Président de Visiomed, groupe spécialiste des centres de santé high-tech, implanté dans la péninsule arabique, Guillaume Bremond évoque les tendances à venir sur le marché de la santé numérique dans un monde marqué par de nombreux défis. Il promeut, demain, une santé « prédictive, personnalisée, participative et préventive ».
Par Yann-Maël Larher
La population mondiale fait face à des risques sanitaires nouveaux, associés notamment au vieillissement des populations, à la sédentarité ou encore à l’émergence de nouveaux virus. Comment la digitalisation de la santé peut contribuer à y répondre ?
Notre monde fait face à de nombreux enjeux qui ont déjà et auront demain un impact majeur sur la santé des populations : notre monde vieillit. En 2050, une personne sur six aura plus de 65 ans, contre seulement une sur dix aujourd’hui. Notre monde se réchauffe : plus de 3,5 milliards d’êtres humains sont déjà très vulnérables au changement climatique. Notre monde se durcit, avec des rapports de force mondiaux tendus et des instabilités géoéconomiques et géopolitiques croissantes.
Dans ce contexte, les technologies numériques apparaissent de plus en plus nécessaires pour aider les populations à vivre plus longtemps et en bonne santé. Les technologies nouvelles et émergentes, notamment l’intelligence artificielle, peuvent ainsi améliorer le suivi médical, le diagnostic, le bien-être et l’accès aux soins. Au niveau individuel, la technologie améliore aujourd’hui la qualité de vie, grâce à des dispositifs médicaux et des services toujours plus innovants, permettant par exemple de suivre régulièrement, voire en continu, et de façon fiable, ses indicateurs de santé.
Au niveau de l’innovation médicale et des professionnels de santé, l’utilisation des données collectées permet de développer de nouvelles solutions pour fournir des diagnostics de plus en plus précis et des réponses de plus en plus personnalisées. Au niveau « national », les nouvelles technologies contribuent à orienter les politiques de santé en se fondant sur des objectifs concrets et vertueux : améliorer la prévention des maladies et le bien-être à tout âge, réduire les inégalités sociales et d’accès aux soins ou les inégalités liées au vieillissement et au handicap.
L’une des principales promesses de la santé numérique est son caractère fondamentalement « préventif » et « personnalisé ». Comment cette approche peut-elle constituer un tournant majeur dans la pratique médicale ?
La prévention est devenue un axe incontournable de l’évolution des systèmes de santé. Nous constatons en effet un changement de paradigme par rapport à une médecine historiquement « curative ». Cette évolution est aujourd’hui conceptualisée par un nouveau principe accompagnant le développement technologique : la médecine dite « 4P », à savoir une médecine personnalisée, prédictive, préventive et participative.
Une médecine personnalisée part du constat aujourd’hui démontré que la santé d’un individu est largement influencée par son patrimoine génétique, son environnement et son mode de vie. Les nouvelles technologies, médicales (séquençage de l’ADN, analyse et suivis de marqueurs), sociales et sociétales (milieu, travail, environnement) permettent aujourd’hui l’introduction d’un accompagnement personnalisé pour chacun afin de déterminer les prescriptions les plus pertinentes dans les traitements, la modification des modes de vie, les changements de régime alimentaire, la pratique sportive, etc.
Une médecine prédictive vise à anticiper le risque de populations encore saines de développer une maladie donnée. Le développement technologique a largement mis en avant l’efficacité de cette approche, grâce à la stratification de plus en plus précise de patients par catégories de risque et la prise en charge des individus en fonction de leur probabilité de développer une maladie particulière à l’avenir, en se basant sur l’ensemble des données disponibles : génétique, analyse biologique, antécédents familiaux et personnels, style de vie…
Une médecine préventive a une vertu éducative. Elle vise à sensibiliser les patients afin de réduire les risques de maladie (bonnes pratiques, dépistages), à améliorer la qualité de vie des patients et l’efficacité des traitements (médecine holistique et bien-être). Les outils technologiques de suivi personnel, médical et d’information (applications de sport, montres connectées, information sur la qualité des aliments, de l’air, etc.) sont des vecteurs forts d’accélération de ces pratiques.
Une médecine participative, enfin. Elle met en avant l’engagement des patients, leur participation et leur engagement dans la décision médicale : l’accès pour le patient à l’ensemble de ses données de vie, les échanges facilités avec d’autres patients, l’accès possible à différents médecins. Tous ces éléments éduquent le patient et ont vocation à faciliter l’échange avec le médecin et la compréhension de situations médicales parfois complexes.
La montée en puissance de l’intelligence artificielle accélère l’ensemble de cette évolution vers la médecine 4P, avec l’intégration d’outils de plus en plus poussés, évolutifs et autonomes dans le processus de diagnostic et de traitement. Gardons néanmoins à l’esprit que cette évolution doit se faire en cohérence et en intelligence avec le médecin et garantir la place prépondérante de la relation médecin-patient.
La pandémie de Covid-19 a fortement contribué à digitaliser les tests médicaux. Certains secteurs, comme les espaces aéroportuaires, ont été des précurseurs. Pensez-vous que cette tendance n’a été que conjoncturelle ou a-t-elle vocation à se poursuivre et se consolider dans le temps ?
