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IA agentique : l’essor des décisions autonomes dans l’industrie financière

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L’IA agentique, capable de prendre des décisions autonomes et d’apprendre en temps réel, révolutionne l’industrie financière. De plus en plus de banques adoptent ces agents intelligents pour automatiser des processus complexes, redéfinissant ainsi l’organisation même de la finance moderne.

 

Un remaniement discret, avant même l’ouverture des marchés

À peine le jour levé sur Londres, un logiciel de trésorerie appartenant à une grande banque internationale prend les commandes. En quelques secondes, il évalue la position de liquidité, anticipe les flux à venir, puis déplace discrètement 210 millions de livres sterling d’un compte de réserve peu rentable vers le marché des pensions au jour le jour. Quelques minutes plus tard, un avis de risque accompagné d’une justification détaillée arrive dans la boîte mail du trésorier. La décision, l’exécution de la transaction et l’enregistrement comptable ? Entièrement réalisés par l’IA, sans intervention humaine.

La même scène se joue à l’autre bout du monde : à Singapour dans les départements de tarification des cartes de crédit, ou à New York dans les cellules de détection de fraude. Le point commun ? Des agents IA autonomes, capables d’observer, de raisonner, d’agir — et surtout, d’apprendre — en temps réel dans des environnements bancaires critiques.

Il y a moins de deux ans encore, on parlait surtout d’« ingénierie de prompt ». Aujourd’hui, la vraie question est devenue : les banques peuvent-elles vraiment laisser ces nouveaux « collègues » virtuels opérer seuls pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours ? Une réponse commence déjà à émerger — c’est un oui prudent. Et ses répercussions, tant sur le plan commercial que réglementaire, pourraient bien redéfinir la finance moderne.

 

De l’IA générative à l’IA agentique 

L’IA générative a d’abord séduit les dirigeants en leur offrant la capacité de produire du texte, du code ou des images en un instant — mais toujours sous supervision humaine. L’IA agentique, elle, pousse l’autonomie à un tout autre niveau. En intégrant une boucle de rétroaction continue, ces agents intelligents ne se contentent plus de générer. Ils observent, analysent, décident, agissent… et apprennent.

Concrètement, un agent IA capte des données en temps réel, les évalue selon des objectifs et contraintes prédéfinis, prend une décision, la met en œuvre à travers des API ou des systèmes internes, puis en mesure l’impact pour ajuster ses actions futures. Le Forum économique mondial y voit une avancée majeure vers ce qu’il appelle « l’autogouvernance des processus » dans le secteur financier.

Il ne s’agit pas encore d’intelligence artificielle générale — chaque agent reste spécialisé dans une tâche précise. Mais quand des centaines d’entre eux interagissent, le fonctionnement même de l’entreprise évolue. La frontière entre opérations humaines et processus autonomes devient de plus en plus floue. Une nouvelle ère s’ouvre : celle des organisations pilotées par des IA qui s’ajustent en permanence.

 

Pourquoi la finance est-elle le terrain de jeu idéal pour l’IA agentique ?

Le secteur financier réunit tous les ingrédients qui nourrissent les systèmes agentiques : des données abondantes et bien structurées, des processus répétitifs encadrés par des règles strictes, et des marchés où chaque milliseconde compte. Autrement dit, un environnement parfait pour des agents capables d’agir vite, d’apprendre, et de s’ajuster en continu.

La pression économique accentue encore cette dynamique. Dans un contexte où les marges sont sous tension — avec des ratios coûts/revenus souvent supérieurs à 50 % dans les grandes banques —, le moindre gain d’efficacité devient stratégique. Et contrairement à un trader humain, un agent IA ne dort jamais. Il travaille en continu, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

C’est pourquoi banques, sociétés de gestion d’actifs et compagnies d’assurances expérimentent déjà cette nouvelle génération d’automatisation. Le grand public n’en entend que rarement parler, mais dans les coulisses, des noms comme Quest IndexGPTEliza ou GPT Store sont devenus familiers. Ils alimentent les discussions internes et les canaux Slack des institutions les plus avancées, qui testent aujourd’hui les technologies qui redessineront la finance de demain.

 

Quest IndexGPT : le data scientist qui ne dort jamais

Depuis mai 2024, la division de gestion d’actifs de J.P. Morgan exploite un assistant pas comme les autres : IndexGPT. Cet outil s’appuie sur un grand modèle de langage pour générer des mots-clés à partir de thèmes d’investissement comme « économie circulaire » ou « cybersécurité quantique ». Ces mots-clés sont ensuite transmis à un moteur d’analyse sémantique, qui scanne bases de données et actualités, évalue l’exposition des entreprises concernées, puis rééquilibre un véritable indice boursier en conséquence.

Les gérants humains gardent la main pour valider les décisions finales, mais l’essentiel du travail d’exploration, de filtrage et de proposition a basculé dans le domaine de la machine. Résultat : une réduction des délais de mise sur le marché pour les paniers thématiques sur mesure, et des coûts opérationnels abaissés pour les indices de niche, trop onéreux à gérer manuellement.

