons, chambre d’amis et salle de réception sur réservation… « Faut-il un deux ou trois pièces au cas où nous aurions des enfants ? Et le jour où ils partiront, faudra-t-il déménager ? » Ces questions aux implications financières majeures pourraient bien disparaître avec ces habitats évolutifs. Tout en recréant une nouvelle façon de vivre ensemble, réponse à ce fléau silencieux des grandes villes qu’est la solitude.
Evidemment, la technologie jouera un rôle central. Comme il y a l’eau et l’électricité, il y aura désormais une « couche digitale » dans nos immeubles. Une start-up française comme Workwell connaît une ascension fulgurante grâce à son système d’applications qui organise la vie dans les bureaux, et connecte les espaces, les services et les utilisateurs. Un immeuble n’est plus une coque de béton, c’est une communauté, un réseau social local. Unibail-Rodamco-Westfield, la société du Grand Paris ou encore HINES aux États-Unis se sont associés à la jeune entreprise.
Encore une fois, nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Les implications de cette « couche digitale » sont fantastiques pour peu qu’on la couple avec des immeubles intelligents, bardés de capteurs comme on peut déjà les voir à Singapour, ou à la reconnaissance faciale.
Gestion automatique de l’éclairage, du chauffage, de la climatisation en fonction de l’heure du jour et de la nuit, du nombre d’employés présents… Rien que sur le chauffage, une des principales sources d’émissions de CO2, l’impact écologique laisse rêveur.
La data sera aussi une bénédiction pour fluidifier le trafic automobile. Je pense à l’expérience de Hangzhou (10 millions d’habitants), la ville d’Alibaba, dont la filiale City Brain, dédiée aux villes, expérimente une gestion de la circulation de manière centralisée, en temps réel, en fonction de l’état du trafic.
Quant à la reconnaissance faciale, elle ne fera pas l’économie d’un large débat de société, mais l’idée fait son chemin. Pour la première fois en France, un test de vidéo surveillance a été effectué dans les rues de Nice pendant le carnaval, en février, en partenariat avec la Cnil.
En Chine, deux hôtels Marriott expérimentent une application pour accélérer le check-in des clients en les reconnaissant à l’entrée de l’hôtel. Et lors d’un récent passage à Hong Kong, j’ai rencontré les architectes d’un grand bureau d’études asiatique qui ont reçu mandat pour un projet d’hôtel « keyless », quasiment sans réception. Ils envisagent d’ici 5 ans des hôtels où nos visages seront la clé de tout : check-in, check-out, ouverture des portes, paiement, etc.
Ce qui est intéressant, c’est que la fabrique de la ville, qui reste avant tout l’affaire des grandes compétences que l’industrie immobilière possède, a de plus en plus besoin des nouvelles connaissances et du regard différent des acteurs de la tech. Cette approche totalement neuve est très prometteuse pour le monde de l’immobilier et pour les habitants des villes.
Nous pouvons penser à l’expérience qui est en cours à Toronto, où la conception d’un quartier entier a été confiée à Sidewalk Labs, qui n’est rien d’autre qu’une nouvelle filiale de Google.
Je ne cite pas ce dernier exemple par hasard. De toutes mes rencontres, j’ai retenu un enseignement plus grand que les autres, c’est que la ville de demain devra se concevoir dans sa globalité, en prenant en compte toutes ses composantes, en rassemblant tous les acteurs concernés, pour produire de l’intelligence collective. Ça tombe bien, c’est la raison d’être du MIPIM.
« Il est impossible de séparer la vie et la conception d’une ville de la tentative de comprendre le bonheur, d’en faire l’expérience, et de le construire pour la société. »
Cette citation de l’urbaniste canadien Charles Montgomery dit tout du rôle des bâtisseurs. Urbanistes, architectes, géants du BTP, promoteurs, investisseurs, travaillent à l’élaboration de la ville de demain, de notre vivre ensemble.
Par Filippo Rean, organisateur du MIPIM et directeur de la division Immobilier de Reed Midem.
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