L’innovation est essentielle à la survie des entreprises, mais elle révèle un paradoxe : nous devons innover pour perdurer, tout en redoutant le changement. Ce phénomène s’illustre par la peur de rater (FOMO Fear of Missing Out) et la peur de se tromper (FOMU Fear of Messing Up). Deux attitudes particulièrement prégnantes dans les projets d’IA appliqués à la relation client où les décideurs doivent sortir de la phase d’expérimentation (POC/POV) pour industrialiser leurs projets. L’IA n’a pas besoin d’être effrayante ou compliquée.
Dépasser les freins à l’adoption
L’acceptabilité des intelligences artificielles par les utilisateurs est une question récurrente, souvent amplifiée par les sondages qui dramatisent la peur qu’elles suscitent. Pourtant, cette acceptabilité repose avant tout sur la compréhension, et de nombreux cas d’usage trouvent un écho positif auprès des utilisateurs. Par exemple, réaliser des démarches comme déclarer la perte d’une carte bancaire, faire opposition ou commander une nouvelle carte via un bot en autonomie suscite rarement de l’appréhension. Pour l’utilisateur, l’essentiel est d’obtenir une réponse rapide et efficace à son besoin immédiat.
Côtés donneurs d’ordres, l’un des principaux freins à l’innovation en IA réside dans la peur de l’inconnu. Les technologies d’IA, bien que fascinantes, restent pour beaucoup de DSI et de Directeurs de la Relation Client un domaine relativement nouveau et en constante évolution. Cette incertitude technologique génère plusieurs préoccupations.
Le manque de visibilité sur les résultats, il peut être difficile de garantir un retour sur investissement (ROI) rapide ou encore l’obsolescence rapide : L’évolution des technologies d’IA peut rendre certaines solutions obsolètes avant même leur déploiement complet, créant ainsi un risque d’investissement.
L’implémentation de l’IA implique souvent des changements profonds dans les processus et la culture d’entreprise, elle impacte l’organisation entière. La résistance à l’innovation peut être considérée comme une forme particulière de résistance au changement qu’il est nécessaire d’accompagner. Un projet d’IA ne doit pas être envisagé sans accompagnement au changement, car cette transformation peut engendrer une résistance au sein des équipes et une crainte pour l’emploi.
Cette crainte n’est pas nouvelle et elle est inhérente à toute innovation. Déjà en 1977, le sociologue français Jacques Ellul (Le système technicien – Calmann-Lévy) expliquait que tout progrès technique crée du chômage et des emplois de compensation, et que ce ne sont pas les mêmes qui seront récupérés dans les nouveaux emplois. Par exemple, l’automatisation du traitement des interactions via un callbot ou un digital bot va, de fait, limiter le transfert des requêtes vers des agents et donc avoir un effet sur le nombre de ces derniers alloués à cette tâche. Pour surmonter ces freins, il est essentiel d’adopter une approche pragmatique et progressive, en privilégiant des cas d’usage concrets et en impliquant l’ensemble des parties prenantes. Pourtant, selon les estimations de l’organisme de recherche RAND [1], plus de 80 % des projets d’IA échouent, soit deux fois plus d’échecs que les projets IT qui n’impliquent pas d’IA. Ce qui expliquerait l’inflation du nombre de POCs censés rassurer les décideurs.
[1] RAND, The Root Causes of Failure for Artificial Intelligence Projects and How They Can Succeed
Les limites des POC : entre ambition et réalité opérationnelle
Au cours des deux dernières années, les projets de POC (Proof of Concept) se sont multipliés, souvent à l’initiative des équipes innovation, sous la pression de ne pas rater la « hype » de l’intelligence artificielle. Cependant, ces initiatives sont fréquemment restées éloignées des équipes opérationnelles, limitant ainsi leur impact concret.
Face aux réticences des entreprises à adopter l’IA et à la nécessité de comparer une offre abondante, de nombreuses organisations ont choisi de passer par l’étape POC/POV (Proof of Concept/Proof of Value). Cette approche visait d’une part à démontrer la faisabilité technique en conditions réelles, et d’autre part à prouver la valeur ajoutée en quantifiant les gains en efficacité, les économies de coûts, etc.
Toutefois, un nombre significatif de ces projets ont présenté des lacunes en matière de mise en production et d’industrialisation. Ils sous-estimaient souvent les flux réels de données ou le volume d’interactions. De plus, les POCs sont généralement déployés sur des jeux de données spécifiques et limités, loin des conditions complexes du monde réel, ce qui réduit leur capacité à être transposés à grande échelle.
Dans certains cas, les projets d’IA échouent parce que les organisations privilégient l’adoption des technologies les plus récentes et les plus performantes – chaque jour voit émerger de nouveaux géants comme le chinois DeepSeek, Qwen d’Alibaba, Erni de Baidu, Kimi de Moonshot AI ou encore Spark d’iFlytek – au détriment de la résolution de problèmes concrets pour les utilisateurs avec des solutions d’IA éprouvées. À trop vouloir suivre la dernière tendance, on passe à côté d’une IA immédiatement actionnable, alors que de nombreux cas d’usage, comme les callbots ou les résumés de conversations, sont déjà opérationnels et ont démontré leur ROI. Il existe, en fait, un juste milieu entre la prise de risque lié à l’innovation et ne rien faire.
L’intelligence artificielle ne se limite pas à l’intégration d’un nouvel outil ou d’une application pour améliorer l’efficacité. Elle implique également d’évaluer son impact sur l’ensemble de l’organisation. L’IA doit être considérée là où elle fait sens, là où elle aura un impact majeur. La peur de l’inconnu et l’incertitude quant aux conséquences rendent son adoption bien plus passionnante et exigeante pour les DSI et les Directeurs de la Relation Client que la plupart des avancées technologiques précédentes. Avec un projet bien qualifié, aucune raison d’avoir peur.
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