Jeff Bezos, fondateur milliardaire d’Amazon, est depuis longtemps un fin investisseur, comme en témoignent ces investissements précoces dans Airbnb et Uber. En 2024, il a misé sur plusieurs start-up spécialisées dans la robotique alimentée par l’IA.
Article de Phoebe Liu pour Forbes US
Avant de rencontrer Jeff Bezos en avril dernier, Marko Bjelonic, cofondateur et PDG de la société de robotique Swiss-Mile, a envoyé à ce dernier sa version du « 6-Pager »* d’Amazon pour présenter son entreprise, en espérant améliorer ses chances auprès du milliardaire. « J’ai été très surpris par sa patience et sa décontraction », confie Marko Bjelonic. L’appel prévu entre les deux hommes, prévu pour 30 minutes, a finalement duré une heure. « Cela ressemblait à une conversation. »
Cet appel a convaincu Jeff Bezos de codiriger un tour de table de 22 millions de dollars pour la société Swiss-Mile, basée à Zurich, au mois d’août. L’entreprise développe des robots dotés d’IA qui ressemblent un peu à des chiens sans tête, avec des roues à la place des pieds. L’objectif étant de voir ces robots livrer des colis d’un point à un autre. L’entreprise teste actuellement des versions préliminaires dans les rues de Zurich.
Swiss-Mile est l’une des neuf start-up qui ont reçu des investissements de la part de la deuxième personnalité la plus riche au monde en 2024. Sept d’entre elles sont des start-up spécialisées dans l’IA, selon les médias, les données de PitchBook et Preqin et les recherches de Forbes. Un représentant de Jeff Bezos n’a pas souhaité faire de commentaire. Quatre de ces start-up, dont Figure AI et Swiss-Mile, travaillent spécifiquement sur la robotique alimentée par l’IA, un secteur sur lequel Jeff Bezos ne s’était pas publiquement concentré en tant qu’investisseur en capital-risque avant l’année dernière.
Bien que Jeff Bezos n’ait pas voulu commenter sa stratégie d’investissement, les entrepreneurs milliardaires qui ont l’habitude de recourir à l’investissement providentiel perçoivent les changements à venir. En l’occurrence, Jeff Bezos pense peut-être que la robotique alimentée par l’IA est à la veille d’une grande percée commerciale. « Ces investisseurs veulent être les premiers à investir dans le type de technologie qui peut être bénéfique pour leur secteur », explique Kjartan Rist, associé fondateur de Concentric, une société de capital-risque qui ne compte que des gestionnaires de grandes fortunes parmi ses commanditaires. « Ils ont vu les vagues qui ont déferlé. Ils sont donc très enthousiastes à l’idée de faire partie de la prochaine vague. »
Pour Jeff Bezos, les deux dernières « vagues » dans son secteur d’activité principal, le commerce électronique, étaient probablement l’immobilier pour les centres de distribution et la robotique, et la prochaine vague est la robotique autonome, explique Kjartan Rist.
Jeff Bezos n’en est pas à son coup d’essai en matière de robotique. En 2007, il a parié sur Rethink Robotics, une start-up qui aidait les robots à automatiser la fabrication. Lorsqu’il était PDG d’Amazon, il a acheté plusieurs entreprises de robotique, dont Kiva Systems en 2012 et Canvas Technology en 2019. Cependant, Jeff Bezos n’a jamais investi publiquement dans autant de start-up de robotique en un an, et les robots autonomes, qui peuvent fonctionner sans supervision humaine directe, sont nouveaux.
Deux des quatre start-up de robots alimentés par l’IA (Figure AI et Physical Intelligence) n’ont pas répondu aux demandes de commentaires de Forbes, mais Marko Bjelonic, de Swiss-Mile, et Deepak Pathak, cofondateur et PDG de Skild AI, sont bien sûr optimistes, estimant qu’il s’agit d’une percée pour la robotique alimentée par l’IA. « Alors que les gens s’intéressent à la construction d’une IAG [intelligence artificielle générale, NDLR], la robotique est la voie à suivre pour atteindre cet objectif », explique Deepak Pathak. « C’est la prochaine grande étape de l’IA. »
Marko Bjelonic compare plutôt cette évolution à l’invention de l’iPhone, estimant que toutes les technologies requises sont réunies pour rendre les robots autonomes opérationnels : les progrès de l’IA pour que les robots soient plus intelligents, et un matériel moins cher pour que davantage de personnes puissent les construire.
