Et si l’intelligence artificielle était en passe de surpasser l’homme sur le terrain de l’émotion ? L’association entre intelligence artificielle et émotion n’est pas forcement évidente, tant les deux concepts semblent éloignés l’un de l’autre. Pourtant cela pourrait être une conclusion étonnante si l’on prenait la peine d’y s’intéresser de plus près.
L’IA (ou intelligence artificielle) est un ensemble de techniques mathématiques et statistiques donnant à un ordinateur la capacité d’exécuter des tâches logiques plus ou moins complexes ; alors que le concept d’émotion semble se soustraire à toute idée de logique. Mais, en dépit de cet a priori, toute porte à croire que le concept d’émotion, comme hier celui de la logique, pourrait à terme être dominé par les robots boostés par l’IA.
L’émotion : un état de conscience
L’émotion est un état de conscience affectif dans lequel la joie, la tristesse, la peur, la haine ou autre, est ressentie. Cet état de conscience, profondément humain, est infiniment complexe à modéliser et difficile à reproduire par une machine dans un futur proche. Cependant, si nous considérons qu’une émotion est une réponse à un stimuli, nous pouvons dès lors décomposer l’émotion en 3 grandes étapes : l’état initial, le stimuli et la réponse à ce stimuli.
La première étape, l’état initial est difficile à comprendre dans son intégralité mais l’humain génère des signes permettant d’identifier cet état (crispation, sourire, langage corporel, température du corps etc.). La deuxième étape concerne le stimuli, comparable à l’acquisition de données ou informations extérieures par des récepteurs externes humains : les 5 sens (goût, vue, toucher, odeur ou son) qui finalement provoquent la troisième étape à savoir le changement d’état et les réponses spécifiques conscientes ou inconscientes (ton de la voix, changement de visage, langage corporel etc.).
Ces trois étapes peuvent donc être modélisées grâce à l’identification des signes extérieurs pré-stimuli et post-stimuli ainsi que de la compréhension de la nature du stimuli.
Finalement une émotion n’est qu’un algorithme biologique extrêmement complexe construit sur des millions d’années, or dès qu’il s’agit d’un algorithme, il est dès lors théoriquement possible d’inverser cet algorithme et de construire une IA sur ces bases. Mais ce n’est pas seulement un futur théorique ou une utopie, puisque des sociétés spécialisées en intelligence émotionnelle et des scientifiques travaillent déjà sur le sujet.
Intelligence émotionnelle, une modélisation complexe.
Qu’est-ce qu’au final l’intelligence émotionnelle sinon la capacité d’un individu à reconnaître ses propres émotions et celles des autres, et à utiliser cette information pour guider sa pensée et son comportement, s’adapter à l’environnement et atteindre ses objectifs ?
L’intelligence émotionnelle des individus est extrêmement variable d’un individu à un autre, elle est souvent médiocre, et parfois exceptionnelle. Elle est, en tout cas, aujourd’hui l’une des composantes majeures de réussite des individus dans nos sociétés comme le décrit Jeff Golman dans son best-seller « Emotional Intelligence ».
Un des facteurs limitant à la pleine réalisation d’un échange émotionnel réside dans l’imperfection de la communication interpersonnelle qui correspond un échange entre un émetteur et un récepteur ayant une variabilité de qualité (un jour de grande fatigue, un stress ou un bonheur aigu précèdent l’échange etc.) ; en outre, le message peut être perdu ou modifié (fond sonore, fatigue modifiant le ton de la voix etc.).
Parce que chaque échange émotionnel est inefficace, incertain, imparfait et variable, sa modélisation dans son « humanité » est donc quasi impossible à réaliser. Ainsi, au lieu d’essayer de reproduire un modèle inefficace, les experts en intelligence artificielle ont donc choisi de se concentrer sur une amélioration et une optimisation de cet échange.
Vitesse, Volume et consistance : les avantages de l’IA
Le premier aspect est la détection et la compréhension du stimuli. En effet, uneIA peut être programmée pour identifier et détecter les signaux émotionnels émis par un individu (des micro signes du visage, le ton de la voix , etc.). Une fois cette tâche apprise, l’IA peut l’exécuter de manière mécanique à une vitesse de l’ordre de la milliseconde et la reproduire rapidement.
