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Jean-Marc Lazard, cofondateur d’Opendatasoft : « Au lieu de débattre sur la souveraineté et la propriété des données, il vaudrait mieux en garantir l’ouverture permanente pour une meilleure information pour tous. »

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Jean-Marc Lazard, co-fondateur et président d’Opendatasoft.

Jean-Marc Lazard, co-fondateur et président d’Opendatasoft, a accepté pour Forbes de nous en dire plus sur son projet et l’état de la maturité autour de l’open data au sein des organisations publiques comme privées.


 

Dans quel but Opendatasoft a-t-elle été créée ?

Jean-Marc Lazard : David Thoumas, Franck Carassus et moi avons créé Opendatasoft il y a dix ans, constatant qu’un grand nombre de solutions facilitait le partage de contenus en ligne mais pas vraiment de la data. Franck a un parcours commercial dans le monde du software, David est ingénieur et développeur de formation et pour ma part je suis spécialisé en management et marketing. Ensemble, nous avions travaillé auparavant pour Exalead, une solution d’indexation du web qui a été rachetée par Dassault Systèmes.

Avec Opendatasoft, nous souhaitons rendre la data accessible à tous. Nous partageons la conviction qu’elle est un contenu comme les autres et qui devrait pouvoir être consommé par chacun dans leur quotidien personnel et professionnel. Notre plateforme s’adresse à la fois au B2B et au B2C, autant aux organisations publiques et privées qu’aux citoyens eux-mêmes.

 

Vous venez d’annoncer en début d’année une levée de 21 millions d’euros… À quoi vont servir les fonds ?

L’objectif de cette levée de fonds est de massifier notre impact et plus largement de démocratiser les usages data pour que tout le monde puisse accéder aux bonnes données dans leur vie professionnelle et personnelle. La perspective étant que d’ici 10 ans, chaque individu consommera au quotidien un service data auquel Opendatasoft a contribué.

Cet argent va également nous permettre de conquérir de nouveaux marchés, adresser de nouveaux cas d’usage industriels et développer nos verticales métiers en Europe, aux Etats-Unis et en Océanie. Nous comptons à ce jour plus de 70 personnes dans nos équipes et plusieurs dizaines de recrutements techniques, marketing et commerciaux sont prévus en 2022. Nous avons beaucoup de candidats qui nous contactent par recherche de sens : leur objectif n’est pas d’intégrer une licorne ou une énième plateforme e-commerce. Ce qui attire chez nous, c’est notre mission de démocratiser l’accès et les usages de la donnée.

 

Qu’en est-il de la maturité des entreprises sur la data ?

Globalement le marché de la technologie data a beaucoup évolué ces dernières années. Au lancement de notre projet, la maturité quant à la prise de conscience de l’intérêt de la donnée n’était pas du tout naturelle. Les API et autres outils de data visualization n’existaient pas. Nous avons donc commencé par collaborer avec les acteurs publics et les collectivités locales – qui s’avèrent être plutôt précurseurs sur les sujets de smart cities voire au sein du mouvement militant autour de l’open data.

La transformation digitale est très vite devenue une exigence dans le travail de modernisation des services publics. À l’échelle locale, la data est considérée comme un carburant, ne serait-ce que pour délivrer des informations claires et précises aux citoyens. Le besoin d’avoir des solutions sur étagère se manifeste encore aujourd’hui. À partir de 2015, notre clientèle s’est diversifiée et nous comptons aujourd’hui autant d’administrations que d’entreprises dans notre portefeuille. Le privé est arrivé plus tard car il partageait une crainte par défaut, enfermé dans un discours trop galvaudé qualifiant la “donnée comme le pétrole de demain”. Et pourtant, la donnée prend de la valeur au moment où elle est partagée.

Le déclencheur du côté du secteur public vient de son adhésion relative au mouvement partisan qui œuvre pour reconnaître la donnée comme un bien commun ainsi que la prise de conscience du potentiel d’innovation offert par la data. En revanche, pour parvenir à cette logique de coopération autour des données, il a fallu accélérer la transformation digitale des organisations publiques comme privées. Ces dernières se sont donc équipées d’infrastructures pour stocker les données ainsi que d’outils de data science pour les traiter. Pour transformer les pratiques en profondeur et enrichir durablement les expériences data, il faut que les données soient accessibles au quotidien.