Les investissements de Jeff Bezos en 2024
Le fondateur d’Amazon a investi dans des start-up spécialisées dans la robotique dès 2007, lorsqu’il a participé au financement d’une entreprise qui aidait les robots à automatiser le processus de fabrication, mais il n’a jamais soutenu publiquement autant de start-up en une seule année.
Start-up | Secteur d’activité | Montant levé avec la participation de Jeff Bezos | Dernière valorisation estimée |
Tenstorrent | Puces d’IA | 700 millions de dollars | 2,7 milliards de dollars |
Physical Intelligence | IA pour la robotique | 400 millions de dollars | 2,4 milliards de dollars |
Magnolia | Services d’aide au personnel soignant | 3,5 millions de dollars | / |
Perplexity | Recherche sur l’IA | 63 millions de dollars | 9 milliards de dollars |
Outgo | Fintech | 65 millions de dollars | / |
Swiss-Mile | Robotique alimentée par l’IA | 22 millions de dollars | 1 milliard de dollars |
Conextual.ai | IA pour les entreprises | 80 millions de dollars | 6 milliards |
Skild AI | IA pour la robotique | 300 millions de dollars | 1,5 milliard de dollars |
Figure AI | Robotique alimentée par l’IA | 675 millions de dollars | 2,6 milliards de dollars |
D’un point de vue plus pratique, les robots ont d’innombrables possibilités d’utilisation dans les entreprises. Ils pourraient éventuellement effectuer des tâches dangereuses pour lesquelles de moins en moins de personnes sont prêtes à risquer leur vie, comme l’exploitation minière. Toutefois, la prochaine étape consiste à les placer dans des environnements « semi-structurés » aux côtés des humains, comme les hôpitaux et les entrepôts, selon Deepak Pathak. Marko Bjelonic dit avoir discuté avec Jeff Bezos de la possibilité de limiter les efforts de Swiss-Mile à la livraison (le pain et le beurre d’Amazon) pour l’instant, ce que le milliardaire a comparé à sa décision de concentrer Amazon sur la vente de livres avant d’étendre ses activités à d’autres produits.
En outre, même si Jeff Bezos n’est pas impliqué dans les activités quotidiennes d’Amazon, sa participation de 9 % dans l’entreprise représente toujours l’essentiel de sa fortune. Ainsi, les entreprises qui profitent à Amazon profiteraient également à Jeff Bezos sur le plan financier. Le service de capital-risque d’Amazon a également investi dans Figure AI, Swiss-Mile et Skild AI, ce qui est logique étant donné qu’Amazon est l’un des plus grands employeurs de robots au monde, ayant déployé 750 000 d’entre eux à ce jour. (Marko Bjelonic et Deepak Pathak ont refusé de révéler si leur technologie est ou sera utilisée dans les entrepôts d’Amazon.)
Au-delà de la robotique, Jeff Bezos a soutenu deux entreprises à la mode l’année dernière : le moteur de recherche alimenté par IA controversé Perplexity AI (Dow Jones & Co. a poursuivi l’entreprise en octobre pour copie illégale à grande échelle d’œuvres protégées par le droit d’auteur ; Forbes a envoyé à Perplexity AI un courrier de cessation et de désistement l’accusant d’utiliser ses articles sans autorisation en juin), et le concepteur de puces Tenstorrent, qui vise à concurrencer le géant des puces Nvidia. En outre, le fondateur d’Amazon a investi dans l’entreprise de fintech Outgo et dans l’entreprise d’aide au personnel soignant Magnolia.