Cette capacité donne à l’IA un avantage sur l’analyse de l’émotion de masse et déjà certaines entreprises utilisent cette capacité à des fins commerciales. En effet, des sociétés comme BeyondVerbal ou Affectiva maîtrisent les capacités d’analyse des émotions sur les visages et le ton de la voix, tandis que lexalytics et TheySay offrent des capacités avancées d’analyse des sentiments sur les réseaux sociaux via des algorithmes de Machine Learning et PNL (programmation neuro linguistique) principalement. Ces technologies sont utilisées par des grands groupes pour mesurer la cote de sympathie d’une marque, l’impact d’une campagne publicitaire ou d’un mauvais buzz par exemple.
Marques et médias sociaux : première étape de l’IA émotionnel
Les investissements privés en Recherche et Développement sont, dans la quasi-totalité des cas, poussés par une recherche de gains en productivité, de réduction de coûts ou d’acquisition de parts de marché : l’IA n’est pas une exception. L’un des facteurs clés de la réussite des entreprises aujourd’hui est l’image, les dirigeants l’ont bien compris ; ils commencent à comprendre comment l’IA peut les aider et investissent donc dans ce domaine. Aujourd’hui, les médias sociaux sur Internet peuvent faire ou défaire une entreprise, un mauvais buzz peut détruire une marque aussi rapidement qu’un bon buzz peut en promouvoir une.
La capacité à comprendre sa communauté en ligne et ajuster son message en fonction de ce qu’elle ressent est à présent l’objectif numéro un des spécialistes du marketing. Les community manager et autres responsables de communication de crise sont en charge de ces problématiques d’image ; mais traiter et interpréter l’énorme quantité de données disponibles sur Internet rend cette tâche impossible par une approche exclusivement humaine. C’est donc là que l’Intelligence Artificielle prend tout son sens, l’IA peut en effet être utilisée pour « écouter » Internet et comprendre en direct les « sentiments » de la communauté discutant d’une marque.
C’est le cas notamment de société comme L’Oréal partenaire de la société Clarabridge ou Louis Vuitton associé à Talkwalker pour écouter et comprendre les sentiments des internautes.
Et après ?
Le futur est par définition incertain mais en se basant sur les tendances actuelles, à savoir un accès de progressivement plus simple à des données de plus en plus massives et personnalisées via des capteurs et objets connectés, des progrès en neurosciences, et des capacités de calcul de plus en plus importante, il est clair que l’IA appliquée aux émotions à de beaux jours devant elle.
Une analyse de plus en plus personnalisée
La compréhension de « sentiments » de masse est la première étape, la suite logique étant la capacité d’affiner l’analyse au niveau de l’individu. Là aussi la technologie s’avère un allié utile. Demain, des biocapteurs ou senseurs biologiques connectés, vont apporter de nouvelles informations, ce qui permettra de compléter et affiner encore plus la connaissance de l’émotion d’un individu. Un bio capteur pourrait mesurer la température du corps, le taux de fer dans le sang et le niveau de transpiration, ses données supplémentaires enrichirons alors les capteurs visuels (visage) et sonore (ton de la voix) pour affiner l’analyse des émotions. Une des applications pourrait être par exemple : les infirmières des hôpitaux en mesure de surveiller non seulement l’état physiologique des patients, mais également leur état émotionnel sans interaction préalable ; et pourront donc ajuster leur comportement et leurs tâches en fonction de l’état global du patient.
De nouvelles technologies vont alimenter les algorithmes avec des données plus précises et pointues. Pour les données individuelles, la société Endotronix à développer une solution permettant de mesurer et suivre à distance l’état et le comportement du cœur. Concernant les données extérieures, la société française Alpha MOS et la société californienne Aromyx par exemple construisent des nez électroniques, cette technologie pourrait à terme remodeler l’industrie des parfums et de l’alimentation.
Pour quelles utilisations ?
