Les « mandats de geofence », qui permettent aux forces de l’ordre d’obtenir des données de localisation dans une zone étendue, sont devenus monnaie courante ces dernières années. Cependant, mercredi, Google a annoncé qu’elle allait bientôt modifier sa gestion de stockage des données et d’accès à « l’historique des positions » des utilisateurs dans Google Maps.
Article de Cyrus Farivar et Thomas Brewster pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
L’annonce de Google signifie qu’elle ne répondra plus aux « mandats de geofence », un outil juridique controversé utilisé par les autorités locales et fédérales aux États-Unis pour obliger la société à fournir des informations sur tous les utilisateurs se trouvant dans un lieu donné pendant une période déterminée.
Sa décision de mettre fin à l’accès aux données de géolocalisation constitue une victoire importante pour les défenseurs de la vie privée et les avocats de la défense pénale, qui ont longtemps décrié ces mandats.
L’entreprise a confirmé l’impact de ce changement à Forbes. Un employé actuel de Google, qui n’a pas été autorisé à s’exprimer publiquement, a déclaré à Forbes : « Outre les avantages évidents du cryptage des données de localisation en termes de protection de la vie privée, Google a pris cette décision pour mettre explicitement un terme à ces recherches draconiennes ».
« Ces mandats sont dangereux »
« Le recueil des données de localisation de chacun, remontant à des mois ou des années, constituait un danger, et Google tente d’y remédier », a déclaré à Forbes Jennifer Granick, avocate de l’Union américaine pour les libertés civiles (American Civil Liberties Union). « C’est une réelle avancée pour la vie privée de tous, car les données de localisation des personnes au fil du temps sont parmi les informations les plus révélatrices. »
« Munis de faits relatifs à un incident criminel, de l’historique des emplacements et des données relatives aux appareils associés dans le cadre d’un mandat de geofence, les enquêteurs essaieraient d’identifier un suspect susceptible d’avoir commis un crime. Ces mandats sont dangereux », a écrit Jennifer Lynch, avocate de l’Electronic Frontier Foundation, dans un billet de blog publié mercredi. « Ils menacent la vie privée et la liberté car non seulement ils fournissent à la police des données sensibles sur les individus, mais ils pourraient aussi transformer des innocents en suspects », poursuit-elle.
« Une bonne nouvelle de la part de Google »
« La nouvelle mesure n’empêche pas le gouvernement d’obtenir des informations sur un utilisateur spécifique en demandant les détails complets de son compte », a déclaré l’employé de Google. « Mais les enquêteurs ne peuvent plus communiquer certaines coordonnées et obliger Google à leur fournir des données d’identification ou des métadonnées sur tous les utilisateurs concernés par ces paramètres. »
Cette décision intervient quelques jours seulement après que la cour d’appel des États-Unis pour le quatrième circuit, en Virginie, a entendu les plaidoiries dans l’affaire United States v. Chatrie, dans laquelle il lui a été demandé d’évaluer la légalité fondamentale des mandats de geofence. (La décision de la Cour, qui ne couvrirait que cinq États américains situés en grande partie le long de la côte est, ne sera probablement pas rendue avant l’année prochaine).
« Je n’aurais jamais cru pouvoir dire cela un jour, mais c’est une bonne nouvelle de la part de Google », a déclaré Michael Price, l’un des avocats de M. Chatrie et directeur des litiges pour le Fourth Amendment Center de la National Association of Criminal Defense Lawyers (NACDL).
Volume triplé
« D’un point de vue pratique, les juges craignent souvent de priver les forces de l’ordre d’un outil. Mais dans le cas présent, cette décision a été prise et peut, à certains égards, réduire les enjeux d’une déclaration d’inconstitutionnalité. »
Au début de l’année, un législateur de l’État de Californie a proposé un projet de loi qui aurait rendu illégale la pratique des entreprises basées en Californie – notamment Google – de se conformer à de telles ordonnances judiciaires.
Le volume de mandats de geofence reçus par Google a triplé depuis la fin de l’année 2018. Comme Forbes l’a déjà signalé, la quasi-totalité des mandats de géofence visent Google, en raison de la grande quantité de données de recherche et de localisation qu’elle détient. Bien que d’autres entreprises technologiques puissent théoriquement faire l’objet de mandats similaires, les archives judiciaires publiques indiquent presque toujours que les données sont demandées à Google plutôt qu’à d’autres entreprises.
S’il est vrai que Google reçoit plus de demandes de geofence que n’importe quelle autre entreprise technologique, il n’est pas le seul géant technologique à qui l’on demande d’y répondre. Apple a déclaré au début de l’année avoir reçu de telles demandes, mais l’entreprise a affirmé qu’elle ne pouvait pas fournir les données en raison de sa politique de protection de localisation des utilisateurs.
Ces mandats ont été utilisés dans certaines des affaires les plus importantes de l’histoire récente en matière d’application de la loi.
Une déception
Par exemple, aux États-Unis, ils ont été exploités pour identifier les personnes qui ont pris d’assaut le Capitole le 6 janvier 2021 et pour identifier les personnes impliquées dans les émeutes de Kenosha en 2020, en réponse à l’assassinat du citoyen afro-américain Jacob Blake. L’année dernière, Forbes a appris que les forces de l’ordre américaines faisaient des perquisitions dans les données de localisation historiques de Google, en remontant jusqu’à sept ans en arrière dans une affaire où les policiers essayaient de rassembler des preuves pour envoyer deux hommes dans le couloir de la mort. Des mandats de géolocalisation auraient également été utilisés pour enquêter sur des délits relativement mineurs, comme le vol d’un portefeuille dans un hôpital de l’Utah.
La California District Attorneys Association (CDAA), qui s’est précédemment opposée à de nouvelles restrictions sur les mandats de geofence, a noté qu’en 2022, les adjoints du shérif dans le comté de Santa Clara ont utilisé la technique pour résoudre « neuf cambriolages résidentiels distincts ».
De même, Orin Kerr, professeur de droit à la faculté de droit de l’université de Californie à Berkeley, a écrit sur X mercredi : « Du point de vue de la politique publique, cela semble être une déception. La géolocalisation a permis de résoudre un certain nombre d’affaires très importantes qui ne pouvaient pas être résolues autrement ».
« Et il existe de nombreuses façons de mener à bien la procédure judiciaire (y compris la politique de Google en matière de mandats) qui protègent beaucoup mieux la vie privée que les mandats ordinaires. Mais je comprends que cela puisse être dans l’intérêt commercial de Google. S’il n’y a pas beaucoup de valeur économique pour l’entreprise à conserver les données, et que les conserver signifie qu’il faut s’impliquer dans des débats sur la protection de la vie privée pour savoir ce que l’on en fait, Google a un intérêt à déposer les armes », poursuit-il.
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