Jeff Bezos a personnellement investi dans au moins 108 start-up dans tous les secteurs depuis qu’il a, semble-t-il, investi 250 000 dollars dans Google en 1998. Bien qu’il ne divulgue pas ses rendements (pas plus que les entreprises dans lesquelles il investit), il a fait des paris précoces sur plusieurs entreprises qui ont fini par faire certaines des introductions en bourse les plus spectaculaires de la dernière décennie, notamment Twitter (qu’il a soutenu en 2008), Airbnb (apparemment en 2009), Uber (en 2012) et Nextdoor (apparemment en 2013).
Il a certainement beaucoup d’argent à sa disposition. En effet, Jeff Bezos a vendu pour 32 milliards de dollars d’actions Amazon depuis l’entrée en bourse de la société, dont près de 14 milliards de dollars l’année dernière, selon les calculs de Forbes. Il est aujourd’hui la deuxième personnalité la plus riche au monde, avec 241 milliards de dollars.
Bien qu’il ait consacré beaucoup de temps et d’argent à l’achat de yachts, de jets et de biens immobiliers luxueux depuis qu’il est passé du poste de PDG à celui de président d’Amazon en 2021, il est toujours personnellement impliqué dans son portefeuille de capital-risque, participant à la sélection des investissements et conseillant les entreprises de son portefeuille. Cependant, Jeff Bezos n’est pas aussi impliqué qu’une grande société de capital-risque typique : à ce jour, il n’occupe aucun siège au conseil d’administration de l’une des start-up qu’il a soutenues, et il a été investisseur principal uniquement dans un cycle de financement l’année dernière (pour Swiss-Mile), ce qui signifie qu’il n’a probablement pas pris de participations importantes dans la plupart des entreprises.
Deux des entreprises contactées par Forbes ont déclaré qu’un porte-parole de Jeff Bezos leur avait demandé de ne pas communiquer avec les médias au sujet de l’investissement du milliardaire, mais celles qui ont accepté de répondre aux questions ont parlé favorablement de la participation de Jeff Bezos.
« Ce qui m’a le plus surpris, c’est de voir à quel point il comprenait la technologie qui sous-tend la formation à l’IA. Il posait des questions sur l’apprentissage par renforcement, l’apprentissage par imitation, comment cela fonctionne, en allant jusqu’aux détails des éléments physiques qui sont nécessaires de notre côté », a déclaré Marko Bjelonic de Swiss-Mile, ajoutant qu’il pense que Jeff Bezos prend les décisions finales en matière d’investissement. (Pour Swiss-Mile, a ajouté Marko Belonic, sa décision a pris « quelques semaines ».) Deepak Pathak a refusé de commenter les détails, mais a déclaré avoir « une relation très étroite avec [Bezos Expeditions], et avec Jeff directement ».
Quel que soit le degré d’implication de Jeff Bezos dans une entreprise donnée, la publication de son nom en tant qu’investisseur offre une visibilité marketing (pour reprendre les termes de Michael Ewens, professeur à la Columbia Business School, « Bezos est dans le coup, voulez-vous être dans le coup vous aussi ? ».
Pour l’instant, l’industrie de la robotique autonome n’en est qu’à ses débuts commerciaux. Marko Bjelonic compare le marché à un « océan bleu », estimant que dans dix ans, il pourrait y avoir des centaines d’entreprises de robotique qui auront échoué, mais une poignée qui aura réussi. Il faudra des années pour savoir si ces paris sont payants.
Cependant, les chances sont peut-être en faveur de Jeff Bezos, en partie parce qu’il peut combiner son sens des affaires avec le fait qu’il peut probablement choisir n’importe quelle entreprise dans laquelle il veut investir. Selon Michael Ewens, les « meilleures » et les « plus intéressantes » entreprises font appel en premier lieu à des personnes comme Jeff Bezos. « En général, c’est un très bon investisseur, car il reçoit des appels. Il est le premier dans la file d’attente. »
*Le 6-Pager est le document désormais célèbre que Jeff Bezos demandait aux cadres d’Amazon de faire circuler avant les réunions stratégiques à la place des diapositives PowerPoint et qui est connu comme un élément clé de la culture d’Amazon.
Une traduction de Flora Lucas
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