La surveillance émotionnelle de masse
Avec plus de 60 000 caméras de surveillance en France, nous sommes bien surveillés mais encore très loin de pays comme le Royaume-Uni qui en compte plus de 5 millions ; ou encore la Chine qui approche les 176 millions de caméras et ambitionne d’atteindre le chiffre de 626 millions en 2020.
Cette explosion du nombre de caméras est principalement expliquée par des questions de sécurité. Cette capacité massive de visualisation des visages couplée à une technologie de reconnaissance des émotions sera capable à terme de mesurer l’humeur de toute une population, le niveau de colère pendant une manifestation, la joie après un match de football, l’espoir ou la déception après un discours politique. Mais plus particulièrement, la Chine a déjà planifié de « scorer » ses citoyens dans un vaste plan d’écoute pour 2020 et pour cela va se baser sur la reconnaissance faciale et l’IA.
L’état émotionnel des employés source de performance de l’entreprise
Les émotions jouent un rôle déterminant dans les processus cognitifs, notamment les taches d’apprentissage, et influencent considérablement la performance individuelle, et donc celle de l’entreprise. Ainsi, la tentation est grande pour les entreprises, de mesurer l’état émotionnel de ses employés et d’y apporter des réponses le cas échéant. Une combinaison de capteurs sonores et vidéos associée à une IA de reconnaissance d’émotions donnerait aux entreprises les moyens de connaitre en temps réel l’état émotionnel des employés et par déduction prédire les performances commerciales de l’entreprise.
École : en Chine, des enseignants augmentés
Toujours en Chine, un lycée à mise en place une technologie permettant de scanner les élèves et d’identifier leur état émotionnel. Cette technologie appelée « Intelligent Classroom Behaviour Management System » identifie sept expressions différentes : neutre, heureux, triste, déçu, effrayé, en colère et surpris. Le système scanne et analyse le visage des élèves toutes les 30 secondes, les données sont ensuite traitées pour analyse. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cela se passe en Chine, en effet l’empire du milieu investit massivement dans l’intelligence artificielle et ambitionne de devenir la première puissance mondiale dans le domaine de l’intelligence artificielle d’ici 2030 .
L’assistant émotionnel personnel
Vous êtes à un premier rendez-vous professionnel, amoureux ou amical. Vous vous demandez ce que pense l’autre, est-il sensible à vos arguments ? Est-il de bonne ou mauvaise humeur ? Est-ce que ma proposition est bien ou mal reçue ? Soudain, un bip discret provenant de votre téléphone : « l’individu est sensible à vos arguments, la probabilité est de 90% qu’il accepte votre proposition ». Ce scénario futuriste est déjà possible techniquement, pour cela il suffit de porter des lunettes intégrant une caméra et intégrant un logiciel de reconnaissance d’émotion faciale comme L’API Microsoft Emotion ou la vision cloud de l’API Google qui propose déjà une solution de reconnaissance des visages sur étagère. Un assistant émotionnel personnel pourrait donc à terme « augmenter » l’intelligence émotionnelle des individus.
Après avoir conquis le terrain de la logique, la reconnaissance de formes, l’automatisation et le marketing prédictif ; l’Intelligence Artificielle s’attaque désormais aux émotions humaines, malgré la complexité du sujet, des progrès importants ont été faits et l’IA est déjà supérieure à l’homme sur certaines tâches comme l’analyse émotionnel de masse. Demain les entreprises et les gouvernements utiliseront surement ces technologies pour des questions de sécurité ou de performances ; et les individus munis d’un assistant « augmenteront » leur communication interpersonnelle.
En septembre 2017, Vladimir Putin a déclaré que « celui qui deviendra le leader dans ce domaine (l’intelligence artificielle) dominera le monde». La Chine, pragmatique, ambitieuse et peu freinée par les questions de données privées, se positionne fortement pour devenir ce leader. La France également, mais c’est surtout l’Europe qui doit se positionner dans cette course et proposer un modèle cohérent, compétitif, respectueux de son histoire et de ses valeurs, sous peine d’être reléguée dans la hiérarchie des nations.
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