TRIBUNE | Le projet Gaia-X vise à accélérer l’émergence de l’économie de la donnée en Europe. Fédérant plus de 200 entreprises, l’initiative a pour ambition de donner naissance à un écosystème numérique ouvert à l’échelle européenne. Une chance pour les Européens et leur souveraineté numérique.
Officiellement lancée en septembre dernier, l’initiative Gaia-X a pour objectif de créer une infrastructure numérique européenne à la fois fiable et souveraine. Ses 22 membres fondateurs, rejoints par plus de 200 autres organisations, ambitionnent de créer un environnement dans lequel les données pourront être partagées et stockées sous le contrôle de leurs propriétaires et utilisateurs. Gaia-X est une des toutes premières briques visant à construire non pas une Europe du cloud mais une Europe des services dans le cloud. Un « méta-cloud » en quelque sorte.
De très nombreux secteurs d’activité tireront profit de cette initiative. Prenons par exemple le cas d’un citoyen européen se déplaçant en Europe. Ce voyageur pourra disposer, dans son portefeuille virtuel, de ses documents de voyage (billet virtuel aérien, correspondance train…) mais aussi des éléments biométriques intégrés dans son passeport. Cela lui permettra de passer les différents points de contrôle de manière transparente, dans le respect de la réglementation. Les droits d’accès, par des tiers, à ses informations personnelles et de voyage seront définis à l’avance, ainsi que la durée de rétention, puis de destruction, de ces données.
Pour que ce cas d’usage devienne réalité, le niveau de complexité technologique à atteindre est élevé : interopérabilité, chiffrement de bout en bout, gestion des droits… Mais les véritables enjeux vont bien au-delà de la seule prouesse technique. Quand on parle de « méta-cloud », on parle aussi – et surtout – de métadonnées. A travers Gaia-X, nous nous dirigeons vers la définition et la mise en place de protocoles de négociation et de partage de la donnée entre services cloud. Gaia-X est en premier lieu une initiative centrée autour de la data. Son existence présuppose la création de data hubs nationaux et transnationaux permettant ce type d’échanges.
La data, l’or du 21e siècle
Au sein des entreprises, la prise de conscience qu’il ne peut y avoir de digitalisation sans stratégie liée aux données se poursuit. La confirmation du rôle de Chief Data Officer, indépendant ou ajouté au rôle DSI, en témoigne. Beaucoup d’organisations ont réalisé que la véritable valeur de la data est dans l’échange et l’enrichissement.
C’est la raison pour laquelle les entreprises doivent prendre le temps de déterminer avec soin quelles données elles peuvent externaliser ou non. Leur stratégie « move to cloud » doit être pensée sous cet angle. De vraies réflexions doivent être menées autour des solutions « cœur de métier » mais aussi autour de celles ayant un périmètre plus opérationnel, tout en tenant compte des législations nationales.
Dans ce contexte, ne choisir qu’un seul type de cloud pour toutes ces données et applications n’est pas viable sur le long terme. C’est la raison pour laquelle le multicloud et le cloud hydride se développent. Et demain, une entreprise pourra décider de placer une partie de son système d’information sur un cloud privé, une autre chez un hyper-scaler américain et une autre dans un cloud référencé par… Gaia-X.
L’Europe de la tech est avant tout une Europe du « choix »
Certains secteurs d’activité – la santé, la banque, les transports, l’industrie – auront alors accès à un choix supplémentaire, celui d’un cloud vertical européen. 13 banques européennes se sont d’ailleurs récemment réunies autour de l’ »European Cloud User Coalition ». Cette alliance, qui souhaite établir des standards en faveur d’un cloud public européen, pourrait être adossée à Gaia-X.
Présentée fin novembre 2020 par la Commission européenne, la proposition de règlement « Data Governance Act » vise par ailleurs à créer un nouveau statut, celui de prestataire de partage de données. Neutralité dans l’échange des données, bonnes pratiques dans leur réutilisation, interopérabilité… Le niveau d’exigence de ce nouveau règlement sera élevé, tout comme l’est celui du RGPD.
Construire l’Europe de la tech, ce n’est pas construire une Europe technologique « contre » tel ou tel acteur, qu’il soit américain, chinois ou de toute autre zone géographique. Construire l’Europe de la tech, c’est avant tout offrir aux entreprises européennes une solution alternative, complémentaire aux solutions existantes. L’objectif est d’apporter un équilibre et d’éviter tout enfermement technologique.
De nouvelles opportunités à saisir
Les Européens ont certes pris du retard par rapport à leurs compétiteurs sur le marché des infrastructures. Mais sur le terrain du développement logiciel, des applications et des services à valeur ajoutée, l’Europe a son mot à dire. La conjonction de l’arrivée de la 5G et de Gaia-X va permettre de créer de nouveaux espaces à saisir. De nombreux acteurs européens vont pouvoir s’exprimer sur des segments à forte valeur ajoutée où la souveraineté et la valorisation des données seront stratégiques.
Les enjeux sont de taille. Il s’agit tout d’abord de ne pas perdre le contrôle d’un système d’information que nombre d’entreprises ont déjà très fortement délégué – calcul, hébergement, intelligence – à des acteurs situés hors de l’Union européenne. La question de la réversibilité, de la portabilité et de la transparence contractuelle n’a jamais été autant d’actualité. Et si l’on y ajoute la question de la sécurité et de la confidentialité des données, on prend rapidement conscience de l’ampleur des défis qu’il nous reste à relever collectivement.
Tribune rédigée par François Baranger, CTO chez T-Systems France
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