C’est une évidence. Durant la pandémie, les technologies numériques ont joué un rôle indispensable à la fois pour garder un lien social, pour permettre le fonctionnement « à distance » des économies mondiales et pour continuer à se soigner. Le Covid-19 a déclenché la transformation digitale des services de santé : prise de rendez-vous en ligne, téléconsultation, application de suivi de vaccins, etc.
La crise sanitaire a été un catalyseur de financement pour l’ensemble du secteur healthtech, qui a aussi profité d’un contexte macroéconomique avantageux avec des taux d’intérêt très bas et d’un puissant volontarisme des pouvoirs publics, en France notamment. Nous parlons tout de même de 2,6 milliards d’euros levés en 2022 pour la filière en France, soit une hausse de 14 % par rapport à 2021, signe d’un intérêt puissant des investisseurs, qu’ils soient publics ou privés. La crise sanitaire a ainsi pleinement démontré que les healtech étaient nécessaires dans l’immédiat, mais aussi dans le temps long pour répondre aux grands enjeux à venir.
Rien qu’en France, sur les plus de 350 entreprises composant le secteur healthtech, près d’un tiers utilisent l’intelligence artificielle ou le big data, notamment parmi les acteurs spécialisés dans les Medtech et les diagnostics. Considérez-vous aujourd’hui que ces technologies sont pleinement matures et opérationnelles ou restons-nous encore à l’étape de la recherche et du développement ?
Il suffit de jeter un œil à la presse régionale pour se rendre compte que de plus en plus d’hôpitaux, publics et privés, tendent à se doter d’outils d’intelligence artificielle ou de solutions de big data pour renforcer leurs capacités de soin. Le CHU de Rennes s’affirme ainsi comme un pionnier de l’utilisation de l’IA pour la détection des cancers de la prostate. L’hôpital Bicêtre AP-HP s’est positionné sur une technologie d’intelligence artificielle pour améliorer la prédiction des rechutes du cancer du sein. À l’hôpital de Dieppe, un nouveau scanner, nourri à l’IA, est récemment arrivé. En bref, ces solutions sont d’ores et déjà pleinement opérationnelles. Le véritable enjeu est donc celui de leur généralisation et de leur massification, qui invitent les soignants et les patients à accepter toujours plus une forme de transformation majeure des usages.
À l’avenir, j’identifie trois enjeux majeurs pour accélérer une tendance qui est déjà systémique. D’abord, la poursuite des investissements privés et du soutien public, qui dépend en partie du contexte économique, mais aussi de la confiance accordée par les investisseurs à la qualité et la pérennité de la recherche et développement dans le domaine. Ensuite, une coopération toujours plus accrue entre les centres hospitaliers, les jeunes pousses et les centres de recherche universitaires pour accélérer l’innovation et créer des synergies vertueuses entre le monde de la recherche publique, de l’innovation privée et les centres de santé. Enfin, l’évolution du cadre législatif et réglementaire pour déployer un environnement propice à l’innovation. Mais, aujourd’hui, toutes les conditions semblent réunies. Preuve en est la résistance des secteurs healtech et medtech dans un contexte macroéconomique actuellement peu porteur pour l’économie de l’innovation.
Vous êtes implantés sur le marché de la péninsule arabique avec des centres médicaux high-tech installés aux Émirats arabes unis et, en 2024, en Arabie saoudite. Ces marchés sont d’ailleurs jugés particulièrement en avance dans ce secteur. Quels sont, selon vous, les facteurs pouvant expliquer le positionnement précoce de ces pays sur les solutions de santé numérique ?
L’avance prise par certains pays de la péninsule arabique sur les centres médicaux digitalisés et d’autres secteurs d’activité (transports, infrastructure, énergie, retail) répond à plusieurs réalités. D’abord, une volonté très précoce d’entamer une diversification économique à marche forcée pour aborder sereinement l’avenir et la fin programmée des énergies fossiles. La numérisation et simplification des démarches, notamment administratives, a ensuite été érigée comme une priorité, visible dans les plans stratégiques de long terme, type « Vision 2030 » aux EAU et en Arabie Saoudite. La numérisation de la santé s’inscrit, de manière pleinement opérationnelle, dans cette quête de digitalisation des activités. Enfin, les Émirats ont accordé un cadre réglementaire et fiscal très favorable à l’innovation en cherchant à attirer les meilleurs acteurs du marché et en investissant largement dans la santé.
S’il est en pleine expansion, le marché de la santé numérique est aussi très concurrentiel avec un écosystème florissant. Comment avez-vous réussi à tirer votre épingle du jeu et à atteindre, aujourd’hui, la rentabilité ?
Nous proposons un modèle premium, mais surtout extrêmement rapide, qui nous a permis de nous positionner comme un acteur de référence des tests administratifs au sein de l’Émirat de Dubaï. Nous arrivons surtout à dégager de très bonnes marges opérationnelles, qui nous permettent d’investir dans notre croissance par l’ouverture de nouveaux centres et la structuration de nos équipes support, commerciales et marketing. Notre capacité technologique nous a enfin permis de « scaler » rapidement notre offre sur deux nouveaux centres permettant d’alimenter notre vision de croissance rentable et d’initier de nouveaux services axés sur la prévention et le diagnostic personnalisé. Notre futur centre à Riyad suivra le même modèle.
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