Chez J.P. Morgan, on ne parle plus seulement d’automatisation, mais d’un transfert progressif de la charge cognitive vers des systèmes capables de réfléchir en continu. Une évolution qui redéfinit discrètement, mais profondément, la manière dont l’innovation se crée dans la gestion d’actifs.

 

GPT Store : l’autonomie par le crowdsourcing

Plutôt que de centraliser le développement de ses outils d’IA, la banque espagnole BBVA a misé sur l’intelligence collective. Fin 2024, elle lance un « GPT store » interne : une plateforme sur laquelle chaque collaborateur peut publier un agent validé et, surtout, réutiliser ceux conçus par ses pairs. En quatre mois à peine, quelque 3 000 micro-agents y sont référencés, couvrant des tâches aussi variées que le tri de requêtes juridiques ou l’analyse de sentiments dans les appels clients.

La surprise est venue du taux d’adoption : plus de 80 % d’utilisation parmi les premiers testeurs, un engouement bien supérieur aux attentes des équipes IA. La leçon ? Quand on offre aux salariés des outils simples et puissants pour automatiser leur quotidien, l’adhésion peut être fulgurante — même sans directive venue d’en haut.

 

Le projet Eliza de BNY Mellon : l’IA devient l’infrastructure

En février 2025, BNY Mellon franchit une étape majeure en s’associant à OpenAI pour créer Eliza, une plateforme agentique propriétaire destinée à soutenir l’ensemble de ses activités, des services de titres aux paiements. Pour la banque américaine, il ne s’agit plus d’expérimenter, mais de transformer en profondeur. « L’IA n’est plus un outil. C’est notre système d’exploitation », affirme sans détour son directeur de l’information.

La vision est ambitieuse : permettre à chaque service de développer et déployer ses propres agents, tout en conservant un contrôle centralisé sur les risques. À terme, des milliers d’agents devraient être utilisés en libre-service, marquant l’émergence d’une banque où les processus s’autogèrent, s’adaptent, et évoluent au rythme de leurs utilisateurs.

 

2025 : l’année des agents autonomes

Si ces premiers adeptes peuvent sembler marginaux, la tendance de fond, elle, ne l’est pas. En 2025, les agents logiciels autonomes s’apprêtent à occuper le devant de la scène. Lors du sommet Reuters NEXT, de nombreux dirigeants ont prédit que ces agents domineront les priorités en matière d’IA cette année, faisant glisser les indicateurs clés des entreprises — du simple chiffre d’affaires vers l’amélioration des marges. Des tâches autrefois confiées à des analystes durant des heures sont désormais accomplies en quelques secondes de calcul. Même le capital-risque s’adapte : les pitchs qui faisaient autrefois la part belle aux modèles de fondation misent désormais sur les architectures centrées sur les agents, perçues comme plus agiles et scalables.

Goldman Sachs pousse le raisonnement plus loin. Dans une note publiée en mars 2025, la banque avance que le prochain super cycle de l’infrastructure numérique — ces milliards investis dans le cloud — reposerait désormais sur des agents d’IA capables d’assurer une utilisation continue des data centers au-delà de 90 %, et de répartir intelligemment les ressources entre régions. En clair, la logique économique même du cloud pourrait bientôt dépendre de ces intelligences logicielles autonomes.

 

Les régulateurs entrent sur le terrain

Les autorités de surveillance ne restent pas les bras croisés. À la mi-2024, l’Autorité monétaire de Singapour (MAS) a conclu un audit thématique sur les dispositifs de contrôle des risques liés aux modèles d’IA. Elle a publié dans la foulée un mémo de 28 pages précisant ses attentes pour les systèmes génératifs et agentiques — de la traçabilité des données à la mise en place d’un bouton d’arrêt d’urgence. Une circulaire complémentaire sur les cyber-risques a mis en lumière un nouveau mode d’attaque insidieux : l’« injection malveillante », capable de détourner les objectifs d’un agent sans toucher au code du modèle, un procédé plus subtil que l’injection SQL mais potentiellement tout aussi destructeur.

De l’autre côté de la Manche, la législation européenne sur l’IA classe les applications financières dans la catégorie « à haut risque ». Elle impose une supervision humaine, une documentation technique rigoureuse et un suivi post-déploiement. Certains experts s’inquiètent d’un cadre trop figé pour accompagner des agents en constante évolution. En attendant, les équipes conformité doivent traiter chaque agent de scoring ou de conseil comme s’il s’agissait d’un dispositif médical. La dernière enquête sectorielle de la Banque d’Angleterre confirme les priorités : protection des données, explicabilité des modèles et manque de talents en IA arrivent en tête des préoccupations — une hiérarchie qui fait écho aux constats de la MAS.

 

La gouvernance passe des diapositives au code source

Pendant longtemps, « mettre un humain dans la boucle » suffisait à cocher la case « gestion des risques ». Mais avec l’arrivée des agents autonomes, les entreprises doivent revoir leur stratégie. Ce qui émerge, c’est une gouvernance plus technique et structurée : le conseil d’administration définit une charte d’usage des agents, alignée sur l’appétit pour le risque de l’entreprise ; une cellule dédiée évalue les modèles, teste leurs comportements dans des situations extrêmes, et valide chaque nouvelle mission qu’on leur confie.