 

Jean-Marc Lazard : le groupe Kering utilise notre plateforme pour outiller sa démarche autour de l’impact environnemental. Ils sont assez pionniers sur leur manière de mesurer leur impact sur toute la chaîne.

 

Avec quel type de clients collaborez-vous ?

L’un de nos premiers clients a été la SNCF et son double statut public-privé en fait un exemple très intéressant. Le groupe a été en avance sur l’open data et il s’est d’ailleurs inspiré des bénéfices liés pour les appliquer en interne et en finir avec les silos. Ces méthodes permettent de mieux éviter les erreurs, raccourcir le temps de projet et innover plus vite. Cette vision 360 d’ouverture en externe et interne est partagée par une bonne partie de nos grands clients comme Veolia ou encore plus récemment Elia (équivalent belge d’Enedis). Ce n’est plus la logique de producteur-réutilisateur qui prime mais bien une réelle posture d’entreprise.

L’open data est un terme utilisé à tort et à travers depuis la crise : à partir du moment où une information est donnée en ligne, elle est qualifiée de la sorte. Mais ce n’est bien évidemment pas la majeure partie des usages. De notre côté, nous aidons les entreprises à s’investir sérieusement sur les enjeux de l’open data. Il n’est pas question ici de tout refonder les systèmes d’information, ni non plus d’encourager la data intrusive. Techniquement, notre solution sécurisée est basée sur le cloud (Outscale pour la France) et ne nécessite pas d’intégration. Notre accompagnement adresse également les sujets d’acculturation en interne afin de faire de l’open data un levier de transformation pour nos clients et partenaires.

Par exemple, le groupe Kering utilise notre plateforme pour outiller sa démarche autour de l’impact environnemental. Ils sont assez pionniers sur leur manière de mesurer leur impact sur toute la chaîne : toutes les données sont partagées aux sous-traitants et designers pour leur permettre de réduire leur impact. Kering sait bien que ce partage bénéficie aussi à la concurrence. Mais cela permet aussi de récolter des retours d’expérience- notamment de la part d’ONG – pour rectifier certaines data quand cela s’avère nécessaire et d’attirer les meilleurs talents sensibles à ces sujets.

 

Quels sont les principaux freins à l’émergence d’une vraie culture de l’open data dans les organisations ?

Il y a une nécessité pour le public comme le privé d’adopter une posture d’ouverture des données pour mieux innover et s’adapter au changement. Ce qui freine encore l’adoption totale de cette culture aujourd’hui sont principalement les intérêts économiques et géopolitiques entre les différents acteurs du marché. C’est d’ailleurs au cœur du débat de souveraineté qui oppose les géants du net et l’Europe.

Plutôt que s’éparpiller à droite à gauche, la meilleure méthode à adopter reste de mettre les données sur étagère pour que tout le monde puisse y accéder. Cette pratique se démocratise, à l’image notamment de la BPCE et Infrabel qui ont décidé de centraliser toutes leurs offres d’emploi sur des plateformes open data. C’est une marque de modernité qui attire davantage les jeunes talents. Les Gafam manifestent bien entendu un intérêt sur la façon dont nous exposons nos données. Toutes les données additionnelles les intéressent et nous sommes en ce sens plutôt en relation de coopétition que de compétition.

 

Doit-on faire de la donnée un bien commun ?

Il y a plusieurs façons de considérer la donnée comme un bien commun. Au lieu de débattre sur la souveraineté et la propriété des données, il vaudrait mieux en garantir l’ouverture permanente pour une meilleure information pour tous. Il faut donc favoriser la circulation de la donnée grâce à des standards techniques. Nous vivons dans un monde qui change très vite et où les crises peuvent prendre de grandes proportions. Si les organisations arrivent à mettre à disposition rapidement leurs propres données, elles deviendront de fait plus résilientes.

 

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