Les systèmes eux-mêmes conservent des journaux infalsifiables, qui alimentent des tableaux de bord en temps réel. Ces derniers sont surveillés par des équipes autorisées à couper l’agent en cas de dérive. Surtout, le dispositif de sécurité n’est plus un simple bouton d’arrêt d’urgence, mais un mécanisme codé, capable de désactiver un agent dès qu’un seuil critique est franchi — une perte soudaine de valeur, une dérive inexpliquée, un comportement anormal. L’Autorité monétaire de Singapour (MAS) soutient clairement ce type de contrôle fondé sur les rôles et déclenché par la télémétrie.

 

Guerre des talents : les data scientists laissent place aux ingénieurs des opérations IA

La montée en puissance des agents autonomes redéfinit les besoins en compétences. Autonomy rebat les cartes des fiches de poste, et BBVA en donne un bon exemple : la banque a doublé ses effectifs IA pour dépasser les 400 spécialistes en 2024, et ouvert des « usines d’IA » au Mexique et en Turquie. Mais le profil en plus forte croissance n’est ni un expert en quantique ni un as de l’ingénierie de prompt — c’est le « responsable des opérations IA ».

Ce nouveau maillon clé allie culture réglementaire (Bâle III et autres normes financières) à une solide maîtrise des architectures d’agents génératifs. Ces professionnels orchestrent des essaims d’agents, conçoivent des protocoles de test, et dialoguent avec les autorités de supervision. Les banques qui peinent à attirer ou former ces profils freinent leur capacité d’innovation en matière de conformité ; celles qui y parviennent disposent d’un levier d’expérimentation continue.

 

Les lignes concurrentielles sont redessinées

Qui prendra l’avantage dans l’ère des agents autonomes ? Les réseaux de cartes partent avec une longueur d’avance : ils disposent déjà d’un système mondial d’authentification et d’un océan de données transactionnelles. S’ils y ajoutent des capacités de décision autonome, ils pourraient devenir des arbitres naturels du crédit.
Les hyperscalers, eux, contrôlent les modèles de base et proposent l’orchestration d’agents en service clé en main. Une offre puissante, mais qui pose un risque stratégique pour les banques : celui de devenir dépendantes de géants technologiques qui lorgnent déjà sur le commerce de détail.
De leur côté, les établissements financiers traditionnels gardent des atouts décisifs — licences bancaires, historiques de données étiquetées —, mais doivent accélérer leur transition. Cela passe souvent par des prises de participation dans des start-ups qui développent des briques d’infrastructure agentique.

 

La voie à suivre

D’ici fin 2025, les analystes estiment que l’IA agentique pourrait gérer jusqu’à 5 % des réserves de liquidités intrajournalières des plus grandes banques mondiales. Les premiers tests de résistance menés par les régulateurs, simulant les défaillances des agents, sont attendus pour 2026. En 2027, une économie avancée pourrait même autoriser la souscription autonome de prêts de détail, accompagnée d’une législation sur la « responsabilité algorithmique », probablement en Asie. Que ces échéances soient repoussées ou avancées, une chose est certaine : l’avenir de la finance semble se diriger vers une domination croissante des machines.

L’IA agentique ne se limite pas à un simple gain d’efficacité ; elle transforme en profondeur la structure même des banques en délégant les décisions. Les avantages sont indéniables : des bureaux de trading ouverts en continu, des offres personnalisées générées instantanément, des risques évalués en temps réel, et des ratios d’exploitation qui s’approchent davantage de ceux des fintechs que des institutions financières traditionnelles. Mais en cas de défaillance de la gouvernance, le risque devient systémique : des transactions opaques, des dérives de modèles qui se propagent, et une concentration excessive sur quelques modèles de base.

La voie pragmatique est déjà tracée par les institutions pionnières : des projets pilotes générateurs de revenus, comme IndexGPT ; des environnements d’innovation soutenus par le public, tels que le GPT Store de BBVA ; des engagements à l’échelle des plateformes, comme le projet Eliza de BNY ; et des garde-fous alignés avec les régulateurs qui assurent la traçabilité de chaque agent dès sa conception. Les banques qui traiteront ces agents comme de véritables collaborateurs – avec des fiches de poste, des évaluations de performance, et des rappels à l’ordre lorsque nécessaire – pourront transformer cette autonomie en un avantage concurrentiel durable. Celles qui ne s’adapteront pas risquent de se rendre compte, peut-être trop tard, qu’une confiance non vérifiée mène inévitablement à l’abdication du contrôle.

Quoi qu’il en soit, dès l’ouverture des marchés demain matin, un agent logiciel invisible aura déjà effectué la première transaction. Il est grand temps pour le reste d’entre nous de rattraper notre retard.

 

Une contribution de Zennon Kapron pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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